Prix. Solennel, Régis Debray nous invite à bien réfléchir. «Cette journée marquera nos annales, tel un point d’inflexion dans la courbe longue d’un changement de civilisation», écrit-il. Rien de moins.
Nous en étions restés à l’atrophie médiatique sans précédent et à cette «bulle Johnny» qui avait fini par saouler certains de ceux qui l’aimaient, et nous voilà soudain plongés, explique Debray, dans «l’éclatante consécration du glissement de la graphosphère à la vidéosphère, enfin parachevée». Changement de civilisation, peut-être (nous lui accordons notre crédit), changement d’époque, assurément. L’image-son domine. Et nous broie. «Elle instaure pour tout créateur symbolique aspirant à la reconnaissance, écrivain inclus, l’obligation, sinon d’être une bête de scène, du moins de crever l’écran,poursuit le philosophe. Ce qui exige une physionomie reconnaissable, une gueule, un look, un ton de voix – ou un balbutiement singulier.» Prenant appui sur l’œuvre et le destin de Julien Gracq (nous aimerions tant pouvoir hurler en place publique «nous avons tous quelque chose en nous de Gracq»!), Régis Debray pense que le «populisme oligarchique, grossièrement adopté par M. Sarkozy, se poursuit en plus élégant et plus fin, à l’image du régent, mais au prix d’embrassades et de bisous dont on devra payer le prix». Enfin, il cite une phrase de Gracq, extirpée du Rivage des Syrtes (1951): «Ce qui a été lié aspire à se délier, et la forme trop précise à rentrer dans l’indistinction.» Nous ajouterons, à titre personnel: l’indifférenciation. Le monde tourne carré, la société française avec.
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 15 décembre 2017.]