Comment retrouver l’héroïsme après sa mise en crise dans Sixième sens ? C’est le rôle de David Dunn, super-héros inconnu, auquel s’attelle Bruce Willis dans Incassable. Inversement, il s’agit pour Shyamalan de renouer avec les grands mythes hollywoodiens, en les troublant davantage.
La construction sociale du héros
Tout commence par un accident de train. David Dunn, un type banal en instance de divorce, en sort miraculeusement indemne. On a connu plus glorieux comme révélation du super-héroïsme.D’autant que le bonhomme n’accepte pas son pouvoir. Son fils Joseph (Spencer Treat Clark), sa femme Audrey (Robin Wright) et même Elijah Price (Samuel L. Jackson), un libraire spécialisé dans les comics de super-héros, ont beau le presser, lui n’en revient pas. Ce n’est pas parce qu’on n’a jamais été malade qu’on est pour autant un être exceptionnel. Incassablen’est pas tant un film sur le super-héroïsme que sur la construction sociale de cette mythologie typiquement américaine. David Dunn naît d’abord de fantasmes collectifs, et non d’un désir personnel ; quand lui aspire à la tranquillité d’une vie anonyme, son fils et Elijah Price espèrent en faire un héros. Dunn obéit en effet à une logique symétrique, particulièrement nette chez Price : si Dunn a un corps incassable, Price, lui, souffre de la maladie des os de verre : il se brise au moindre choc. Dans une telle conception de l’existence, le super-héros n’est pas celui qui a des pouvoirs distinctifs – le hérôs grec, essentiellement « demi-dieu » –, mais celui qui décide de les utiliser. Pour paraphraser Spider-Man, celui qui accepte de grandes responsabilités pour légitimer son grand pouvoir. Non la nature innée, mais l’utilité sociale.
Une nouvelle persona
Dès lors, il faut con-former le corps du personnage à sa nouvelle étoffe. Or, David Dunn ne disposant que du pouvoir passif de résister aux coups et aux maladies, il n’a pas vocation à l’afficher sur un costume clinquant. Shyamalan renverse ici le topos habituel du costume : son héros ne conçoit pas de costume qui exhibe son intériorité, mais endosse un vêtement des plus ordinaires – un simple poncho gris – qui le camoufle. Mais en même temps qu’il cache la musculature de Bruce Willis, le poncho en devient l’icône ; comme s’il la précédait sans avoir à la montrer.Le poncho fait le lien entre la persona de Bruce Willis dans les actioners et sa persona dans le précédent Sixième sens. L’homme se situe quelque part entre le héros bodybuildé et l’individu à la ramasse. Après la déconstruction de Sixième sens, Shyamalan s’efforce de reconstruire la part héroïque de son acteur, qui se révèle ainsi en tant que production sociale – et cinématographique.À l’exemple de la scène de la piscine, au terme de laquelle Dunn émerge de l’eau et se recroqueville en position fœtale, Shyamalan invente un nouveau Bruce Willis dans Incassable. Un nouveau corps, qui aura emprunté à l’enfant sa naïveté et son émerveillement devant le monde, à « l’homme de verre » sa conscience de la vulnérabilité des êtres et des choses. Dans la piscine, métaphore du ventre maternel, naît une seconde fois l’acteur Bruce Willis. Preuve que le comédien est d’abord le résultat d’un processus, qui aurait pu façonner différemment le corps premier. En somme, rien d’incassable, car comme le verre, on peut le resouffler.
Maxime
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