Priscilla, reine du désert, au Theater-am-Gärtnerplatz de Munich

Publié le 15 décembre 2017 par Luc-Henri Roger @munichandco

Armin Kahl (Tick), Erwin Windegger(Bernadette), Terry Alfaro (Adam)
© pour toutes les photos Marie-Laure Briane


Basée sur le  brillant film éponyme australien à succès  Priscilla -Reine du désert de Stephan Elliott de 1994, la comédie musicale créée en 2006 raconte l'histoire passionnante de trois amis, des artistes travestis, qui entreprennent  ensemble, en quête d'amour et d'amitié, le voyage de leur vie à travers  cet arrière-pays australien  qu'on désigne là-bas sous le nom d'outback. Ce voyage, qui se déroule au moyen d'un bus surnommé  "Priscilla" se termine comme dans un rêve:  à la fin les trois amis ont gagné plus que jamais ils n'ont osé rêver, et ce qu'ils ont gagné ne se chiffre pas en dollars australiens mais en humanité!
La comédie musicale juke-box fut créée à partir du film avec  des tubes du disco des années 70 et 80 tels que It's raining men ou Girls Just Wanna Have Fun. Dès sa création elle remporta un immense succès tant à Broadway que dans le  West End londonie. Elle est montée pour la première fois en langue allemande (allemand de Michael Alexander Rinz) par le Gärtnerplatztheater.
Rappel du Synopsis 
Tick est fatigué de jouer les drag queens dans les pubs et cabarets de Sydney, et accepte l'offre d'un casino d'Alice Springs, au cœur de l'Australie. Il convainc ses deux amis et collègues de venir avec lui : Bernadette Bassenger, une transsexuelle dont le petit ami vient de mourir, et Adam, alias Felicia Jollygoodfellow, un jeune gay extraverti et (très) irritant. Ils embarquent pour ce périple de plus de 2 000 km à bord d'un bus, acheté à des Suédois et rebaptisé « Priscilla, folle du désert ».
Confrontée en cours de route à l'attitude rurale beaucoup moins tolérante envers l'homosexualité que la mégalopole et réussissant à surmonter les nombreuses pannes, la troupe finit par atteindre Alice Springs, prête à jouer le show répété durant le voyage. C'est alors que Tick révèle à ses compagnons qu'il est en fait marié, et que le but de ce voyage est surtout de rendre un service à sa femme, propriétaire du casino qui les a engagés et qui lui a demandé de s'occuper pour quelque temps de leur enfant, un garçon d'une dizaine d'années.
La production du Theater-am-Gärtnerplatz
Avec Priscilla, le Theater-am-Gärtnerplatz présente un des spectacles les plus aboutis de son répertoire avec une plastique et une intelligence scéniques impeccables, une comédie musicale qui va bien au-delà de la simple revue de travestis gays et qui, par sa construction et sa progression, campe en profondeur la psychologie des protagonistes et révèle leur croissance et leur transformation. 
Le metteur en scène Gil Mehmert, dont on connaissait déjà l'excellence du travail  par sa mise en scène de Hair dans ce même théâtre, dessine avec une grande connaissance de l'âme humaine les contours des trois personnages principaux: Tick, un homme assis entre deux chaises, oscille entre l'homosexualité flamboyante du travesti et sa paternité qu'il croit devoir assumer de manière conventionnelle, et donc en ne dévoilant pas son vrai métier,  pour finalement découvrir que son fils l'accepte et l'apprécie tel qu'il est vraiment; Bernadette, une transsexuelle plus âgée et que la vie a rendue philosophe, qui au cours du périple rencontre encore une fois l'amour, et Adam (Felicia Jollygoodfellow de son nom de scène), une jeune drag queen acide, provocatrice et venimeuse, qui découvre comme tout un chacun son besoin d'amitié, d'authenticité et de chaleur humaine. Sous les paillettes et le glamour de la revue gay, au-delà des fabuleux rythmes de la musique disco, le spectacle véhicule un profond message d'acceptation de soi et de l'autre, et le périple australien si bien décrit se double d'une étude des moeurs rurales et d'un voyage intérieur, à la découverte du soi véritable, dont tous les protagonistes, -et par effet cathartique le public-, sortent grandis. Mehmert fait souvent usage de la caricature, mais cet humour reste bon enfant sans n'être jamais destructeur.
Qu'on se rassure, les paillettes et l'exubérance d'une grande revue sont au rendez-vous. Le film de 1994 s'était vu couronner de l'Oscar des meilleurs costumes. Les extraordinaires costumes d'Albert Mayerhofer, qui s'est pour Priscilla lâché encore plus qu'à l'ordinaire, valent à eux seuls le déplacement  et méritent au moins la même récompense pour l'énorme travail et pour leur extravagance qui ne semble plus connaître de limites. Gil Mehmert réalise un spectacle total avec un extrême souci des détails, des mises en place et des déplacements, avec des enchaînements d'une souplesse et d'une mécanique impeccables, le tout en parfaite collaboration avec la chorégraphe Melisse King et le décorateur Jens Killian

Terry Alfaro (Adam), Angelika Sedlmeier(Shirley),
Erwin Windegger (Bernadette),  Armin Kahl (Tick), Ensemble


Priscilla, le bus grandeur nature, est un personnage essentiel de l'action, et semble doté d'une âme dont le plateau tournant dévoile les diverses facettes, un bus décoré d'une énorme chaussure scintillante, façon pumps, à laquelle seront attachés de longs voiles flottant dans le vent du désert et formant comme une traîne. Le bus parcourt l'Australie souvent figurée par une immense carte projetée et animée sur le rideau transparent d'avant-scène, et ses étapes permettent de découvrir divers aspects d'une Australie profonde dans laquelle il ne fait pas toujours bon d'être gay ou travesti. Mehmert réussit à croquer les diverses mentalités locales avec un humour pointu combiné à  un sens aigu de l'analyse sociologique. Ainsi de la représentation du bar de Broken Hill, un trou perdu en milieu minier, et de son extraordinaire patronne, Shirley (extraodrinaire Angelika Sedlmeier) , une matrone autoritaire et  baraquée, qui n'a pas sa langue en poche . Le travail de l'adaptation musicale est lui aussi à souligner, avec des détournement strès réussis des textes des chansons adaptés aux situations vécues, comme par exemple cette chanson d'amour d'Elvis Presley recyclée en aveu d'amour paternel lorsque Tick se trouve enfin en présence de son fils.
La troupe de danseurs, de l'ensemble et des choeurs est magnifique tout au long de la représentation, qu'il s'agisse de représenter la pluie d'hommes du premier tableau (It's raining men, Alleluiah!) qui descendent des cintres en cirés, dont ils se débarrassent bien vite pour jouer des muscles à la manière Village people, de figurer une troupe de folles endeuillées à l'enterrement du jeune amant de Bernadette, ou d'exécuter  une danse des gâteaux et des cakes, de ces cakes aux sucreries colorées que l'on agrémente de petits parasols chinois. L'orchestre dirigé par Jeff Frohner nous entraîne dans les rythmes affolants du disco et semble n'avoir jamais joué que ce type de musique! Armin Kahl réussit un Tick émouvant et sensible, rendant extrêmement bien l'évolution et la transformation de ce personnage peu assuré,  Terry Alfaro campe bien les flamboyances et les fulgurances d'Adam, Erwin Windegger donne une interprétation magistrale de Bernadette, sans donne un des plus beaux rôles de sa riche carrière, avec un jeu d'acteur sensible qui n'a d'égal qu'une performance vocale aux accents authentiques et qui va droit au coeur. 

La troupe à Ayer Rock. Grand final


Aux applaudissements, toute la salle s'est levée comme un seul homme. Une standing ovation  interminable a salué ce tout grand spectacle qui marie l'art de la grande revue gay, dans lequel le public participe souvent en battant la cadence des musiques, qui provoque le rire et l'amusement et arrache des larmes.
Il faut courir voir ce spectacle si l'on y trouve encore une place. Il se joue pour encore pour 18 représentations jusqu'au début avril 2018. Dates et tickets: cliquer ici.