Mon déjeuner avec Monsieur Paul !

Publié le 20 janvier 2018 par Pierre Thivolet @pierrethivolet

Monsieur Paul: No comment ! 


Jeune étudiant, j’avais choisi de rédiger un mémoire sur la gestion des PME de luxe, avec l’exemple des restaurants 3 étoiles. J’appelle le restaurant Paul Bocuse à Collonges, recommandé par des amis communs. C’était un samedi et on me donne rendez-vous vers 14 heures. J’arrive à Collonges. Il m’accueille. Un géant qui vous broie la main. Il me dit qu’il a encore à faire en cuisine et me demande « Tu as déjeuné ? ». Que peut-on répondre à Paul Bocuse qui vous demande si vous avez déjeuné ? J’avais déjeuné mais évidemment j’ai répondu non. Il appelle un garçon. «Installe le gamin à cette table, et tu lui fais goûter un peu de tout . Et sers le bien !». Ce fût… pas racontable, d’autant que vers 15 heures, le voilà, il s’installe, vérifie que je « casse bien la croûte », et nous commençons à discuter.Et là - nous sommes en 1974 - il me déroule tous ses projets, toutes ses prémonitions. Ses brasseries, sa conquête du monde, Institut Paul Bocuse avec ses masters dans le monde d’entier, les Bocuse d’or, l’événement de la gastronomie mondiale tous les deux ans, les Halles de Lyon- Paul Bocuse.
Nous étions là, dans ce temple de la gastronomie, moi le petit étudiant, lui le pape de la cuisine, et "Monsieur Paul" accordait deux heures de son temps, un samedi, après le coup de feu, au gamin venu l’interroger !!!Paul Bocuse est mort. C’est un empereur qui vient de s’éteindre. Un monstre sacré. Le père de tous les cuisiniers français d’aujourd’hui. Bocuse a permis, a incarné le passage entre la cuisine française traditionnelle, Fernand Point, la Mère Brazier, la mère Fillioud, la cuisine des mères lyonnaises, à la cuisine française mondialisée, des Ducasse, Gagnaire, Marcon, Anne-Sophie Pic. Bocuse est le premier à être sorti de ses cuisines pour conquérir le monde. Connu en Chine, au Japon ou aux Etats-Unis, mais toujours les pieds dans son auberge de Collonges-aux-Mont d’Or à Lyon. Bien sûr, depuis quelques années, il était malade et diminué mais quel bonhomme, un monde disparaît avec lui. C’est la Tour Eiffel qu’il faudrait mettre en berne, une minute de silence dans tous les restos. Et puis, puisque au fronton du Panthéon, il est écrit : « Aux grands hommes, la Patrie reconnaissante », rien ne conviendrait mieux que Bocuse au Panthéon national, lui qui y est déjà au Panthéon du génie gastronomique. Mais bien sûr, ce n’est qu’une boutade, car jamais il ne voudra quitter Collonges, son Abbaye, ses limonaires et les rives de la Saône.Adieu et merci Monsieur Paul !