« La discontinuité de l’opération de penser est réelle »
Pascal Quignard
Sur le plan de l’écriture, Lambert Schlechter joue subtilement avec la rupture ; le fragment tranche avec ce qui s’interrompt, mais crée une continuité invisible. C’est de l’attaque interrompue dans son fil pensif. Chaque fragment semble une partie détachée d’un tout ; un geste émanant d’un corps-texte.
Lambert Schlechter ne fait pas fi de la subjectivité, n’écarte nullement le d’où-ça-part, l’écriture, d’un ego ouvert, centrifuge, et nombreuses sont les anecdotes de la vie quotidienne, voire les détails de sa vie sexuelle. En pourfendeur de l’austère religion chrétienne, irréligieusement impie, Lambert Schlechter a une pensée sexuelle du monde : le petit pénètre le grand. (« Derrière une infinie fine membrane invisible, tout le temps là, tout près : l’indescriptible béance du néant »)
Des pensées labiles et variées, à l’image de son maître et seigneur de Montaigne, dont la grandeur l’aspire : « Montaigne, en vingt ans d’écriture permanente, avait le temps et le loisir d’écrire plusieurs livres — et c’est d’ailleurs ce qu’il a fait, sauf qu’il les a tous mis, intercalés & enchevêtrés dans un seul « (12 : 9) ; des pensées enfilées les unes à la suite des autres comme les perles sur le fil d’un collier, reliées entre elles sur ce fil ténu pour rabouter une totalité tout autant ténue, puisqu’il s’agit ni plus ni moins du monde. Mais des pensées si prégnantes et présentes qu’on pose un regard tactile sur elles, qui dispensent alors au lecteur un étonnement jouissif à longueur de lignes. Composé de 28 chapitres, le livre ne fait pas le tour de la question de l’homme et loin de là et c’est bien, car le « Murmure » est infiniment ouvert.
Jean-Pascal Dubost
1 Les volumes 7 et 8 sont à paraître, et le 9 est en chantier.
Lambert Schlechter, Monsieur Pinget saisit le râteau et traverse le potager, « Le Murmure du monde/6 », Editions Phi, 2017, 136 p., 19€
Lire la note de Mathieu Jung publiée ce même jour dans Poezibao.