Géopoétique ou géopolitique ? Le retour de MC Solaar

Publié le 22 novembre 2017 par Africultures @africultures

Au départ je n’rappais que des trucs assez cool
à mes potes dans la cour de l’école
– MC S., L’attrape-nigaud

Un artiste né en 1969, lorsqu’il fait une pause de dix ans avant d’initier un comeback, prend le risque d’atterrir sur une nouvelle planète. Les temps numériques que nous vivons reconfigurent notre paysage tous les semestres. Le moindre retrait se paye très cher.

Non seulement MC Solaar nous revient avec un Géopoétique plus vrai que nature, mais il fait aussi mentir la formule/formol que l’on dédie généralement aux bienheureux : tel qu’en lui-même l’éternité le change. MC Solaar n’en a que faire : le présent est son unique souci. Le présent et le vivant. Il s’affiche à l’automne de sa vie. À 48 ans, il est permis de sourire de cet abus de langage ! De son existence – et de la nôtre –, il en délivre le Sonotone en ces termes : J’ai des rides et des poches sous les yeux / Les cheveux poivre et sel et l’arthrose m’en veut. Ces deux vers suffisent pour donner le climat de son nouvel album. Ils le raccrochent à son œuvre antérieure avec une finesse exemplaire.

Sa voix a évolué ; son corps, également. Je me suis amusé à revoir les clips de Bouge de là, de Caroline, de Les temps changent… quelle nostalgie ! Cette souplesse du corps presque adolescent comme l’incarnation même du swing ! Juste un tee-shirt sur la peau qui ondule. Sa beauté n’a pas d’excuse, sa langueur, sa mélancolie… Ce swing, c’est encore le motif principal de Géopoétique. MC Solaar n’a jamais pratiqué que le jazz, qu’on se le dise ! Là, Miles Davis est à l’honneur. Ainsi, à l’instar de Nougaro en son temps et de Brassens, le swing français de MC Solaar oscille entre l’octosyllabe et le décasyllabe afin de chambrer cette langue qui, dans le chant, ne gueule qu’à la condition qu’on tende l’oreille. Il est le seul rappeur de sa génération à l’avoir compris. Cela relève des affinités électives. En matière de révoltes et d’esthétiques, seules les correspondances cinesthésiques traduisent et le monde et nous-mêmes. A-t-on besoin de donner des leçons au monde lorsqu’on témoigne de soi-même ? Bien sûr que non. L’universalité de MC Solaar réside là. Aussi ses clips sont-ils si trompeurs : son Amérique de carton-pâte et de jeux vidéo ne nous parle que de la Goutte-d’or et de Barbès, mais avec la gomme des images noir et blanc.

Lorsqu’il n’en sourit pas lui-même, il a l’air de s’en excuser. Les rares moments où il apparaît dans un costume noir – comme c’est le cas pour ce retour sonotone –, ça ne fait pas de pli, il est dans son élément. Et pourquoi pas, MC Solaar ? Les autres rappeurs ont des bagues papales ou de mafieux. Mais il n’aime pas le clinquant. Il ne veut être L’attrape-nigaud de personne. Il a juré fidélité à lui-même. Il est au courant du temps qui passe.
S’il un détail qui relie MC Solaar d’hier à celui d’aujourd’hui, ce sont sans conteste les thèmes. Ce rap-peur a toujours lu et écrit le monde – avec un son d’époque, hier ; un son contemporain, aujourd’hui. C’est la grande leçon de Géopoétique :

Cancer du tropique, corne de l’Afrique
Traité Atlantique euro-asiatique.
Paysage angélique, arme automatique
Mon bic, note les hics : G. O. poétique.

Il dénonce à sa manière « La misère du Monde » (Pierre Bourdieu). Un musicien accompli de son rang (qui a fré-quenté l’école de Serge Gainsbourg) le fait toujours sur le mode mineur. Ainsi atteint-il l’efficacité majeure.
Depuis quelques jours, nous sommes vent debout contre la représentation diplomatique libyenne à Paris. Mais ce pays n’existe plus, c’est une fiction occidentale pour servir de casernement à nous autres subsahariens. Je suis convaincu que des Libyens, en secret, subissent des maltraitances tout aussi insoutenables. Je n’excuse pas pour autant ces esclavagistes. Au nom de la démocratie, il y a de cela quelques années, une coalition franco-britannique a démis le dictateur Kadhafi pour laisser place à l’enfer que nous connaissons.  Je m’en veux d’assombrir un album si lumineux ! Déjà, Guillaume d’Orange écrivait : Qui chante / Son mal l’enchante. Redonnons la parole à MC Solaar pour conclure en beauté :

Il dit qu’un jour arrivera la Venue du Messie.
Qui sera précédée par l’avenue du Messie,
Elle-même précédée par la venue de MC.
Comme des rastafaris, disons : yeah man !