Analyse d’une polémique : Le scandale du dopage d’Etat en Russie

Publié le 05 janvier 2018 par Infoguerre

Existe-t-il une guerre informationnelle opposant la Russie aux Etats-Unis (plus largement les occidentaux) autour du scandale présumé de dopage d’Etat organisé par la Fédération de Russie, révélé par un rapport de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) publié en novembre 2015. En effet, le sport a été un terrain privilégié de la rivalité entre l’URSS et les États-Unis durant les années de Guerre froide, et cela d’autant plus que les victoires et défaites sont télévisées à l’échelle du monde. L’organisation des Jeux olympiques, et  le nombre de médailles obtenues, étaient des enjeux de puissance importants pour ces deux empires.

Les récents développements autour du dopage russe sont révélateurs non pas d’une nouvelle Guerre froide sportive (il n’est plus question d’une opposition entre deux idéologies), mais tout du moins d’une incontestable confrontation en matière de politique de puissance sur fond de concurrence économique exacerbée par la mondialisation, plus simplement formulé, sur fond de guerre économique.

La naissance de la polémique durant la période soviétique
La question de la lutte contre le dopage dans le monde du sport est depuis fort longtemps une question controversée, sujette à de nombreuses polémiques, et a toujours eu de fortes implications géopolitiques. Dans les compétitions internationales de l’après-guerre, les rumeurs d’absorption de produits stimulants sont légion.  Durant les années 1950 et 1960, la prise régulière d’amphétamines, de testostérone ou encore d’anabolisants par une partie des sportifs de l’époque commence à constituer un problème. Les rumeurs enflent et les prises de position contre le dopage se multiplient.

Ainsi dès leur apparition dans les compétitions de très haut niveau, les performances incroyables des athlètes soviétiques suscitent de multiples interrogations. Alors qu’elles peuvent s’expliquer par la planification, la coordination et la centralisation précoce des entrainements et des structures de performances, comme par la prise en charge totale du sportif sous le système communiste, les médias occidentaux et certains dirigeants sportifs (pour la plupart issus des Etats-Unis) multiplient les dénonciations : ces performances ne seraient explicables que par la prise de produits dopants. L’URSS ne respecterait pas les règles internationales et chercherait à pervertir les valeurs du sport promues par les puissances occidentales. Le thème du dopage sert donc à révéler la duplicité soviétique et la falsification de ses succès quand bien même la pratique du dopage demeure abondante et partagée par les compétiteurs du monde entier.

Dans la presse soviétique, c’est la situation inverse qui est décrite : les représentants de l’URSS seraient probes et seraient confrontés à des adversaires qui ne respectent pas les règles de la compétition. Les contrôles positifs de plusieurs sportifs occidentaux lors des Jeux Olympiques de Munich en 1972 confirment les doutes soviétiques.

Tout en devant affronter la découverte de nouvelles pratiques de dopage soutenues par les progrès scientifiques et souvent par les Etats eux-mêmes (RDA mais aussi RFA), l’essor de la lutte antidopage fait face à de vives contestations. En effet la pression nationaliste interfère avec la question du dopage, comme avec les enjeux commerciaux et compétitifs. C’est ainsi qu’en 1984, les responsables des Jeux olympiques de Los-Angeles freinent les contrôles antidopage, considérant qu’ils constituent une possible cause de l’échec économique de cette compétition.

En 1999, face à la pression de certains Etats, le CIO (Comité International Olympique), qui était jusque-là chargé de la lutte antidopage, accepte la création d’une autorité indépendante, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA), financée par le CIO lui-même et les gouvernements (en premier lieu les Etats-Unis). Faisant preuve d’une action jusque-là assez faible et inefficace, l’AMA connait une vigueur renouvelée avec cette affaire du présumé scandale de dopage d’Etat en Russie, donnant une véritable visibilité à cette institution jusque-là assez atone.

Un débat non dénué de contradictions
Vladimir Poutine est un adepte de ce que l’on pourrait appeler « la stratégie du muscle », celle de la démonstration de force tant sur le plan militaire et politique que sportif. Si de moins en moins de démocraties occidentales misent sur l’imaginaire viril du sport pour promouvoir l’image de leur pays, la Russie, elle, n’a pas abandonné ce terrain-là, bien au contraire. La continuité avec la période soviétique est évidente. Mais plus largement, c’est la puissante Russie des Tsars que Poutine semble déterminée à ressusciter par ce biais, notamment car le sport lui permet de réactiver le nationalisme de la grande Russie d’antan.

Devenus très actifs au sein du monde olympique au fil des années 1960 et 1970, les Russes sont aujourd’hui très influents au sein de plusieurs fédérations internationales sportives (FIS), particulièrement dans les sports de combat. Le ministre russe des sports, Vitaly Mutko (promu récemment Vice Premier Ministre par le Kremlin malgré les accusations portées à son encontre par le rapport de l’AMA), qui est président du Comité d’organisation du Mondial 2018 de football en Russie, est membre du comité exécutif de la FIFA. Une influence donc rarement vue pour les autorités russes au sein des instances sportives internationales.

Un autre signe révélateur de cette ambition sportive des Russes : leur tentative récemment manquée de prise de contrôle de SportAccord, le consortium des fédérations internationales sportives (FIS) olympiques et non olympiques qui conteste de temps à autre au CIO sa légitimité en tant qu’institution maitresse du sport mondial.

En matière de sport, les Etats-Unis agissent en réalité davantage sur le terrain économique. Ainsi la majorité des principaux sponsors du CIO sont des firmes multinationales américaines. Conscient des ambitions russes, ils entendent défendre voire conquérir des positions solides, non pas en jouant la partie en force comme le fait Vladimir Poutine, mais en s’appuyant sur les règles du droit international sportif émergeant, justement façonné par des institutions américaines ou sous influence américaine.

C’est ainsi de la justice américaine que sont partis les premiers coups portés à la FIFA, institution où la Russie a du poids, en 2015 pour contester l’attribution des Coupes du monde 2018 à la Russie et 2022 au Qatar. Et c’est encore des Etats-Unis, par l’intermédiaire de l’USADA, l’agence américaine antidopage elle-même soutenue par la plupart des médias occidentaux, que sont venues les accusations les plus nettes envers le dopage russe et les appels les durs à sanctionner ce pays. Elle tire en grande partie son prestige des révélations faites sur l’usage généralisé du dopage par l’équipe cycliste américaine US Postal (puis Discovery Channel) qui permit à son leader Lance Armstrong de remporter sept Tour de France d’affilée.

Par ailleurs, la récente élection de l’américaine Angela Ruggiero, ancienne championne de hockey sur glace à la tête de la Commission des athlètes du CIO (cette commission est la voix des athlètes au sein du CIO et du Mouvement olympique), peut être analysée comme un signe supplémentaire d’une contre-offensive des Etats-Unis.

Car s’il existe véritablement un acteur pivot dans cette affaire, placé au centre de toutes les sphères d’influence, et possédant un poids décisionnel éminemment important dans le monde du sport, c’est bien le CIO. Au cours de la Guerre froide, le CIO a toujours appliqué une « diplomatie du balancier », accordant alternativement l’organisation des Jeux Olympiques aux Etats-Unis et à l’URSS et à leurs alliés. Il poursuit aujourd’hui cette stratégie, avec un même souci de limiter autant que possible l’ingérence des Etats dans les affaires sportives.

Le déroulement de cette polémique se divise en quatre séquences  bien distinctes qui ouvrent tour à tour un espace de réaction dans lequel se sont engouffrés les différents acteurs.

Première séquence

décembre 2014 – mai 2016 : La diffusion de trois reportages par la chaine allemande ARD relatant l’existence « présumée » d’un dopage d’Etat en Russie et la publication d’un premier rapport par l’AMA

Faits : C’est suite à la diffusion du premier épisode d’une série de trois reportages, premier épisode intitulé « Le dopage secret : comment la Russie crée des champions », réalisée par le journaliste et écrivain allemand Hans-Joachim Seppelt et diffusée par la chaine de télévision publique allemande ARD, que l’opinion publique prend connaissance de l’existence présumée d’un scandale de dopage organisé par l’Etat russe, supervisé par le ministre des sports Vitaly Mutko lui-même et facilité par le travail des services secrets russes (FSB). Ces reportages, réalisés suite à la demande personnelle de l’enquêteur en chef de l’AMA Jack Robertson – qui souhaitait obtenir l’attention des médias afin de donner davantage d’ampleur à ce présumé scandale – mettent notamment en scène les athlètes russes Vitaly Stepanov et sa compagne Yuliya Stepanova bannie en 2013 de toutes compétitions sportives pour deux ans suite à la découverte d’anormalités sur son passeport biologique. Cette dernière révèle lors du premier reportage en 2014, le dopage systématique des athlètes russes depuis 2010, décrivant même un dopage type « Allemagne de l’Est ». A la suite de ces allégations, l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) publie le 9 novembre 2015 une enquête décrite par The Guardian comme « accablante », le rapport faisant notamment état de l’existence d’une collaboration active des services secrets russes (FSB) afin de faire pression sur les membres du Centre antidopage de Moscou pour que les échantillons positifs soient dissimulés. Le 10 novembre 2015, l’AMA suspend le Centre antidopage de Moscou. Le 13 novembre, l’IAAF (Fédération Internationale d’Athlétisme) interdit avec effet immédiat la participation de tout athlète russe à une compétition internationale. L’ARAF (Fédération Russe d’Athlétisme) accepte la décision sans faire appel. Le 18 novembre 2015, l’AMA suspend cette fois la RUSADA, l’agence russe antidopage, la Russie ne possédant plus alors d’agence antidopage indépendante, et ce pour aucun sport. En février 2016, Grigori Rodchenkov, directeur de laboratoire décrit par le rapport de l’AMA comme « le cœur du dopage en Russie » est congédié par les autorités russes. Ce dernier craignant pour sa sécurité fuit aux Etats-Unis et partage notamment ses informations sur le système de dopage russe lors des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014. Le 19 mai 2016, l’AMA nomme le canadien Richard McLaren pour mener une enquête approfondie sur les JO de Sotchi.

Les réactions occidentales:

  • Lorsque certains athlètes critiquent vivement l’AMA en arguant du fait que l’agence disposait de certaines informations depuis plusieurs années, couvrant ainsi indirectement les agissements des sportifs russes, l’AMA déclare que l’agence n’avait pas l’autorité pour mener à bien ses propres enquêtes jusqu’en 2015. Le 1er juin 2015 un article de The Guardian annonce que « le nouveau rapport de l’AMA en juillet influencera la décision du CIO quant à la présence de la Russie au Jeux Olympiques».
  • A la suite de la série de reportage diffusée à la télévision allemande, la chaine américaine CBS News (Russia Dark Secret) et la chaine franco-allemande Arte en partenariat avec le journal Le Monde (Plus vite, plus hauts, plus dopés) ont diffusé respectivement en mai et juin 2016 un reportage présentant le dopage en Russie

Les réactions russes:

  • Le 17 juin 2016, Vladimir Poutine déclare qu’en Russie « il n’y a et il ne peut y avoir aucun soutien de l’Etat, spécialement en ce qui concerne le dopage». Le lendemain, il poursuit en déclarant que « les allégations font partie d’une politique anti-russe de l’Occident ».
  • Aleksei Pushkov, président des affaires étrangères russes au parlement, estime lui que la décision est un « acte de vengeance de politique contre la Russie pour sa politique étrangère indépendante»

 

Seconde séquence

18 juillet 2016 : La publication d’un second rapport par l’AMA révélant l’existence « avérée » d’un système de dopage organisé par l’Etat en Russie et impliquant les services secrets russes

 

Faits : Le 18 juillet 2016, Richard McLaren publie un rapport de 97 pages sur un important système de dopage mis en place par l’Etat russe. Le rapport conclut « qu’il est montré hors de tout doute raisonnable », que le ministère russe du Sport, le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie (FSB) et le laboratoire accrédité par l’AMA à Moscou ont participé à un système de dopage organisé afin de protéger les athlètes russes et dissimuler leurs résultats positifs. La méthode utilisée est intitulée dans le rapport « Disappearing Positive Methodology » et aurait été utilisée entre fin 2011 et août 2015. Suite à la divulgation du rapport, l’AMA préconise que la Russie soit tout bonnement interdite de participer aux Jeux Olympiques d’été de 2016.

Réactions :

Les réactions occidentales

    :
  • Le 18 juillet 2016, le Comité des athlètes de l’AMA déclare « Bien que nous ayons été au courant des allégations, il est stupéfiant de lire le rapport aujourd’hui, de prendre connaissance des preuves et constater le niveau de dopage et de fraude».
  • Par ailleurs, le Comité des athlètes de l’AMA, l’Institut des organisations antidopage nationales, les dirigeants des agences anti-dopage en Autriche, Canada, Danemark, Egypte, Finlande, Allemagne, Japon, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Norvège, Espagne, Suède, Suisse et Etats-Unis, ainsi que la quasi-totalité des médias occidentaux appellent au bannissement de la Russie des Jeux olympiques de Rio 2016.
  • Un article du journal Le Monde titre « La Russie a voulu recréer un sport aussi compétitif qu’au temps de l’URSS » renvoyant les agissements de l’Etat russe à une volonté de retrouver sa splendeur sportive du temps de la guerre froide.

Les réactions russes

    :
  • Le 22 juillet 2016, la championne de saut à la perche Yelena Isinbayeva déclare « Que tous ces sportifs étrangers « propres » poussent un soupir de soulagement et gagnent en notre absence leurs pseudo-médailles d’or».
  • La presse russe (Russia Today, Sputnik, Novorossia…) critique massivement le rapport McLaren en arguant de la faiblesse des preuves alléguant d’une responsabilité de l’Etat Russe, « les interviews de Rodchenkov au New York Times, les films de Seppelt commandés par l’AMA elle-même, et les dires de Stepanova la traitre». Elle voit également dans la « révélation » de ce scandale de dopage, une nouvelle guerre médiatique (informationnelle) lancée à l’encontre de la Russie.
  • Vladimir Poutine regrette quant à lui « le retour de la politisation du sport»
  • Le journaliste Andrew Osborn de l’agence de presse Reuters analyse les réactions russes en expliquant que le gouvernement russe a « adroitement dévié le blâme en le faisant passer comme un complot occidental dans le style de la guerre froide pour saboter le retour international de la Russie»

Troisième séquence

24 juillet 2016 : La décision ambiguë du CIO laissant toute liberté aux FIS d’exclure ou non les athlètes russes des Jeux Olympiques de Rio

Faits : Le 24 juillet, le CIO à travers son président Thomas Bach rejette la recommandation de l’AMA d’interdire la Russie aux Jeux olympiques d’été et annonce qu’une décision sera prise par chaque fédération sportive, chaque décision positive quant à la participation d’un sportif russe aux JO de Rio devant être approuvée par un arbitre du TAS (Tribunal Arbitral du Sport). Par ailleurs le CIO précise que la lanceuse d’alerte Stepanova ne sera pas autorisée à participer aux Jeux Olympiques de Rio. 271 athlètes sur une liste de 389 (118 sont écartés dont 67 des 68 athlètes en compétition) participeront finalement aux JO de Rio quelques jours plus tard.

 

Réactions :

  • Les réactions occidentales
  • Le président de l’AMA Craig Reedie déclare « L’AMA est déçue que le CIO n’ait pas pris en compte la recommandation de son comité exécutif qui était basée sur les résultats de l’enquête McLaren et aurait assuré une approche claire, forte et harmonisée»
  • Le directeur général de l’AMA Olivier Niggli déclare à propos de la décision du CIO d’exclure Stepanova que son agence « est très inquiète du message que cela envoie aux lanceurs d’alerte à l’avenir ».
  • Le canadien Dick Pound, membre du CIO, déplore la décision de l’organisation dont il est membre en confiant « Le CIO est pour une raison que j’ignore, très réticent à envisager une exclusion totale des russes. Il faut que la Russie paie pour ses actes. Ca devrait être tolérance zéro pour le dopage. Mais ça a l’air différent pour la Russie».
  • Olivia Gerstenberg, journaliste pour la Deutsche Welle estime qu’avec cette décision, « la crédibilité du CIO est brisée une fois de plus, alors que celle du dopage parrainé par l’Etat reçoit un coup de pouce mineur ».
  • Paul Hayward pour le Daily Telegraph : « Le drapeau blanc de la capitulation survole le CIO. La portée politique profonde de la Russie aurait dû nous dire que cela arriverait». Il critique évidemment ici l’éternelle stratégie du balancier dont fait preuve le CIO. En fait sanctionner fortement la Russie, en la mettant au ban des nations sportives, c’était pour le CIO s’exposer à un risque de fracture majeure. Ne rien faire, c’était manifester une forme d’hostilité à l’égard des USA.
  • Les réactions russes:
  • Vitaly Mutko, ministre du sport russe, estime qu’il s’agit d’une « décision juste et équitable et nous espérons que chaque fédération aura le même genre de décision. Le dopage est un mal dans le monde entier, non seulement en Russie».
  • La réaction de la presse russe est quant à elle presque euphorique, The Guardian résumant « La Russie jubile suite à la décision du CIO»

 

 

 

Quatrième séquence

14 septembre 2016 : Le hacking de documents confidentiels de l’AMA par des supposés hackers russes relance la polémique : la Russie contre-attaque ?

 

Faits : Des pirates informatiques ont mis en ligne, mardi 13 septembre, des documents internes à l’AMA concernant quatre athlètes américaines (parmi lesquelles les sœurs Williams) ayant participé aux jeux olympiques de Rio. Les documents publiés attestent de la prise de produit interdits par ces sportives. Seulement ces résultats d’analyse n’ont jamais été considérés comme positifs  car les intéressées disposaient « d’autorisations à usage thérapeutique » (AUT) pour les substances en question. Dans son communiqué, l’AMA explique que les forces de l’ordre ont identifié les responsables du piratage. Il s’agirait des Fancy Bear, groupe de hackers d’envergure étatique fortement soupçonnés d’être une émanation du renseignement militaire russe, soupçonnés également d’avoir piraté récemment le site du parti démocrate américain ou encore TV5 Monde.  Consciente de la nécessité de faire bouger les lignes, le CIO a demandé à l’AMA – dans un climat lourd de relations tendues entre les deux instances – de créer une agence chargée de l’ensemble des tests antidopage pour rendre ces derniers indépendants des fédérations sportives internationales. Le CIO a également réclamé à l’AMA une hausse de son niveau de sécurité afin d’éviter un nouveau piratage.

Réactions :

  • Réactions occidentales :
  • Olivier Niggli, directeur général de l’AMA déclare : « Ces actes criminels compromettent grandement l’effort de la communauté mondiale antidopage de rétablir une relation de confiance avec la Russie», une façon de sous-entendre une vengeance russe suite à la révélation du scandale de dopage d’Etat dans le pays qui a tant fait parler durant les Jeux olympiques.
  • Les médias occidentaux accusent pour la plupart la Russie de tenter de discréditer la première puissance sportive mondiale (les Etats-Unis ont largement obtenu le plus grand nombre de médailles aux JO de Rio), The Telegraph évoquant « une attaque criminelle des hackers russes».
  • Certains spécialistes du cyber-espionnage réfutent cette théorie. En effet créer un site internet ne serait pas du tout dans les habitudes de ce groupe de hackers. L’imagerie et les références textuelles aux Anonymous semblent également éloignés des standards du renseignement militaire russe.
  • D’autres spécialistes du cyber-espionnage vont jusqu’à imaginer que les Chinois, qui adorent se faire passer pour des russes dans ce genre d’opérations, pourraient être impliqués dans une forme de tentative de déstabilisation des instances internationales et des sportifs américains, en première lignes dans ces révélations faites par les hackers.

 

Réactions russes :

  • Sputnik titre le jour même de la cyber-attaque : « Quand les sportifs américains se dopent, ce sont les russes qui trichent» et accuse l’AMA de faire une « politique deux poids, deux mesures » en punissant tout à la fois les athlètes russes et en passant sous silence un « traitement bien particulier pour les américains ».
  • Les médias russes se félicitent que la BBC admette néanmoins que  la confiance qu’elle accordait aux sportifs américains est ébranlée. Ils félicitent également ironiquement les médias occidentaux d’avoir réussi à faire croire à leurs lecteurs, que la prise de substance illicites par les sportives américaines était tout à fait légale, « ce qui constitue un exploit digne d’une médaille olympique».
  • Le Kremlin a quant à lui nié « toute implication de Moscou, du gouvernement russe ou de tout autre service russe», soulignant qu’il fallait « éviter de tirer des conclusions superficielles et que les accusations sans preuves n’honorent aucune organisation »

 

Résultat de la polémique

Cette récente affaire témoigne de la difficulté à collaborer et à définir des positions communes entre les différentes instances représentant le sport mondial (CIO, fédérations sportives pour la plupart sous l’égide de SportAccord, AMA, TAS, USADA) tant leurs intérêts peuvent sembler divergents, voire contradictoires. Elle révèle également l’usage par les dirigeants sportifs internationaux de la question de la lutte contre le dopage à des fins politiques, fédérales comme internationales.

Dans le contexte d’hostilité à l’égard du régime poutinien et de prétendue nouvelle « Guerre froide », la réactualisation de la notion de « dopage d’Etat », fréquente dans les années 1970 et 1980, chez les détracteurs de l’URSS et de la RDA, semble particulièrement opérante pour discréditer un régime politique et démontrer sa filiation avec les pratiques passées d’un régime honni. On peut à ce titre parler d’une véritable guerre de l’information dans ce contexte.

Or, la situation se différencie notablement du dopage méthodique et centralisé est-allemand. Elle témoigne plutôt des failles du régime poutinien (difficulté à coordonner une politique sportive efficace et cohérente), des difficultés de la société russe contemporaine (corruption endémique), comme des problèmes inhérents à la société sportive internationale (concurrence accrue, appât du gain et des victoires, nécessité des performances, intensité de la profession sportive, difficulté de coordination entre les instances internationales).

Le sport russe entaché et ridiculisé par les allégations du rapport McLaren (malgré une indulgence en apparence du CIO) tente de retrouver progressivement une respectabilité sur la scène sportive internationale (création d’une commission de dopage indépendante, restructuration du personnel au ministère des sports, vote d’une loi par le parlement qui criminalise le dopage en Russie) en vue notamment de l’organisation de la Coupe du monde 2018. Par ailleurs, en donnant une valeur probante aux documents publiés par les Fancy Bear, les médias russes essayent de décrédibiliser à leur tour le sport américain. On pourrait y voir une forme de contre-attaque informationnelle fomentée par la Russie. On assiste donc en l’espèce à un jeu d’acteur en mouvement perpétuel sur fond d’enjeux de puissance. Nous verrons quelle en sera l’évolution future notamment avec l’élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis et le départ de l’administration Obama particulièrement hostile au clan Poutine.

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