(Note de lecture) Wanda Heinrichová, "Suis-je bien couverte ?", par Bruno Fern

Par Florence Trocmé

Cette suite de huit poèmes pourrait être placée sous le signe du mouvement. Tout d’abord d’un lieu à l’autre, du simple changement que permet le regard –  aux toilettes jusque dans le paysage (presque) – aux voyages effectués par un sujet exprimé à la première personne du singulier et dont les tribulations, pour la plupart à travers la Hollande, rappellent sans équivoque et à plusieurs reprises un autre voyageur : les pales à vent moulent / les nuages derrière le front / des donquichottes tardifs ou bien : je trotte dans la cour avec une marmite / une marmite trouée à mettre sur sa tête
Cela dit, loin de toute littérature exotique, ces divers déplacements ont pour but essentiel de dépasser l’apparente banalité du quotidien mais sans céder pour autant à un imaginaire qui ne procurerait qu’une beauté conventionnelle ou prétendument spectaculaire, cherchant plutôt à atteindre ce que désignent ces mots de Jean-Christophe Bailly : « Un livre n’est pas tant la production que la remise d’un sens, ou sa relance. » (1) – par exemple :
sur la jetée la vieille à la canne
les perles dans ses oreilles
ont soif de retourner
   à
      l’e-
      au
vont des jambes desséchées peu sûres
dans le dos le tam-tam d’une horde vive
Cette mise en évidence de liens a priori inattendus s’apparente parfois à la manière de Reverdy, même si W.  Heinrichová va jusqu’à rapprocher avec justesse des réalités beaucoup plus éloignées (2) et ajoute souvent une part d’humour non négligeable :
l’histoire accélérée des peaux
un enfant au petit déjeuner : berk
peaux dans les cuillères de tantes rouspétant
peaux tièdes dispersées à travers le paysage
nulle obligation de le visiter

Ses textes atteignent ainsi une étrangeté pas forcément inquiétante mais digne de la bobine odradek / [qui] tombe des marches / en traînant son fil, évoquée dans le poème qui donne son titre à l’ensemble.
Comme on a pu le constater ci-dessus, ce souci d’une dynamique passe aussi par l’écriture elle-même et notamment par un véritable travail du vers. D’ailleurs, une telle recherche est ici clairement énoncée (le vers : train roulant sans arrêt) et l’auteur réussit particulièrement bien à la mettre en œuvre, ce qui contribue à lui faire trouver du neuf – le dernier poème s’intitule fondamente nuove.
Bruno Fern

Wanda Heinrichová, Suis-je bien couverte ?, traduit du tchèque par Petr Král (3), éditions Les Presses du vide, 2017, 8 pages, 3 € 
1. Panoramiques, Bourgois, 2000.
2. « Le propre de l’image forte est d’être issue du rapprochement de deux réalités très distantes dont l’esprit seul a saisi les rapports. » (Le Gant de crin).
3.. Lui-même auteur de très nombreux ouvrages dont le dernier s’intitule Ce qui s’est passé, aux éditions Le Réalgar-Éditions – on peut en lire des extraits ici : Petr Král, "Ce qui s’est passé"