Le cauchemar de Serge Atlaoui

Publié le 09 novembre 2017 par Sylvainrakotoarison

" Montrez-moi un homme qui soutienne l'utilité de la peine de mort, et, quelque consciencieux et éclairé qu'il soit, je vous défie d'établir jamais aucune sympathie entre lui et moi. " (George Sand, "Indiana", 1832).

Imaginez-vous criblé de dettes. On vous propose un salaire juteux dans un pays lointain. Vous êtes ouvrier. Soudeur. Vous connaissez bien votre métier. On vous propose deux mille euros par semaine. Au noir, naturellement. Va pour l'aventure. Vous êtes à Jakarta. On vous embauche d'abord six semaines pour installer des machines. Vous pensez que vous êtres dans l'industrie chimique. Fabrication d'acrylique. On vous paie de la main à la main. Vous attendez à l'hôtel. On vous rappelle pour deux journées encore, pour faire la maintenance.
Le second jour, en écoutant certaines conversations de vos collègues, vous craignez de comprendre. Trop tard. La police arrive. Vous arrête. Vous accuse de trafic de drogues. À votre premier procès, vous ne comprenez rien car aucun interprète ne vous a été mis à disposition. Vous voici condamné à la réclusion à perpétuité. En appel, la peine est confirmée. Mais en cassation, votre peine est aggravée : vous êtes condamné à mort. Vous avalez votre salive. Vous vous dites que vous rêvez.
Quelques années plus tard, le nouveau Président indonésien, Joko Widodo, avec une forte image d'ouverture et d'humanisme, veut construire sa réputation d'incorruptible : sa lutte contre les trafiquants de drogues se veut sans merci (la population est meurtrie par la drogue qui est un véritable fléau) et il annonce qu'aucune grâce n'aura un lien avec une affaire de trafic de drogues. Résultat, votre demande de grâce est refusée. Pire, vous voici inscrit sur la liste des dix condamnés qui vont être exécutés. Votre dernier recours est rejeté. Au dernier moment, deux jours avant la date fatale, votre nom est retiré de la liste. Pour étudier les nouveaux éléments du dossier. Un autre nom est aussi retiré. D'autres sont exécutés, sept étrangers sur les huit exécutés. Dont deux Australiens. Les pressions diplomatiques n'ont eu aucun effet. Vous soupirez à peine.
Le mois d'après, les derniers recours sont encore rejetés. L'année suivante, votre nom peut encore être inscrit sur une nouvelle liste d'exécutions. Vous y échappez encore cette fois-ci. Quinze mois plus tard, vous êtes toujours là, en prison depuis douze ans, en attente d'exécution, sans aucun recours sinon un hypothétique miracle...

Cette situation, c'est celle que vit actuellement le Français Serge Atlaoui. Âgé d'une cinquantaine d'années, il est l'un des deux rares Français à être condamnés à mort dans le monde. Une seule autre personne est dans ce cas, aux États-Unis, mais elle a obtenu sa nationalité française alors qu'elle était déjà condamnée à mort (un habitant de la Louisiane).
L'existence de Serge Atlaoui a connu un nouveau gain de notoriété par la diffusion, jeudi 2 novembre 2017 sur France 3, d'un documentaire de soixante minutes sur sa situation. Ce documentaire ("Serge, condamné à mort") est rediffusé ce vendredi 10 novembre 2017 à une heure quarante du matin. Il a été réalisé par Christine Tournadre qui a suivi Serge Atlaoui pendant dix ans. Elle se trouvait en Indonésie et fut happée par ce cauchemar. Elle a pu lui parler, l'avoir au téléphone. Elle est devenue une amie. Elle n'a trouvé un producteur que plusieurs années plus tard. Sur France Info le 2 novembre 2017, elle a expliqué qu'avant de connaître Serge Atlaoui, elle croyait que c'était ringard, en France, d'être une militante pour l'abolition de la peine de mort et a découvert que cet engagement était nécessaire dans beaucoup de pays du monde.
Dans ce documentaire, on y apprend notamment que Serge et sa compagne Sabine (qui se sont mariés après son incarcération et qui ont même pu engendrer un enfant en 2011, demi-frère de cinq autres enfants d'unions précédentes) s'étaient mis à leurs comptes et avaient acheté à crédit leur maison. Mais l'affaire n'a pas marché et ils se sont retrouvés avec les dettes de la maison. Ce qui a expliqué pourquoi il a accepté des jobs tordus, aux Pays-Bas, puis en Indonésie.

Serge n'a pu tenir psychologiquement que grâce à la force folle de sa femme Sabine. Elle était femme de ménage et a dû quitter son emploi pour tout faire en faveur de lui, chercher des avocats, organiser de l'aide financière et médiatique, alerter les autorités françaises (il faut reconnaître que la diplomatie française était particulièrement molle sous la Présidence de François Hollande, et les rares initiatives risquaient d'être contreproductives en voulant s'ingérer dans la justice indonésienne). L'extraordinaire force de Sabine, c'est qu'elle y croit, elle croit qu'elle pourra sauver son mari. Contre toute raison. Malgré les mauvaises nouvelles (la saisie de la maison familiale après huit ans d'habitation).
Le seul petit reproche qu'on pourrait formuler à ce documentaire (qui date de 2016), c'est qu'il s'est arrêté à la fin d'avril 2015, juste après la série d'exécutions à laquelle Serge Atlaoui a échappé. Rien sur la fin du processus judiciaire en juin 2015, rien sur les nouvelles exécutions qui ont eu lieu dans la nuit du 28 au 29 juillet 2016, rien sur les perspectives prochaines. Du jour au lendemain, il pourra être exécuté. Ou plutôt, du jour au surlendemain : il aura soixante-douze heures pour le savoir, pour que la famille puisse lui dire adieu.

Malgré la diffusion de ce documentaire, il est assez stupéfiant de constater que le nom de Serge Atlaoui reste relativement peu connu même dans les milieux journalistiques (pourtant bien informés). Pourtant, sa situation est vraiment unique pour un Français. Pire, certains considèrent que son sort est justifié, qu'il a joué et qu'il a perdu. C'est oublier plusieurs choses.
D'une part, son innocence. Il est certes coupable d'avoir travaillé illégalement, mais il a déjà passé douze ans en prison. Il n'est pas coupable de trafic de drogues, il en aurait été bien incapable car il n'a jamais su ce que c'était. Il a été piégé, comme d'autres, alléché par un salaire élevé à un moment de son existence où il avait besoin d'argent.
D'autre part, même s'il avait été réellement coupable des faits incriminés, la peine de mort resterait toujours une réponse barbare à un acte barbare. Il suffit de regarder la carte du monde pour voir que la plupart des pays libres ont aboli la peine de mort. J'écris évidemment "la plupart" car ce n'est pas la totalité, puisqu'il y a encore les États-Unis et le Japon...

Et puisqu'il est question de peine de mort dans cet article, signalons en effet que la peine de mort est encore applicable au Japon. On parle beaucoup des États-Unis qui sont, avec le Japon, les deux démocraties qui pratiquent encore la peine de mort, mais on parle beaucoup moins du Japon. Selon le rapport 2016 d'Amnesty International, il y a 141 personnes condamnées à mort au Japon, dont 129 qui ont épuisé tous les recours juridiques possibles (le Ministre japonais de l'Intérieur a indiqué qu'il y avait 124 personnes condamnées à mort).
En 2016, trois personnes ont été exécutées (dont une femme). En juillet 2017, deux personnes ont été exécutées, ce qui fait un total de 19 exécutions sous le gouvernement du Premier Ministre libéral-démocrate Shinzo Abe, en fonction depuis le 26 décembre 2012 après sa victoire aux élections législatives du 16 décembre 2012, et renouvelé lors des récentes élections législatives du 22 octobre 2017, après avoir été reconduit une première fois par les élections législatives du 14 décembre 2014.
L'exécution au Japon se fait par pendaison et sa date est tenue secrète, tant auprès de la famille et du condamné que des bourreaux (pour éviter l'absentéisme). Les autorités annoncent l'exécution une fois faite, et sans information spécifique à la famille qui n'a que vingt-quatre heures pour rechercher le corps (seulement deux corps ont été recueillis par la famille depuis 1993). Les conditions de vie des personnes condamnées à mort sont terribles, sans aucun confort, dans un complet isolement humain et sans le droit de bouger dans leur cellule. Beaucoup deviennent fous. Et la population japonaise, peu au courant de la situation, est très majoritairement favorable à cette peine de mort (en 2009, un sondage donnait par exemple 86% favorables, selon le journal "Ouest-France" du 7 novembre 2017).
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (09 novembre 2017)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Le cauchemar de Serge Atlaoui.
Les exécutions à répétition, version Daech.
Les exécutions à répétition, version Hitler.
Les exécution à répétition, version Mao.
Les exécutions à répétition, version Lénine, Trotski et Staline.
Les exécutions à répétition, version Saint-Just.
Les exécutions à répétition, version Che.
Les exécutions à répétition, version Duvalier.
L'exécution de Mata Hari.
L'exécution de l'archidupe Maximilien.
L'exécution de Saddam Hussein.
Mary Jane Veloso.
Quatorze exécutions pour le 29 juillet 2016 ?
Un nouveau sursis pour Serge Atlaoui (13 juillet 2016).
La Turquie d'Erdogan.
Encore un espoir ?
Pierre Bas, le député de l'abolition de la peine de mort.
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Compte à rebours ?
L'insoutenable légèreté de son avenir.
Les droits de l'Homme.
Vers un moratoire en Indonésie ?
Le pape résolument contre la peine de mort.
Les valeurs de la République.
Le rejet du dernier recours de Serge Atlaoui.
Serge Atlaoui échappe de peu à l'exécution.
Encore la peine de mort.
Chaque vie humaine compte.
Rapport d'Amnesty International "Condamnation à mort et exécutions en 2014" (à télécharger).
Il n'y a pas d'effet dissuasif de la peine de mort (rapport à télécharger).
Peshawar, rajouter de l'horreur à l'horreur.
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Pourquoi parler des Maldives ?
Maldives : la peine de mort pour les enfants de 7 ans.
Pour ou contre la peine de mort ?
La peine de mort selon François Mitterrand.
La peine de mort selon Barack Obama.
La peine de mort selon Kim III.
La peine de mort selon Ali le Chimique.
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Les 1234 exécutés aux États-Unis entre 1976 et 2010.
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Pas seulement joggeuse.
Nouveau monde.
Le 11 septembre 2001.
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http://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20171102-serge-atlaoui-h.html