Mindhunter sonde la noirceur des âmes comme celle de notre société

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

Produite par David Fincher (duquel nous avions chroniqué le très réussi Gone Girl) et Charlize Theron (que nous avons vu dans le regrettable Dark Places de Gille Paquet-Brenner et dans le néanmoins génial Mad Max : Fury Road de George Miller) et créée par Joe Penhall, Mindhunter est l’une des dernières nées de l’écurie Netflix, diffusée depuis le 13 octobre 2017. Ce dernier fut le scénariste de La route de John Hillcoat. A la réalisation se glisse également Fincher, qui cède parfois la place à Andrew Douglas et à Asif Kapadia (qui lui réalisa le documentaire poignant Amy). Voilà pour le curriculum pour le moins intéressant d’une série qui n’en est pas moins passionnante. Mindhunter nous plonge à la lisière des années 80, à l’heure où la figure du tueur en série a commencé à envahir les écrans sans pour autant être clairement définie scientifiquement, à l’heure où le puritanisme décline sous les coups de boutoir de la libération sexuelle, à l’heure où l’agent Holden Ford va développer le profilage, une nouvelle méthode imprégné des recherches en sciences humaines, débarrassé des oripeaux religieux.

En 1977, Holden Ford (Jonathan Groff), un agent du FBI féru de psychologie et de sociologie, va faire la rencontre de Bill Tench (Holt McCallany que l’on a vu dans Sully et Night Run), un formateur de la même institution qui parcoure les États-Unis pour apprendre aux flics locaux les meilleures techniques d’investigations. Il va le convaincre, pour perfectionner ses théories, d’aller à la rencontre des plus grands tueurs en série de son temps pour en dresser une typologie. Leur unité obtiendra rapidement le soutien de la psychologue universitaire Wendy Carr (Anna Torv qui a pour fait d’arme d’avoir incarner Olivia Dunham dans l’une des meilleurs séries sur les voyages dans le temps, j’ai nommé Fringe). En parallèle, ils tentent de concilier leur projet tentaculaire avec leur vie personnelle.

Inspirés par John E. Douglas et Robert Ressler (qui inspira lui-même le personnage de l’agent Jack Crawford dans Le silence des agneaux), les personnages de Mindhunter ne sont pas exempt d’ambiguïté. Et c’est principalement cela qui fait la force de la série. Celle-ci salue leur travail tout en les mettant au cœur d’une intrigue aux accents de thriller. La première saison s’articule autour de la difficulté d’appréhender des esprits torturés, d’une part, sans le devenir soi-même, d’autre part, sans se faire manipuler. En ce sens, on ressent la patte de Fincher dans les longues scènes d’interrogatoire où la tension n’est pas seulement palpable mais suinte littéralement des visages faussement impassible. Le travail sur la lumière, plongeant toujours les scènes dans une pâleur livide en nuances de gris, semblant montrer une Amérique profonde où jamais le soleil ne luirait réellement, rajoute à l’ambiance intimiste et crépusculaire du récit. Le panel d’acteur, tous aussi talentueux les uns que les autres, ne gâche en rien l’ambiance malsaine qui découle des interrogatoires. On retrouve ainsi des personnages fameux dont la seule évocation fait trembler d’effroi mais que, paradoxalement, leurs interprètes ont su rendre étonnamment humain. Effectivement, les agissements de ces fous à lier, racontait par eux-même avec un calme olympien effraient autant qu’ils questionne sur la nature humaine et fascinent. Pêle-mêle, on retrouve dans cette première saison, Edmund Kemper (Cameron Britton) qui violait les crânes décapités de ses victimes, Monte Rissell (Sam Strike), Jerry Brudos (Happy Anderson que l’on a vu dans le très carpentesque Cold in July) qui collectionnait les chaussures de ses victimes, Richard Speck (Jack Erdie), auteur du massacre de huit infirmières au sein du South Chicago Community Hospital. Tous sont des psychopathes patentés derrière lesquels on aurait vu que l’œuvre du diable, quelques années auparavant les travaux de Douglas et Ressler.

Le personnage de Bill Tench est bourru, un peu réticent aux expériences sortant des sentiers battus de son coéquipier, même s’il reconnaît leur efficacité, et montre un détachement qui sonne faux. Il est en réalité profondément chamboulé par leurs enquêtes, refusant quelque part de reconnaître une humanité à ces sujets. C’est que reconnaître qu’ils sont humains, malgré leur inhumanité flagrante, c’est les reconnaître comme membre de la société à part-entière, c’est remettre en cause l’ordre établi. Car depuis longtemps, ces déséquilibrés ont été présentés comme l’œuvre du diable, rien de plus, nous permettant de ne pas se poser davantage de question dérangeante. C’est un partisan de la peine de mort. Étant une insulte à la nature même de l’être humain, ces preuves de sa probable perversité sont à faire disparaître pour que l’on puisse continuer à nier leur existence et les causes de leur existence. Dans sa vie familiale, cela se ressent avec son fils autiste qu’il préfère ignorer la plus part du temps. De son côté, Holden Ford est plus nuancé, habité par des contradictions intimes, en proie à des déchirements entre morale traditionnelle et libération sexuelle. Premièrement, il n’entend pas expliquer ni comprendre les tueurs qu’il observe et étude en dehors de l’environnement dans lequel ils ont grandis et évolués. S’en remettant aux sciences humaines, il use de ce qu’il sait de la sociologie et de la psychologie pour mieux appréhender les motivations des tueurs. Il ne s’agit pas d’excuser mais de comprendre, il ne s’agit pas de dédouaner mais d’expliquer. En prenant en compte les maltraitances dont ils ont pu être victime, à une époque où la sphère familiale pouvait être un lieu de violences symboliques et physiques (et peut l’être encore), il ne se contentent pas d’en dresser une typologie mais commence à réfléchir à ce qui crée de l’aliénation dans nos sociétés modernes. Et entre autre, c’était plus prégnant dans les années 70, une morale puritaine dénuée de nuance qui peut transformer des fantasmes d’ordre sexuel, sans grande importance, en pulsions de mort, motivée par la honte et la haine de soi comme des autres. Un grand nombre de « perversions », alors communément admises, ferait aujourd’hui sourire les plus prudes d’entre nous. Ainsi sur la liste des perversions reconnues pouvait-on trouver la masturbation, la fellation ou le cunnilingus… Autant de mot qu’Holden Ford, c’est assez drôle comme situation, fait rayer de la liste après les avoir expérimenter avec sa petite-amie libérée, Debbie (Hannah Gross). On peut relever également cette scène géniale, où après avoir interrogé Brudos dans la journée, Ford se retrouve au lit avec Debbie, affriolante en tenue frivole, ayant garder ses talons hauts, et que celui, d’abord émoustillé, la repousse, paniqué à l’idée d’être pervers comme son sujet d’expérimentation.

Génial par ses non-dits car dans les interstices du récit se glisse, en miroir, les névroses de toute une société, captivant par la noirceur de son propos, intelligent par les nuances qu’elle apporte, même au cœur de l’enfer, Mindhunter est sans doute la série de cette fin d’année à ne rater sous aucun prétexte.

Boeringer Rémy

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