Reliquaires Kota et avant – garde européenne

Publié le 22 janvier 2018 par Aicasc @aica_sc

Tout au long de la durée de l’exposition Afriques : artistes d’hier et d’aujourd’hui,  co – produite par la Fondation Clément et la Fondation Dapper, l’Aica Caraïbe du Sud vous proposera des balades thématiques, des arrêts sur image à propos d’un artefact traditionnel ou d’une création contemporaine, des digressions buissonnières, des passerelles entre productions passées et actuelles. Aujourd’hui,  c’est sur les relations entre les figures de reliquaires kota et l’art moderne européen que se concentrera notre regard.

Au sein de cet ensemble de statuettes, de masques, de bagues, de peignes d’une impressionnante beauté, on remarque en effet trois figures de reliquaires Kota.

Figure de reliquaire Kota
Afriques : artistes d’hier et d’aujourd’hui
Fondation Clément
Photo Gérard Germain

Les peuples que l’on désigne sous le vocable Kota étaient des Obamba,  des Mindassa, et Bawoumbou, d’une part et des MaHongwé, Shaké, Shamayé, d’autre part donc  un ensemble de peuples du Gabon et du Congo, parfois  sans  liens de parenté, qui pratiquaient tous un culte des ancêtres. Autrefois, ces peuples n’enterraient pas leurs morts mais les exposaient au loin dans la forêt. Les villages se déplaçaient en effet tous les vingt ans environ, ils pouvaient ainsi ne pas abandonner leurs morts mais les emporter avec eux.  Surmontant des paniers en vannerie, ces figures sont constituées d’une structure en bois recouverte de plaques en cuivre ou en laiton et sont caractérisées par une géométrisation et stylisation poussées.  Ces techniques de placage et d’agrafage de fils métalliques n’existent, en outre, nulle part ailleurs en Afrique. C’est sans doute la brillance un peu magique du métal qui explique le choix du matériau.

Reliquaire Kota

Les premiers reliquaires Kota ont été ramenés en Europe dans la seconde moitié du dix- neuvième siècle. Ces figures qui ornaient les paniers de reliques des ancêtres représentent un corps humain extrêmement stylisé, réduit aux épaules et aux bras, sous la forme d’un losange évidé, surmonté d’un énorme visage ovale , concave ou convexe, surmonté d’une gigantesque coiffe. On y dénote un sens décoratif et une impressionnante liberté d’expression. Les reliquaires Kota- Mahongwé sont marqués par des traits distinctifs spécifiques. L’attribution précise des figures à telle ou telle ethnie peut encore faire débat. Il semble que les  Kota proprement dits, ne sculptant pas eux-mêmes leurs objets rituels, les faisaient réaliser leurs pièces par leurs voisins MaHongwé .

 En Europe, les artistes des avant –gardes ont porté un vif intérêt à l’art africain dès le début du vingtième siècle. L’histoire de la « découverte » des masques africains par Derain, Vlaminck et Picasso est connue. Mais en  1890,  deux figures africaines trônaient déjà dans l’atelier de Gauguin. Braque, Lhote, Vlaminck, Matisse achetèrent des sculptures africaines comme l’attestent des photos de leurs ateliers et deux reliquaires Kota, recouverts de cuivre, figuraient dans la collection de Picasso, même si ce n’était pas des pièces exceptionnelles.

Dans l’atelier de Matisse

Dans l’atelier de Derain

Picasso avait en effet indéniablement une prédilection particulière pour ces gardiens de reliquaires. Ces formes avaient sans doute imprégnée sa mémoire lorsqu’il a conçu deux de ses sculptures en 1930 et 1931, Tête et Tête de femme.

L’ovale concave qui indique le plan du visage dans le portrait d’Olga, Tête de femme ainsi que le losange allongé qui soutient la tête, tout comme le matériau métallique qui le compose, présentent quelques similitudes formelles avec les reliquaires Kota.

Picasso
Tête de femme
1930

Picasso Tête 1907

Picasso, comme d’autres artistes de l’avant – garde européenne, notamment Paul Klee dans son dessin Idoles, interprétait le losange comme des jambes aux genoux fléchis de Figures dansantes alors qu’il pourrait s’agir plutôt  de l’esquisse de la ligne des épaules et des bras tenant le panier d’ossements. Le corps musculeux et anguleux de ballerine d’Olga avait sans doute convoqué par association d’idée l’image des reliquaires Kota. D’ailleurs cette position de ce qu’il prenait pour des jambes semble l’avoir fasciné  puisqu’il l’a souvent étudié dans de grands croquis avant de la transposer  dans des peintures comme Femmes nues aux bras levés, sous titrée Figures dansantes ou figures africaines. Picasso travaillait de manière conceptuelle, ans modèle. Son imagination était plutôt stimulée par un souvenir visuel global emmagasiné inconsciemment. A la différence de Paul Klee qui lui conserve  la disposition en losange, pieds joints, Picasso s’intéresse davantage à la pliure des genoux et traite les jambes de manière asymétrique.

Paul Klee
Idoles
dessin

Picasso
Femme nue aux bras levés

Il est évident que les arts alors désignés comme tribaux ont joué un rôle primordial  dans les recherches picturales et sculpturales de Picasso. Tout d’abord en 1908/1909, lorsqu’il affirmé son premier style cubiste. Puis, en 1912/1913, lorsqu’il a élaboré le cubisme synthétique. La transposition supposée d’un masque Grebo en guitare de tôle et fil de fer est bien connue. Et, enfin, en 1930 lorsqu’il a abordé de nouvelles directions en sculpture. En effet, Picasso rejette dès 1907 les conventions illusionnistes, passe d’un mode perceptif à un mode conceptuel et se documente sur des formes archaïques ibériques,  égyptiennes.  Le fameux Portait de Gertrude Stein évoque plus surement l’art ibérique Osuna que la sculpture africaine. De même, l’assimilation de certaines courbures et hachures du visage des Demoiselles d’Avignon à des masques mbuya du Zaïre  ou à des scarifications représentent un emprunt indirect ou fragmentaire plutôt  qu’une imitation.

PIcasso
Portrait de Gertrude Stein

« Les statues africaines qui traînent un peu partout chez moi sont plus des témoins que des modèles » disait d’ailleurs Picasso. Néanmoins percevoir  des influences indirectes  ainsi que cette  quête de la puissance esthétique et émotionnelle de la  statuaire africaine chez les artistes de l’avant – garde européenne reste passionnant.

Dominique Brebion

 Sources :

Arman et l’art africain – Réunion des musées nationaux

Le primitivisme dans l’art du vingtième siècle – Flammarion

Quelques Impressions d’Afrique – LaDifférence

 Catalogue de l’exposition Afriques : artistes d’hier et d’aujourd’hui – Hervé et Anne Chopin