Max | Déserts ou les soeurs de la miséricorde

Publié le 01 octobre 2017 par Aragon
Oh I hope you run into them,
Oh j'espère que tu les rencontreras,
You who've been travelling so long.
Toi qui a erré si longtemps Master Léonard C.

Vrais déserts : Atacama aux portes duquel vit ma petite cousine Christine, Assekrem de mon alter ego Charles de Foucauld, Gobi gēbì shāmò : entrée de Shamballa, Vallée de la Mort, déserts brûlants, déserts glacés. Rocs, sables ou glaces ; glaces, sables ou rocs...

Impressions de déserts : Peyré Escadron Blanc, JMG Le Clézio Désert, Michelangelo Antonioni Zabriskie Point, Théodore Monod Méharées, Alexandra David-Neel Voyage d'une Parisienne à Lhassa...

Mes propres déserts : Depuis mon tout début conscient / marchant / respirant, j'ai aimé les déserts. Petit, quand mes parents me fourguaient chez ma mémé de Castel, je filais dans la forêt où je pouvais passer des journées entières.

"Ma" forêt : Désert primordial apprivoisé très vite. Plein de choses, course effrénée à vingt mètres de haut d'un écureuil poursuivi à grand fracas de cris de branches outrancées de griffements féroces sur l'écorce des pins par une martre sanguinaire, ouah !!! Quand vous assistez à ça d'en-bas... Paix du désert de ma forêt, oiseaux qui pouvaient se poser tout près de moi qui me confondait à la nature, rapaces, chevreuils, faisans, fleurs, bruyère, résine d'un pin goûtée en fermant les yeux, pour en savoir le goût, doigt plongé dans son pot, émerveillé, papillons - comme attirés - venant se poser sur mon doigt. Paysans, bûcherons, coupeurs de "touye" (tuie) qui passaient tout près de moi parfois et qui ne me voyaient pas. Je l'étais. J'étais désert...

Désert du nord québécois du côté de Chibougamau, Normandin ou Péribonka plus tard, où je voyais pour de vrai, dans mon esprit, rouler de monstrueux trains de pitounes : la Drave ! Du côté des Chutes à l'Ours, où je faisais d'interminables conversations silencieusement et spirituellement actuelles avec les amis Chouart des Groseilliers, Radisson, Brûlé, La Vérendrye, La Salle...

Désert des Bardenas Réales à pied, en VTT, - époustouflant - en Espagne, inouï... inouï...

Désert du Larzac que je connais comme ma poche, chaque pierre, chaque buisson, cette anecdote du côté de la chapelle Saint Michel vers le Caylar, où, démarrant de bonne allure ma rando au petit matin, je croisais deux jeunes filles qui, elles, revenaient vers "la civilisation", je passais de longues heures et au retour j'eus la surprise de trouver coincé sous mon essuie-glace un mot signé du prénom d'une de ces filles qui me demandait "Mais où donc partiez-vous de si bonne allure, de si bon matin et avec un air si joyeux ?" Mot étonnant, mystérieux, griffonné à la hâte sur un ticket de quelque chose, mots, prénom, pas d'adresse. J'avais bien aimé ce mot...

Désert de l'Outback australien, où j'ai crapahuté des heures dans le silence minéral d'un début des temps, chaleur excessive, mouches collées sur le corps par millions, je gravissais enfin la montagne sacrée aborigène "Uluru" que les anglais appellent "Ayers Rock". Personne. J'étais seul, montée effrayante et arrivée au bout d'un temps immense sur le dôme nu. J'avais l'immensité du bush sous mes yeux, assis comme un yogi sur la pierre rouge sacrée... quand au bout d'un certain temps une longue silhouette est venue vers moi. Dégingandé mais costaud, blond, T-shirt rouge et immense sourire aux lèvres il vient directement vers moi. "I'm Peter, I'm american and you ?"... baragouinage, langage des signes, espagnol un peu, anglais incertain, mais on se parle, on se comprend, on y arrive... Je lui demande "Where do you come from ?" Il me répond "Philadelphia". Il s'assoit. On se tait. On partage l'eau. Pas de mouches là haut. La paix totale. Un climat étonnant. Il me demande aussi d'où je viens et je lui réponds "I live in New Caledonia but my "heart's village", where I was born, is Amou". On tombe d'accord sur le fait que l'hymne étasunien ne devrait pas être "Stars and Stripes" mais "This land is your land" de Woody Guthrie. On éclate de rire, on refait le monde, on s'étreint, on partage encore le silence, un peu de tabac, de l'eau, toujours... Je continue de lui expliquer que notre rencontre est étonnante car lui lui vient d'un endroit qui s'appelle "Amour pour un frère & une soeur" et moi, mon village est le seul au monde à s'appeler "Amour", on reste longtemps sur la pierre rouge, puis redescente, il faut toujours redescendre et revenir vers toutes les civilisations possibles...

D'autres déserts, beaucoup d'autres déserts.

Depuis février dernier celui de la maladie. Désert de la maladie. On te prononce les mots "cancer, métastases". Tu es alors au coeur d'un immense désert. Impartageable, incommunicable, inracontable, traversable, mais...

Mais comme dans tous les autres déserts, il faut l'aborder, y entrer, avancer ; tu l'apprivoises, tu dois, tu le fais tien, tu l'éclaires, les étoiles y brillent encore plus que dans toutes les nuits étoilées du monde, il fleurit parfois d'une incroyable manière, fleurs de Vie, aucune vénéneuse, tu y as froid, tu y as chaud, tu n'es pas seul même s'il n'y a que toi. Il n'y a pas de présence divine, céleste, magique, ésotérique, il y a la présence absolue, la présence sororale, la compréhension absolue et totale. Sidérale, bouleversante.

Tes yeux s'ouvrent sororalement. Tu sais alors d'une façon totale et absolue que tu es là pour la mort et que tu es là pour la vie. C'est la raison de ta venue sur Terre. Tu n'es pas seul. Tu es désormais en compagnie de ces deux soeurs intimement liées. À toi de faire ensuite.

À moi de faire, et la vie, et la mort...

Ces deux soeurs - comme Master Léonard C. - je les appelle maintenant : "mes soeurs de la miséricorde" et j'entendrai à jamais leur doux et puissant murmure :

Well they lay down beside me, I made my confession to them, they touched both my eyes and I touched the dew on their hem... If your life is a leaf that the seasons tear off and condemn they will bind you with Love that is graceful and green as a stem...
Eh bien elle étaient allongées à côté de moi et je leur ai fait ma confession, elles ont touché mes yeux toutes les deux et j'ai touché la rosée sur leur ourlet... Si ta vie est comme une feuille que les saisons emportent et condamnent elle t'attacheront avec l'Amour qui est vert et charmant comme une tige...

https://www.lacoccinelle.net/246420.html#content-menu-0