Verrues, traiter, maltraiter ou ignorer ?

Publié le 10 février 2018 par Dominique Le Houézec

Verrues vulgaires plantaires

Les verrues vulgaires sont des infections virales bénignes de la peau, modérément contagieuses et plus fréquentes chez l'enfant. Elles peuvent toujours guérir spontanément mais sont parfois gênantes (verrues plantaires) ou inesthétiques. Faut-il les traiter jamais, parfois, toujours, et alors comment ?


COMMENT ATTRAPPE-T-ON DES VERRUES ?Les virus responsables des verrues sont de la famille des papillomavirus que l'on désigne aussi sous les initiales HPV (Human Papilloma Virus). Il en existe environ 120 sous-types connus dont simplement quelques-uns peuvent infecter la peau. Les sous-types sont différents selon la localisation des verrues communes qui touchent surtout la plante des pieds ou bien les mains (HPV 1,2,4,27,57) et les verrues planes surtout le visage (HPV 3,10). D'autres sous-types de virus (HPV 6,11,54) ont une localisation génitale et occasionnent des verrues appelées condylomes acuminés. On n'observe quasiment pas ce type de verrues chez l'enfant car ils se transmettent par voie sexuelle. Enfin d'autres sous-types (HPV 16,18,31,33, 35...), transmis également à l'occasion de rapports sexuels, contaminent l'adulte jeune et se localisent au niveau du col de l'utérus ou de l'anus où ils peuvent parfois persister, proliférer et occasionner un cancer. Par contre les verrues vulgaires ne dégénèrent jamais.L'aspect des verrues varie selon leur localisation. Celles de la plante des pieds sont en relief, dures, profondes centrées par un point noir et volontiers sensibles à l'appui plantaire. Elles peuvent être aussi plus plates et superficielles, juxtaposées et dites en "mosaïque". Les verrues du visage et du dos des mains sont plutôt planes. Les verrues péri-unguéales sont plus délicates à traiter du fait de la proximité de la tablette de l'ongle qui doit être respectée lors du traitement. Certaines verrues communes peuvent aussi être de forme allongée, on parle alors de verrues filiformes. On les retrouve le plus souvent sur le visage, particulièrement autour de la bouche.

Verrues communes

Verrues plantaires en mosaïque

Verrue filiforme de la paupière


Le virus HPV se transmet par le biais d'une excoration cutanée, favorisée par le grattage avec des auto-inoculations, mais la contagion est avant tout interhumaine par contact direct intra-familial, scolaire [1] plus qu'indirecte : objets, surfaces contaminées, douches, hammams, piscines, tapis de sports (propagation des verrues plantaires surtout). Dans un étude hollandaise, un tiers des enfants scolarisés en primaire étaient porteurs de verrues [1].

Les enfants présentant un eczéma sont plus à risque (probablement du fait des lésions de grattage). Les personnes prenant un traitement corticoide ou immuno-suppresseur (maladies auto-immunes, personnes greffées...) sont également plus sensibles et risquent une évolution prolongée.L’évolution spontanée des verrues est très variable. À deux ans, environ 65% des verrues de l’enfant ont disparu avec une guérison à deux mois de 42% et à six mois de 53% [2]. Environ 10 p. 100 des verrues sont dites rebelles car elles persistent après deux ans. Cette évolution naturelle habituelle vers la guérison spontanée et la bénignité des verrues sont à garder en mémoire afin d'empêcher des traitements excessifs, précipités, parfois dangereux ou agressifs, sources de complications locales ou de séquelles esthétiques. Il faut également se souvenir qu’aucune des méthodes actuellement existantes ne permet l’éradication absolue et constante du virus HPV, les récidives étant possibles [3]. Le nombre de traitements différents proposés reflète bien de leur efficacité inconstante et d'une évaluation objective imparfaite.QUELLES SONT LES ARMES DONT ON DISPOSE ?

1. LES TRAITEMENTS ISSUS DE LA TRADITION, TOUJOURS D'ACTUALITE

Chelidoine

On retrouve en vrac les applications locales de produits alimentaires (ail frais, aubergine, peau de banane, écorce de citron macérée dans du vinaigre,  pomme de terre crue, couenne de lard du cochon) ou de diverses plantes (sève issue de la tige de "l'herbe à verrue" ou chélidoine, sève des pissenlits, sève blanche des figuiers, gel d'Aloe vera, teinture-mère de thuya, feuille de saule), et les incontouirnables huiles essentielles. Certains conseillent aussi l'occlusion complète de la verrue par du sparadrap laissé une semaine et renouvelé 8 semaines en tout.
L'auto-suggestion peut être un recours magique à effet placebo (faire dessiner à l'enfant sa verrue et détruire ou bruler ensuite le dessin devant l'enfant). L'acupuncture auriculaire a été retrouvée comme efficace dans une étude. Le recours au "toucheur" "guérisseur" ou autre "magnétiseur" est aussi toujours de mise. 

On peut aussi classer dans cette catégorie les placebos commercialisés par les laboratoires, comme les petits granules blancs homéopathiques contenus dans des tubes bleus ou en comprimés à sucer (Verrulia), le magnésium (Verrulyse Méthionine). Toutes études confondues, le traitement par placebo est efficace dans jusqu'à 30 % des cas.


2. LES TRAITEMENTS LOCAUX DU DERMATOLOGUE, DU PLUS SIMPLE AU PLUS COMPLIQUE :  

LES PRODUITS KERATOLYTIQUES sont les plus utilisés et les mieux tolérés. La molécule la plus courante est l'acide salicylique à des concentrations variables (10 à 50 %), volontiers associée à de l'acide lactique aux mêmes concentrations. On peut l'utiliser sous forme de préparation magistrale, dans de la vaseline, préparée en pharmacie ou dans des produits liquides prêts à l'emploi (Duofilm, Kérafilm, Verrufilm, Verrupan). Les verrues plantaires recouvertes de lésions dures, cornées, doivent être traitées par un kératolytique fort, contenant de l’acide salicylique concentré à 50% (pommade Cochon). Les verrues planes des doigts, peu cornées, peuvent être traitées quotidiennement par des pastilles dont on adapte la taille et que l'on fixe par un adhésif (Transversid). La concentration kératolytique est içi modérée et réservée à des petite verrues peu épaisses. Il est dangereux d'utiliser des kératolytiques sur les verrues du visage où la peau est plus fine et le risque de cicatrices élevé.

Ce type de traitement doit débuter par un décapage superficiel de la verrue avec une lime à ongles en carton à usage unique (jetée à chaque usage car contaminée). Après lavage de la peau, on prend soin de protéger la peau saine en appliquant du vernis à ongles tout autour de la verrue, ceci est particulièrement important pour les ongles au contact d'une verrue péri-unguéale. L’application de l'acide salicylique est quotidienne, sous occlusion pour augmenter l'infiltration en profondeur du produit. Ce traitement local doit être poursuivi jusqu’à la disparition totale de la verrue, avec une peau revenue bien plane et réapparition des empreintes digitales ou des reliefs cutanés, sinon les virus restant prolifèreront à nouveau. L'aspect blanchatre de la lésion traitée est normal. Par contre en cas d'érosion de la peau saine entourant la verrue, les applications de verrucide sont arrêtées 2 ou 3 jours. Bien réalisé, ce traitement dure entre 2 à 4 mois en moyenne. Il est indolore, mais sa durée prolongée peut paraitre parfois décourageante. 

D’autres produits verrucides "miracles" sont utilisés pour leur causticité comme le crayon de nitrate d’argent, la cantharidine, l'acide formique, l’acide trichloracétique, l’acide glycolique (Adieu verrues, Click&Go solution verrues, Urgo verrues tenaces, Objectif Zéroverrue solution, Scholl SOS Verrues, Verruetop, Verruxit, Wartner stylo anti-verrues, Expert 123 Verrues …). Leur efficacité contre les verrues n’est pas validée et ces molécules sont à risque de brûlures, de nécroses, de cicatrices inesthétiques et ils devraient être proscrits. Ce type de produits sont volontiers vendus sur Internet (Amazon) ou retrouvés au fond d'une pharmacie familiale. Il sont à éviter absolument sans avoir demandé un avis auprès d'un pharmacien ou de son médecin : pas d'automédication sur la peau d'un enfant. 


LA CRYOTHERAPIE utilise l’azote liquide, à -196°. Elle ne tue pas le HPV mais a pour objectif de créer une brûlure du second degré aboutissant à une destruction de l'épiderme infecté et un clivage entre l'épiderme superficiel et le derme plus profond. Cette méthode est simple et rapide mais douloureuse. Il faut donc prévoir chez l'enfant une bonne anesthésie locale préalable (au moins une heure) avec une application sous occlusion d'une bonne couche d'Emla crème, qui n'agit cependant parfois que partiellement. Certains dermatologues associent, avant la cryothérapie, un traitement kératolytique composé d’acide salicylique très concentré (à 50 %) afin de commencer à décaper les verrues.


L’azote liquide, contenu dans un container spécifique s’applique avec un coton-tige ou au cryojet. L'azote est prélevé dans un récipient à usage unique et le coton-tige trempé dans le gobelet. Il faut décaper au préalable la couche cornée (surtout pour les verrues plantaires) puis l'azote est appliqué au coton-tige durant 5 à 30 secondes jusqu'à obtention d'un halo de givrage de 1 à 2 mm autour de la verrue traitée. La durée d’application avec un cryojet est plus brève. On peut répéter cette application à quinze jours d’intervalles en fonction de la taille et de la profondeur de la verrue, jusqu'à 6 cures.

Ces application doivent être très brèves et prudentes au niveau des zones fines de la peau ou en regard de zones sous-jacentes à risque (tendons, tissus vasculaire ou nerveux) et sur les verrues péri-unguéales où une destruction partielle définitive de l'ongle pourrait apparaitre. Il faut en dernier lieu ne pas se laisser tenter par un bricolage maison avec les sprays de diméthyléther propane (- 57°) vendus en pharmacie ou sur Internet sans ordonnance (CryoPharma, Mercurochrome spray glacial, Urgo Verrues cryothérapie, Timodore, Objectif Zéroverrue freeze, Wartner kit cryothérapie). La température est totalement insuffisante pour éradiquer les HPV coupables mais suffisante pour entrainer des érosions de la peau. 


LES LASERS occasionnent des phénomènes douloureux surtout au niveau des mains et des pieds. Les séances doivent donc être précédées d'une anesthésie locale par injection de Xylocaïne. La douleur peut réapparaitre au décours de l'application et le taux de récidive reste notable. Au niveau des mains, les cicatrices peuvent s’accompagner de troubles vasculo-nerveux ou fonctionnels.


- Le laser CO2 continu ou ultrapulsé a pour objectif la destruction de la verrue avec une hémostase immédiate. L'efficacité est assez bonne, allant de 50 à 100%. L’importance de la marge d’exérèse (5 mm) semble primordialeLa durée de cicatrisation, empêchant parfois l’appui plantaire peut durer jusqu'à 6 semaines et le taux de récidive est de l'ordre d'un tiers. Ce choix est donc réservé aux verrues plantaires anciennes, ayant résisté aux thérapeutiques classiques et après avoir prévenu le patient du risque cicatriciel. L'efficacité est aussi bonne sur les verrues péri-unguéales. Entre 2 et 4 cures sont habituellement nécessaires. 
Le laser à colorant pulsé a pour principe de coaguler les vaisseaux sous-jacents et d’entraîner la nécrose de la lésion et peut-être de détruire le HPV par son effet thermique. Parmi les lasers, c’est celui qui donne le moins d’effets indésirables (douleur, cicatrisation). Une revue de la littérature rapporte des taux d'efficacité allant de 47% à 100%[4]. Mais certaines publications montrent l’absence de supériorité de ces techniques comparativement aux traitement locaux classiques (azote liquide et/ou vaseline salicylée)
- Le laser Er:Yag permet d’obtenir un bon taux de rémission, variable d’une étude à l’autre, mais un taux de récidives dans un quart des cas. Certains auteurs le couplent à une ampoule LED infra-rouge qui aurait pour cible l’HPV et améliorerait la cicatrisation. Ce laser semble mieux toléré et responsable de moins de problèmes de cicatrisation que le laser CO2. 


LA CHIMIOTHERAPIE LOCALE
- l’imiquimod (Aldara) est un immuno-stimulant qui est utilisé avec efficacité dans le traitement des verrues génitales (condylomes) et paraissant également actif sur les verrues vulgaires dans plus de 50% des cas [7].

-  La podophylline est une résine du podophyllum. Elle est également utilisée dans cette même indication mais elle ne parait pas plus efficace localement pour les verrues vulgaires que l’acide salicylique et elle occasionne une lésion douloureuse. La podophyllotoxine est moins irritante.
- La trétinoïde (Roaccutane, Effederm, Curacné, Cutacnyl) est un dérivé de la vitamine A ou rétinol utilisé surtout dans l'acné. Elle semble efficace pour la prise en charge des verrues planes, dans deux études à petits effectifs.
- Le 5 fluoro-uracile (Efudix 5%) est un cytostatique utilisé dans le traitement des condylomes. Une étude comparative [5] pour les verrues l'estime 4 fois plus efficace qu'un placebo, mais il reste en cours d’évaluation.
- La bléomycine n’est pas d’utilisation courante en France. C'est un antibiotique qui est aussi cytostatique. Elle est utilisée en injection locale au sein de la verrue. Elle comporte un risque de nécrose digitale.  
- La cantharidine (solution à 0,7%) est utilisé à l'étranger en applications locales espacées sur les verrues planes du visage.

Ces différents modes de traitement ne sont pas tous validés par des études contrôlées correctes et sont hors AMM (autorisation de mise sur le marché pour cette indication) hormis la trétinoïde. Le rapport bénéfice/risque doit être parfaitement établi avant d'utiliser ces produits, même localement, surtout chez l'enfantLes traitements chirurgicaux par électrocoagulation ou curetage au bistouri  sont des méthodes agressives, douloureuses, nécessitant des soins locaux prolongés, laissant parfois des cicatrices sensibles. Ces méthodes d'un autre âge ne devraient plus se voir. 


QUE PEUT-ON PROPOSER ?La bénignité des verrues et leur régression spontanée dans la grande majorité des cas doit rester en mémoire. On peut en effet choisir l’abstention et la patience dans un premier temps ou un placebo (occlusion sous sparadrap), sauf si les verrues se multiplient par grattage et auto-inoculation ou créent un préjudice esthétique. Sinon, il faut choisir le traitement le moins agressif possible et dont l'efficacité est prouvée [5, 6, 7]. Le placebo aboutit à un taux de guérison de 23%, l'acide salicylique est crédité de 52%, la cryothérapie agressive de 54% et l'association kératolytique puis cryothérapie de 58%. Il n'y a pas de différence notable d'efficacité entre acide salicylique local et cryothérapie dans le verrues plantaires, donc autant utilise les kératolytique moins chers et moins agressifs [6].

D'une manière générale, on peut proposer les options suivantes :- verrues plantaires des zones cornées : préparations kératolytiques fortes (pommade Cochon), azote liquide, association des deux traitements, abstention. – verrues vulgaires des mains ou des pieds : abstention, azote liquide, kératolytiques,– verrues planes du visage : abstention, trétinoïne (crème ou lotion), simple givrage avec l’azote liquide, 5 FU, acupuncture.

- verrues filiformes : cryothérapie, curetage– verrues péri-unguéales : abstention, kératolytiques,– verrues anciennes avec troubles fonctionnels ou douleurs : décapage simple, kératolytiques, laser CO2, imiquimod ou 5 fluoro-uracile.
Se souvenir qu'il s'agit là de traiter des lésions bénignes qui régresseront spontanément pour la grande majorité d’entres elles et donc il faut veiller à "ne pas nuire plus que la verrue".

Dominique LE HOUEZEC


[1] VAN HAALEN FM. Warts in primary schoolchildren : prevalence and relation with environmental factors. Brit J Dermatol, 2009,161:148-152.[2] BENDER ME. Concepts of wart regression. Arch Dermatol, 1986, 122: 644-647.[3] DALL'OGLIO FTreatment of Cutaneous Warts. An Evidence-Based Rewiew. American Journal of Clinical Dermatology. 2012, 13, 2, : 73–96

[4] NGUYEN J. Laser Treatment of Nongenital Verrucae: A Systematic Review. JAMA Dermatol 2016 ; 152 : 1025-34.
[5] KWOK CS. Efficacy of topical treatments for cutaneous warts: a meta-analysis and pooled analysis of randomized controlled trials. Br J Dermatol 2011; 165 : 233-46. 
[6] COCKAYNE S. : Cryotherapy versus salicylic acid for the treatment of plantar warts (verrucae) : a randomised controlled trial. Brit Med J, 2011, 342 : 3271. 
[7] STERLING JC. British Association of Dermatologists' guidelines for the management of cutaneous warts 2014. BJD. 2014; 171: 696-712