(Anthologie permanente) Laure Gauthier, "kaspar de pierre"

Par Florence Trocmé

Laure Gauthier publie kaspar de pierre aux éditions La Lettre volée.

MAISON 2
Elle me dit,
J'aime entendre le voile des sons.
la vaisselle entrechoquée dans la vasque, les bruits de l'humide, ceux des taches qui se défont sous l'eau
reconnaître les motifs de porcelaine à la texture des gouttes.
J me dis,
qu'elle a fait digue dans la nuit,
ses parents, la bonne, le broc, et puis l'eau
elle s'est endormie au creux de leurs sons

Et j connais désormais le mot chance, première trappe,
nouvelle souffrance d'un pompon de la vie que   n'ai jamais su  attraper, cramponné à la terrrrr,  
  
jamais les bras au ciel, mais  
  
c'est bien un seul tour de manège !  
Lui parler du silence des pierres ?
   ai écrit « J'ai toujours été content et satisfait ... jusqu'à ce que l'homme vienne et m'apprenne à imiter, mais je ne savais pas ce que j'avais écrit ». Et cette phrase, les poètes la croient plus que toutes les autres.
Quelle merveille que l'énoncé dégoulinant d'ingénuité de l'enfant battu qui pleure le rassurant claquement du fouet, comme le placard était doux qui empêchait les horribles sons de la vie
Infans = nature ? Avez-vous vu des taureaux confiner le bœuf dans une mare, le noyer juste un peu, l'empêcher de sortir. Oui, j'ai vu les cadavres de lièvres à demi mangés par le père, certes, mais des lapins enfermés dans le terrier jusqu'à l'âge adulte ?
O,   , vous écoutez la poésie de l'enfant placard

Qui a peur quand la neige vit en boules et touche vers le tableau d'une nature qu'il ne croit pas morte et parle au caillou ?
Et que les livres adorent cela
Et les remplis d'objets qui aiment mes phrases tronquées.
Comme elle se tord magnifiquement la syntaxe sans lumière,
bouche dans la poussière, sans mots, on claudique en public, les belles abnormités de langage et les amateurs de poésie applaudissent dans la foire des mots bigarrés,
Écraser la courge de mon nez, manger la grappe de mes cheveux et
puis, voilà, effacées les tomates qui les dévisageaient, un visage
abimé avant floraison qui tentait d'inventer une cinquième saison, une saison entre l'hiver et le printemps, qui empêcherait la succession des autres,
Que veulent-ils récolter à moi ?
Et la ville bourgeoise a arraché une à une les lignes de mon visage pâte à modeler
pour se faire voyante,
Écraser la courge de mon nez, manger la grappe de mes cheveux et puis, voilà,     effacées les tomates qui les dévisageaient, un visage
abimé avant floraison qui tentait d'inventer une cinquième saison, une saison entre l'hiver et le printemps, qui empêcherait la succession des autres,
Que veulent-ils récolter à moi ?
La ville entière veut me faire croire à l'estuaire,
ils se moquent de l'enfant sans source et sans delta,
On m’a collé des tuteurs qui me dessinent des contours, me montrent les flèches au sol
que jl doit suivre
Il fallait aimer la viande, première communion
Laure Gauthier, kaspar de pierre, Éditions La Lettre volée, 2017, 50 p., 14 €, pp. 26 à 28
kaspar de pierre est un récit poétique qui donne voix à Kaspar Hauser, l’enfant trouvé, mystérieusement arrivé en 1828 aux portes de Nuremberg après 17 ans de captivité. Tout d’abord, il fallait dynamiter le mythe du « séquestré au cœur pur » comme l’appelle Françoise Dolto qui le décrit, à l’instar de Verlaine et de son « priez pour nous pauvre Gaspard », comme un enfant innocent, quasi christique .
Kaspar Hauser, comme Woyzeck, le soldat devenu meurtrier, sont des images de notre société moderne tardive dont il préfigure certains traits, pour Kaspar : la soif de gros-titres, la complaisance envers la maltraitance et l’iconisation de l’individu.
Laure Gauthier, sur le site remue.net qui donne un autre extrait du livre, Maison, 1
Et sur le site de l’auteur :
L’histoire de l’enfant trouvé Kaspar Hauser est devenue un mythe moderne et appelle des réécritures. Dans « kaspar de pierre », kaspar parle de lui-même en « jil » dans une tonalité inventée entre le moi et le soi; il parle à tous les temps ; il n’arrive pas à Nuremberg, mais on le trouve en marche vers cette ville, imaginant l’arrivée dans différentes maisons de tuteurs (maison 1, maison 2, maison 3), on l’entend avant chaque nouvelle déchirure (abandon 1, abandon 2), et on lit des diagnostics que la société pourrait faire de lui (diagnostic 1, diagnostic 2) – kaspar bipolaire ? L’enfant trouvé jette un regard rétrospectif vers sa grotte première tout en anticipant son idéalisation poétique ; il refuse d’être le « séquestré au cœur pur » (Françoise Dolto) ou encore le « pauvre Gaspard » (Verlaine) : il est un enfant maltraité, un enfant-placard au langage sauvage et impuissant qui éclate aux catégories et à la curiosité comme aux abandons successifs. Il est à la fois un cas de maltraitance que l’on ne peut mettre en vers et comme un des premiers cas de faits divers ayant attiré la curiosité de l’Europe bourgeoise.