La Corée du Nord de Guy Delisle

Publié le 17 octobre 2017 par Sylvainrakotoarison

" Pour le nucléaire, le mystère est entretenu afin de pouvoir monnayer sa capacité de nuisance. " (2003).

Depuis quelques mois, la Corée du Nord fait parler d'elle. En cause, sa capacité nucléaire militaire. Son dictateur Kim Jong-Un (le seul dirigeant au monde d'une monarchie communiste) a montré à plusieurs reprises, d'une manière très "virile", qu'il était capable d'envoyer loin des missiles et que son pays était devenu une puissance nucléaire. Le séisme enregistré le 23 septembre 2017 laisserait entendre qu'il s'agirait d'une explosion nucléaire souterraine.
L'imprévisibilité caractérielle du Président américain Donald Trump ne laisse évidemment rien augurer de bon : la surenchère de "celui-qui-a-la-plus-grosse" pourrait déborder sur une catastrophe mondiale qui, si elle est encore peu probable selon les supposés experts, n'en devient cependant plus ...impossible ni inimaginable. Donald Trump a même affirmé à la tribune de l'ONU le 19 septembre 2017 vouloir "détruire totalement" la Corée du Nord si elle continuait à jouer avec la bombe H.
Peut-être que la France, dirigée par Emmanuel Macron, qui a noué de bons contacts avec Donald Trump, aurait une carte diplomatique à jouer pour jouer le rôle de médiateur auprès de celui qui sait parler français, anglais et allemand au-delà de vouloir jouer avec ses canons et ses missiles.
Poursuivant le culte de personnalité de ses dirigeants, la Corée du Nord a fêté le 8 octobre 2017 le vingtième anniversaire de l'élection de Kim Jong-Il (le père de Kim Jong-Un) aux fonctions de Secrétaire Général du Parti du travail de Corée (le parti communiste unique de Corée du Nord). La Corée du Nord, dernière véritable dictature stalinienne au monde, est un pays particulièrement mystérieux car peu d'informations vraiment fiables en sortent. D'un côté, la propagande d'un pouvoir sans partage, comme du temps du communisme triomphant, de l'autre côté, des rumeurs et des désinformations régulièrement propagées par des officines en Corée du Sud. Faire la part des choses est assez difficile, mais c'était valable aussi à l'époque de l'Union Soviétique où peu d'informations étaient diffusées sur la réalité des pays communistes.
Il m'a semblé intéressant d'évoquer le livre de Guy Delisle sur la Corée du Nord. Cet excellent dessinateur n'était pas, à l'origine, un auteur de bande dessinée, mais avant tout un "animateur", chargé de réaliser des dessins animés. Sa profession l'a amené à faire quelques voyages dans des pays que je qualifierais d'exotiques pour le Québécois vivant en France qu'il est. En fait, ces pays seraient tout aussi exotiques pour un Australien, un Russe ou un Marocain. Chaque séjour, d'abord seul pour raison professionnelle, puis en famille, pour suivre son épouse médecin sans frontières, a été l'objet d'un journal de voyage où il raconte très candidement ce qu'il y voit et y ressent, sans autre prétention ni ambition. Il n'est donc pas un livre de propagande ; il n'est pas non plus un livre objectif.

Si le livre " Pyongyang" paru en 2003 (éd. L'Association), retraçant son séjour de deux mois en Corée du Nord en 2001 (sous le "règne" de Kim Jong-Il, le père du dernier et le fils du fondateur de la dynastie), s'est si bien vendu (traduit dans des dizaines de langues), c'est justement à cause du manque d'information sur ce pays et du ton volontairement simple et clair qu'a adopté Guy Delisle. Pour autant, je le répète, il faut évidemment se mettre en garde car ce livre n'a aucun objectif documentaire. C'est une vision et un ressenti, très subjectifs et personnels, et en aucun cas un documentaire neutre et factuel sur la société nord-coréenne.
En ce sens, on pourra comprendre que certains proches de la Corée du Nord puissent avoir une lecture critique de l'ouvrage (on peut lire par exemple cet article), mais cela ne discrédite en rien la bande dessinée qui n'a aucune autre ambition qu'autobiographique. Les différences culturelles peuvent certes prêter à des interprétations erronées, dans un sens ou dans un autre. Même la forme de la bande dessinée (le choix du noir et blanc) peut donner lieu à une intention négative vis-à-vis de la Corée du Nord alors que tous les ouvrages de la collection éditoriale sont en noir et blanc (c'est le style adopté qui n'a rien à voir avec le sujet). Sur les différences culturelles, je recommande la lecture très éloquente de la lettre du traducteur sud-coréen que l'auteur a mise en ligne ici, pour montrer à quel point il est difficile de franchir les barrières tant culturelles que linguistiques.
Guy Delisle explique dans son livre que s'il a dû se rendre à Pyongyang, c'est tout simplement parce que le travail d'animation s'est délocalisé en Corée du Nord, où les coûts salariaux sont plus faibles (qu'en France mais aussi qu'en Chine populaire). C'est donc paradoxalement une preuve d'ouverture économique qui lui permet d'entrer en Corée du Nord.

C'est aussi un effet de la mondialisation qui déporte de nombreuses tâches dites répétitives, mais l'on se rend compte, à la lecture du livre, que même les tâches d'exécution sont souvent à corriger plusieurs fois, en raison de la mauvaise compréhension des consignes (des gestes trop lents, des yeux qui louchent, une bouche qui sourit à l'annonce d'une chose triste, des "gestes culturels" incompréhensibles et donc mal reproduits, etc.).
Je me permets de proposer ici quelques extraits du livre qui, je l'espère, donneront envie de lire l'ouvrage de 178 pages dans sa totalité si cela ne l'a pas déjà été fait.
L'exemple typique de non neutralité est par exemple lorsque Guy Delisle évoque l'aide alimentaire internationale et sa redistribution. Il ne cite aucune référence pour asseoir ses affirmations.

Cela dit, la plupart des anecdotes narrées sont du ressenti réellement vécu, comme cette idée de faire croire au peuple que la guerre est imminente.

Il décrit l'armée nord-coréenne comme la quatrième armée au monde, avec un arsenal conventionnel mais aussi biochimique, voire nucléaire...

Le culte de la personnalité y est très fort : amusement, étonnement et nausée s'y bousculent chez l'auteur. Guy Delisle raconte que le portrait des deux dictateurs, Kim Il-Sung et son fils et successeur Kim Jong-Il, sont partout affichés.

Cela permet au dessinateur de dessin animé de s'amuser dans une mise en abyme particulière.

Au point même d'être troublé par des visions paranoïaques qui laissent croire que le commandant suprême des armées surveille chaque fait et geste de chaque citoyen partout et à tout instant.

Ou d'être agacé par le saccage de la nature...

Comble du culte de la personnalité, même mort, Kim Il-Sung, le fondateur, reste le roi, désigné dans un amendement constitutionnel adopté le 5 septembre 1998 (soit plus de quatre ans après sa mort) "Président perpétuel de la République populaire et démocratique de Corée" (il n'existe pas de Corée du Nord en Corée du Nord, il n'existe qu'une Corée). Le calendrier (dit juche) utilisé en Corée du Nord (depuis le 9 juillet 1997) fait commencer le monde l'année de naissance de Kim Il-Sung, en 1912.

La visite des musées est toujours particulière pour les étrangers. La propagande anti-américaine est systématique au point de chercher à convaincre les visiteurs de leur "méchanceté" et "cruauté".

Comment manier à la fois la franchise et la politesse, à la fin d'une visite de musée.

Le Coca-cola comme outil révolutionnaire (ou contre-révolutionnaire) est proposé à l'issue d'une visite touristique.

Autre fait de contestation, provenant d'un citoyen nord-coréen et pas de lui l'étranger, c'est de ne pas aller regarder le film officiel proposé, toujours à base de guerre, d'actes héroïques, et de grandeur du pays.

La capitale nord-coréenne est triste, du point de vue de l'auteur, car rien n'y est improvisé.

Un autre expatrié, qui bénéficie dans son hôtel de la réception de chaînes de télévision "occidentales" (CNN et TV5), lui raconte l'histoire d'un demi-frère de Kim Jong-Un (et fils de Kim Jong-Il), Kim Jong-Nam, qui, étudiant de 30 ans en Suisse, avait été arrêté à la douane japonaise avec un faux passeport dominicain (sous un nom chinois Pang Xiong), et cela simplement pour aller au parc d'attractions de Disney à Tokyo en passant inaperçu ! (Rappelons que le Japon est considéré comme une nation ennemie car ayant conquis et occupé le territoire coréen). Menant une vie dissolue, Kim Jong-Nam a été assassiné à l'aéroport de Kuala-Lumpur (en Malaisie) le 13 février 2017 (par empoisonnement), probablement par des agents nord-coréens.

Cherchant quelques avantages à cette situation de délocalisation, Guy Delisle se rend bien compte que le travail commandé donne l'occasion à des petits génies du dessin de sortir de leur village perdu pour aller travailler dans la capitale et avoir une meilleure vie.

Là encore, il retransmet quelques bruits de couloir (vrais ou faux, impossible de le savoir) en disant que d'habitude, la promotion sociale se ferait plutôt, pas par le mérite, mais par la surveillance des citoyens par les eux-mêmes, par la délation, fait que contesteront évidemment les proches du pouvoir nord-coréen.

L'anecdote la plus forte du livre concerne le handicap. Guy Delisle fait constater à son interlocuteur nord-coréen qu'il ne voit aucune personne en situation de handicap. Pourtant, la nature humaine est telle qu'il y a toujours entre 5% et 10% de personnes qui souffrent d'un handicap spécifique, et la population nord-coréenne n'a aucune raison de ne pas se conformer à ce genre de statistiques. La réponse langue de bois est que le peuple nord-coréen est parfait et qu'il est toujours en bonne santé et intelligent. Il manque évident la réponse (et même la question) sur la réalité : que deviennent les personnes réellement en situation de handicap en Corée du Nord ?

Guy Delisle essaie aussi de convaincre son interlocuteur que la pluralité des sources d'informations donne une meilleure vision d'un fait, et il montre un exemplaire du "Canard enchaîné" de la campagne présidentielle de 2002 où les deux principaux candidats Jacques Chirac et Lionel Jospin (les deux têtes de l'Exécutif, les deux chefs politiques !) sont moqués par le dessinateur Cabu (le sujet était sur le choix du futur Premier Ministre de chacun des candidats : Jean-Pierre Raffarin, Alain Juppé, Nicolas Sarkozy ou Philippe Douste-Blazy pour le premier, Laurent Fabius, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry ou François Hollande pour le second).

En conclusion, cette dernière question que se pose l'auteur lui-même, sur le degré de crédulité des Nord-coréens : sont-ils dupes ou pas de ce que le pouvoir politique leur dit et qu'ils répètent aux étrangers ?

Je signale enfin une excellente série télévisée française en trois épisodes de 52 minutes chacun intitulée " Kim Kong", créée par Simon Jablonka et Alexis Le Sec et réalisée par Stephen Cafiero, diffusée le 14 septembre 2017 sur Arte. Une fiction à la fois dramatique et comique qui se déroule en Corée du Nord à l'époque de Kim Jong-Un et qui retrace la vie d'un réalisateur de mauvais films qui s'identifie à François Truffaut et qui est enlevé par le dictateur (reprenant un fait historique sous Kim Il-Sung avec l'enlèvement de Shin Sang-Ok et de Choi Eun-Hee en 1978) et dont l'atmosphère est sensiblement similaire à celle du livre de Guy Delisle.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (24 septembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
(Toutes les illustrations sont des dessins réalisés par Guy Delisle pour les éd. L'Association).
Baby Kim.
Serial killer professionnel ?
Lecture critique du livre de Guy Delisle sur la Corée du Nord.
Lettre du traducteur sud-coréen de Guy Delisle.
"Kim Kong" (diffusé le 14 septembre 2017 sur Arte).
"Pyongyang" de Guy Delisle (éd. L'Association).
Sempé.
Petite anthologie des gags de Lagaffe.
Jidéhem.
Gaston Lagaffe.
Albert Uderzo.
Cabu.
Inconsolable.
Les mondes de Gotlib.
René Goscinny.
Tabary.
Hergé.
Comment sauver une jeune femme de façon très particulière ?
Pour ou contre la peine de mort ?

http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20170911-coree-nord.html
https://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/la-coree-du-nord-de-guy-delisle-197087
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2017/10/17/35705568.html