Scarface. The world is yours

Par Balndorn


Il y a encore peu, Scarface faisait partie des « classiques » américains que je n’avais jamais vus. Maintenant que j’ai comblé ce manque dans ma culture cinéphile, je peux le dire : faut-il vraiment s’y attarder ?
Le crime organisé, quintessence de l’American Dream
À mes yeux, les années 80 ne valent pas tripette pour le cinéma américain. Les auteurs révélés lors de la décennie précédente cèdent aux sirènes de Hollywood : Spielberg, avec E.T. ou Indiana Jones, films très divertissants mais tellement imités par la suite. Ou s’abîment dans de grandes fresques néo-classiques, à l’instar de De Palma. Parmi ces dernières, on compte Le Parrain (Coppola), Ragging Bull(Scorsese) et bien sûr, Scarface.Le film de gangsters ne manque pourtant pas d’intérêt. De Palma renverse en effet le préjugé du genre : le crime organisé n’est pas l’envers du rêve américain, mais sa quintessence. Par son parcours from rags to riches– d’immigré cubain au boss de Miami – Tony Montana (Al Pacino) reprend à son compte le mythe du self-made-man, dans sa version la plus crue, la plus bestiale : l’individualisme pur. « The world is yours », clame un slogan de la Pan American ; un credo qui sied parfaitement à l’éthique conquérante de Tony, qui voit le monde comme une formidable mine à exploiter pour son seul intérêt.La reprise du slogan de la compagnie aérienne s’effectue dans une logique plus générale de l’appropriation du mythe libéral. « J’ai travaillé dur, je le mérite ! » hurle Tony, doigts de pieds en éventail dans sa baignoire de marbre. Se pose alors une question redoutable : des patrons et des gangsters, qui a inspiré l’autre ? À défaut de répondre, De Palma suggère un audacieux rapprochement : comme s’en vante le héros ivre mort dans un restaurant huppé auprès de riches clients, il « s’occupe de leurs sales affaires ». Le crime organisé est comme l’ombre du capitalisme bourgeois : invisible et nécessaire.Car entre le commerce licite et le commerce illicite, les frontières s’avèrent poreuses. Les milliardaires partagent tous une esth-éthique de l’ostentation. À ce titre, la villa de Tony représente un chef-d’œuvre du mauvais goût : avec ses fresques en stuc inspirées de Pompéi et ses murs pourpres pillés à Cinecittà, la demeure renvoie l’image d’un empire corrompu, rongé de l’intérieur, à l’image du célèbre tableau de Thomas Couture, Les Romains de la décadence. La villa de Tony pourrait bien servir d’allégorie de l’empire américain : comme le truand cubain, les États-Unis se sont bâti un empire par le pillage des autres cultures, et végètent à présent en attendant l’inexorable chute.
La fresque néo-machiste
Cependant, à force de trop coller au style exubérant des gangsters, De Palma finit par adhérer à leur esth-éthique. Il n’y a finalement pas tant de différence entre les fausses fresques pompéiennes et la grande (et interminable) fresque cinématographique. Dans cette forme surannée, imitée des péplums des années 60 (Ben-Hur en tête), De Palma s’abîme, et perd ce qui le singularisait au sein du Nouvel Hollywood : un style excentrique, qui fait feu de tout bois, à l’exemple du délirant Phantom ofthe paradise. Manque surtout un autre point de vue. Le contrechamp critique. Scarfacesouffre en effet de son caractère monofocal : trop centré sur la personnalité de Tony, la mise en scène rend de fait passifs les autres personnages. À commencer par les femmes. Objet de son désir (Elvira/Michelle Pfeiffer), adjuvante (sa sœur Gina/Mary Elizabeth Mastrantonio) ou opposante (sa mère/Miriam Colon), toutes gravitent autour de l’étoile Montana. Cette distribution héliocentrique des personnages tend par conséquent à légitimer, par le simple fait qu’ils ne souffrent aucune contestation, les propos les plus machistes des personnages masculins. Le harcèlement sexuel devient alors une simple drague, et le rapport agressif aux autres, une coutume banale.

Scarface, de Brian de Palma, 1983
Maxime
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