Crossing-Over

Par Artpaper

Un petit retour sur mon exposition « CROSSING-OVER », à la galerie Yossi Milo de New York, en septembre dernier. Voici les photos  ainsi que le texte de  l’exposition.

Crossing-over Exposition personnelle

Texte de Pauline Giroux,  Yossi Milo Gallery – New York – 2017

Le travail de Nathalie Boutté naît d’une interaction entre l’artiste et d’anciennes photographies, daguerréotypes et autochromes, choisis lors de ses recherches documentaires. Cette rencontre engendre un processus de trois étapes, l’appropriation, la dématérialisation et la reconstruction  de ces images à travers le collage de languettes de papier. Chez Nathalie Boutté le papier est au centre de l’œuvre, les photographies sont ses sujets d’étude et doivent s’adapter au support, qui ne permet pas tout. Le collage des languettes de papier n’intervient que lorsque l’artiste s’est approprié à la fois l’image qui lui sert d’inspiration, le personnage représenté et parfois même son histoire. Toutes ces informations se conjuguent pour définir le choix du papier, le texte imprimé, les couleurs et les nuances. Nathalie Boutté découpe numériquement l’image et la modifie de façon à pouvoir l’adapter aux languettes de papier. Le collage des différentes languettes, selon leurs nuances, vient recréer ces images sous un angle nouveau, une esthétique opposée à la netteté des photographies originales. Le spectateur se trouve confronté à la beauté plastique de l’œuvre et s’interroge sur la technique. Entre dessin, sculpture, collage, peinture et photographie, les œuvres de Nathalie Boutté intriguent brouillent les pistes et nous projettent dans des œuvres tridimensionnelles, aux interprétations infinies.

La pratique artistique de Nathalie Boutté est ancrée dans une recherche sur l’authenticité de la matière. Avant même le travail du papier, la première étape de son processus de création est la rencontre avec une photographie, daguerréotype ou autochrome  qui sont historiquement les premiers moyens de fixation de l’image photographique en noir et blanc et en couleur.  La qualité de ces photographies du XIXème siècle, leur grain, leur netteté, la transparence et la sensibilité des couleurs de l’autochrome sont autant de caractéristiques que l’on retrouve ensuite dans les œuvres de Nathalie Boutté. L’artiste dématérialise, déconstruit ces images à l’aide des technologies numériques pour une matrice de collage. Grâce à cette trame elle reconstruit progressivement l’image en superposant minutieusement ses languettes de papier. Avec ce processus Nathalie Boutté donne une nouvelle matérialité à ces images, l’image photographique transformée devient œuvre de papier.  Là où le daguerréotype se fait le support fidèle d’une réalité objective, Nathalie Boutté le dénaturalise, le projetant dans un nouveau médium et en propose une interprétation autre, loin de la fixation « réelle » et immédiate propre à la photographie.

En opposition au procédé chimique des daguerréotypes et des autochromes, le pixel est dans le monde de l’image numérique le composant de l’image photographique. Tout au long de son processus, l’artiste utilise le pixel comme moyen. Le pixel tel qu’on le connait dans l’image numérique devient visible, il s’individualise, et participe à la construction de l’image en devenant un élément tridimensionnel sous la forme d’une languette de papier.  La superposition de ces languettes apporte un volume et crée un flou. Selon le point de vue, le lointain ou le proche on voit dans ces œuvres quelque chose de différent bien que le personnage représenté soit perceptible par tous. A une certaine distance l’image se recompose et devient une surface plane, on a alors le sentiment d’être devant un dessin. En se rapprochant, les lettres du texte apparaissent, les couleurs se font plus vives, le portrait disparaît au profit d’un ensemble géométrique qui laisse place au collage.

Nathalie Boutté a l’amour du papier. Elle manipule aussi bien les livres anciens, les cartes routières, les billets de banque, le papier japonais… C’est sa diversité qui a attiré l’artiste vers ce médium.

Selon la technique d’origine à laquelle elle se réfère, le daguerréotype ou l’autochrome, Nathalie Boutté change de papier, il est légèrement teinté pour les daguerréotypes et très blanc pour les autochromes. Ce choix est lié aux supports originels, la technique de l’autochrome connait un grand succès au XXème siècle en raison de sa capacité unique à rendre compte des différentes luminosités de la couleur. Ainsi la couleur devient sensible, elle « vibre ». L’utilisation de l’encre sur le blanc immaculé du papier japonais lui permet d’obtenir des languettes de couleurs vives et transparentes dont la superposition rappelle la profondeur et la sensibilité de la couleur des autochromes.

Pour les Daguerréotypes, l’artiste utilise un papier plus foncé, en référence au noir et blanc presque Sépia de ces photographies. Elle imprime le papier avec un texte lié à l’histoire du personnage ou de son contexte. La dimension narrative des portraits de Nathalie Boutté est alors évidente et la place du papier dans l’histoire qu’elle transmet y est prépondérante : le papier est également le support de la pensée transmissible, le vecteur de la mémoire collective, de l’information, de l’Histoire, de nos histoires. Parfois même le papier participe au discours de l’artiste. Dans sa série sur les Indiens d’Amérique, elle brûle légèrement les languettes de papier sur leur extrémité pour dénoncer le non respect, par le gouvernement américain, des traités signés avec les tribus indiennes. Le papier ainsi brulé devient plumage, le flou étant accentué par l’absence de coupure nette des languettes.

L’œuvre de Nathalie Boutté est un voyage, elle s’inspire des matériaux les plus nobles et authentiques de la photographie, se déconstruit à l’aide des techniques les plus modernes pour se recomposer grâce au papier, support séculaire de la pensée, de l’histoire et du souvenir.

La relation entre texte et image est visuellement discrète dans l’œuvre de Nathalie Boutté mais pourtant essentielle à la narration. On ne distingue pas au premier coup d’œil que les nuances de gris ou de bleu sont le résultat d’une manipulation des typographies utilisées. Ce contenu insoupçonné est une nouvelle étape dans la découverte de ces œuvres, une mise en abyme de l’image et de la perception du spectateur. La singularité du travail de Nathalie Boutté dépasse alors l’originalité de la technique : chaque regard porté sur ces portraits est unique, chacun voit et lit à sa manière. Le texte et l’image s’interprètent, ils s’adaptent à celui qui regarde… vers quelle réalité la reconstruction d’une image photographique peut-elle nous porter ?

Texte de Pauline Giroux