Passion des mots : Éros, Folie, théâtre Phèdre et la pièce de Patrick Modiano : Nos débuts dans la vie

Publié le 29 octobre 2017 par Nathpass
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merci à Aurélien Recoing pour son partage sur Twitter 

« ŒNONEAimez-vous ?

PHÈDRE De l’amour j’ai toutes les fureurs. ŒNONEPour qui ?PHÈDRETu vas ouïr le comble des horreurs. J’aime… À ce nom fatal, je tremble, je frissonne. J’aime…ŒNONEQui ? PHÈDRETu connais ce fils de l’Amazone,Ce prince si longtemps par moi-même opprimé ?ŒNONEHippolyte ? Grands Dieux !PHÈDRE C’est toi qui l’as nommé ! ŒNONEJuste Ciel ! tout mon sang dans mes veines se glace. Ô désespoir ! ô crime ! ô déplorable race ! Voyage infortuné ! Rivage malheureux,Fallait-il approcher de tes bords dangereux ? PHÈDRE Mon mal vient de plus loin. À peine au fils d’ÉgéeSous les lois de l’hymen je m’étais engagée,Mon repos, mon bonheur semblait être affermi ; Athènes me montra mon superbe ennemi.Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ;Un trouble s’éleva dans mon âme éperdue ;Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler ; Je sentis tout mon corps et transir, et brûler ;Je reconnus Vénus et ses feux redoutables,D’un sang qu’elle poursuit tourments inévitables. Par des vœux assidus je crus les détourner :Je lui bâtis un temple, et pris soin de l’orner ;De victimes moi-même à toute heure entourée,Je cherchais dans leurs flancs ma raison égarée.D’un incurable amour remèdes impuissants !En vain sur les autels ma main brûlait l’encens : Quand ma bouche implorait le nom de la déesse, J’adorais Hippolyte ; et, le voyant sans cesse, Même au pied des autels que je faisais fumer, J’offrais tout à ce dieu que je n’osais nommer.Je l’évitais partout. Ô comble de misère !Mes yeux le retrouvaient dans les traits de son père. Contre moi-même enfin j’osai me révolter : J’excitai mon courage à le persécuter.Pour bannir l’ennemi dont j’étais idolâtre,J’affectai les chagrins d’une injuste marâtre ;Je pressai son exil, et mes cris éternels L’arrachèrent du sein et des bras paternels.Je respirais, Œnone ; et, depuis son absence,Mes jours moins agités coulaient dans l’innocence :Soumise à mon époux, et cachant mes ennuis,De son fatal hymen je cultivais les fruits.Vaines précautions ! Cruelle destinée !Par mon époux lui-même à Trézène amenée,J’ai revu l’ennemi que j’avais éloigné :Ma blessure, trop vive, aussitôt a saigné.Ce n’est plus une ardeur dans mes veines cachée : C’est Vénus tout entière à sa proie attachée.J’ai conçu pour mon crime une juste terreur ;J’ai pris la vie en haine, et ma flamme en horreur. Je voulais en mourant prendre soin de ma gloire, Et dérober au jour une flamme si noire :Je n’ai pu soutenir tes larmes, tes combats ;Je t’ai tout avoué ; je ne m’en repens pas, Pourvu que, de ma mort respectant les approches, Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,Et que tes vains secours cessent de rappelerUn reste de chaleur, tout prêt à s’exhaler. »

Jean Racine, Phèdre, Acte I, scène 3 (1677)sublime passage merci à la littérature, dont le théâtre si peu présent aux étagères des livres à vendre dans les librairies sauf pour la dernière parution de Patrick Modiano : "Nos débuts dans la vie", inspirée de la Mouette de Tchekhov, éditée dans la collection blanche, en même temps que son dernier roman et quand tu l’achètes le libraire te dit dans un sourire pour acter la complicité : c’est la pièce de théâtre !!!

Photo de Vincent Josse Patrick Modiano rue Madame

2017 Patrick Modiano : Nos débuts dans la vie :C'est une pièce qui parle de cette nostalgie que l'on ressent dans les théâtres vides ou même un peu avant qu'on y voie un spectacle, là donc dans la salle éclairée, ou bien encore aux périodes de répétition dans un théâtre, que sont devenus les personnages et les interprétations différentes successives des rôles Phèdre Oenone Panope Thésée  et Théramène... Quand les théâtres sont hauts dans les cintres automatiquement on lève les yeux, comme dehors vers le ciel. Cette pièce les mêle, les enmêle à nos souvenirs réels amoureux, réels ?  P14Pourtant le théâtre c'est le théâtre ... Et les pièces qu'on y joue peuvent être différentes, mais c'est toujours les mêmes coulisses, les mêmes loges, le même vieux velours rouge, et la même angoisse avant d'entrer en scène...P48Maintenant, je comprends... Tous ces murs, cette scène et ces balcons sont imprégnés par les voix de ceux qui ont joué ici, depuis le début...comme dans une caisse de résonance. Il suffirait d'appuyer sur un bouton qui se trouve peut-être quelque part dans les coulisses et l'on entendrait toutes ces voix, toutes ces pièces, depuis cinquante ans......Est-ce que tu penses vraiment que la salle est toujours vide à deux heures du matin ? Moi, je suis sûre qu'à cette heure là les anciens spectateurs reviennent pour assister aux anciennes pièces... un peu comme l'éternel retour... mais on ne les voit pas.... on ne fait pas assez attention...P60-61Quand nous sommes nous rencontrés pour la première fois? Très tard place Blanche, dans le café avant la pharmacie... Elle était assise, seule, à la table voisine de la mienne... Moi aussi j'étais seul... Elle m'a dit : "Je joue un petit rôle au théâtre de la rue Blanche..." J'allais la chercher, le soir... ...(Un temps)Quel bel automne c'était... une saison qui ne m'a jamais semblé triste...  elle marque souvent le début de quelque chose...Je l'attendais sur le trottoir, au bas de la rue devant le théâtre... Quelquefois, j'ai l'impression que depuis cet automne là nous montons la pente de la rue Blanche jusqu'à la fin des temps...
P83-84...Elle sort du théâtre elle s'agrippe à mon bras... Elle me dit que le metteur en scène, Savelsberg est venu à l'entracte dans sa loge pour lui proposer rôle de Nina dans la Mouette, la saison prochaine... Elle ne comprend pas... Savelsberg se déplaçant pour la voir, elle, une débutante, dans une reprise de Noix de coco et lui proposant de jouer Tchekhov... Nous montons la rue Blanche sous cette couche de neige... comme dans un rêve...