Gaston-Paul Effa : Le miraculé de Saint-Pierre

Par Gangoueus @lareus

Je ne sais par quel bout vous conter cette lecture. Je pourrai commencer par une expérience récente. The Greatest show. Ma femme est une inconditionnelle de Hugh Jackman. Nous n’avons donc pas hésité à aller voir cette comédie musicale centrée le personnage singulier de Philéas T. Barnum qui bouscula le monde du spectacle américain et du cirque en particulier par ses shows monumentaux au début du siècle dernier. Il s’avère que ce nom est lié à celui Louis Auguste Cyparis, le fameux miraculé de Saint Pierre dont Gaston-Paul Effa propose un itinéraire dont nous aurons l’occasion de parler.
Je pourrai aussi dire que j’ai abordé ce roman comme une parfaite fiction tellement les événements narrés sont à ce point si étonnants et si exceptionnels qu’à aucun moment, je n’ai pensé que cette histoire ait été réelle. Et pourtant, en 1902, une terrible éruption volcanique détruisit totalement la ville de Saint Pierre en Martinique, faisant près 30000 morts et 3 rescapés… Protégé par la cellule de pierre dans laquelle il purgeait une peine de prison suite à une rixe, Cyparis survit à cette catastrophe tout en étant profondément marqué physiquement.

Ce livre peut également pris comme un essai catholique sur les conséquences heureuses de la thaumaturgie comme deux personnes m’ont gentiment fait remarquer à Abidjan alors que je le lisais dans des transports en commun.
Louis Auguste Cyparis a bien existé et sa vie nous est présentée au travers de trois épisodes importants du début du 20ème siècle. Le miracle de Saint-Pierre. La bête de foire dans le cirque Barnum. Le bagnard ou l’ouvrier sans droit sur le chantier du canal de Panama.

Le miracle de Saint-Pierre

Tout d’abord l’éruption de la montagne Pelée (photo ci-dessus) a marqué les esprits par la violence de cette catastrophe naturelle et surtout les erreurs administratives qui expliquent l’importance des dégâts humains. Le fait marquant aussi réside par le fait que la ville a été rayée de la carte. Et de manière très forte, le fait que Cyparis ait survécu au cataclysme prend une forme qui dépasse tout de suite sa condition et renvoie à une problématique plus large. Je donne mon avis de lecteur et les digressions ou associations d’idées de mon esprit chahuté. Le roman pose un grand nombre de questions parce qu’on peut facilement faire le parallèle avec la catastrophe qu’a pu constitué la Traite négrière pour un individu arraché à sa condition initiale, devant subir les affres d’une traversée dans des conditions inhumaines, y survivre et enfin être exploité comme un simple objet de production sur une plantation martiniquaise. En 1902, Cyparis le pêcheur incarcéré porte toute cette histoire. L’éruption volcanique en est une de plus. Cette répétition des événements douloureux questionnent l’écrivain qui approfondit des thèmes sur le dolorisme, la souffrance, la résilience. Ayant survécu, Cyparis devient une icôneen Martinique même si cela ne l’arrache pas à sa misère. Grièvement brûlé, il fascine pour ce qu’il est devenu sans qu’assistance ne lui soit apportée. Cette première phase du roman tend à rappeler qu’avant de devenir une icône religieuse, une bête de foire ou un forçat, Cyparis a une histoire peu élaborée, certes mais décrite par bribes

Le cirque Barnum

Il intègre les troupes de Philéas T. Barnum et son cortège d’excentricités et de monstres de foire se nourrissant de la crédulité du public qui vient à la rencontre de ce spectacle hors du commun. Gaston-Paul Effa semble indiquer que Cyparis va prendre une place considérable dans l’animation de Barnum – bien qu’il soit transparent dans le film The Greatest show. Là encore, l’écrivain camerounais va prendre le temps de décrire cette société du spectacle et cette exploitation de la condition de Cyparis. Et ce qui est paradoxal, c’est que le lecteur a le sentiment que plus on avance dans la narration, plus le miraculé s’enferme dans un mutisme. Comme si l’humanité de ce personnage s’éteint constamment dans la reproduction sans fin du drame de sa vie puisque dans ce cirque, il est la représentation du survivant au jugement dernier. Et Effa de nous décrire ce spectacle… Ce roman rejoint sur ce point une certaine lecture que propose Blaise Ndala dans son roman Sans capote ni kalachnikov de la société des spectacles nord américaines dont Barnum fut l’un des grands révolutionnaires. On sent poindre ce discours critique où le Noir et en particulier sa souffrance sont exposés comme une spectacle. D’ailleurs dans l’Amérique, l’interprétation des représentations de Cyparis vont donner lieu une lecture très différente de celles en Martinique…

Panama.

Le forçat. La galère. Le summum.

Critique littéraire

On pourrait penser que ce livre qui nous conte la trajectoire que beaucoup considéreront comme tragique de Cyparis est fondamentalement glauque avec un parti de ressasser une misère qui colle profondément, voir intrinsèquement au personnage. Oui, mais voilà, il y a Séraphine et ça change tout. Séraphine. C’est le deuxième angle de ce roman, sa deuxième narration qui est étonnante, qui s’immisce dans le projet littéraire et offre au romancier camerounais la possibilité de proposer une critique de son discours alors qu’il est entrain de le produire. Le lecteur a donc dans le texte la proposition d’un dédoublement original qui finit par se traduire dans l’esprit du lecteur par la question suivante : « Comment peut on écrire librement, objectivement sur un personnage, en l’occurrence noir, avec la distance nécessaire ? ». C’est, je dois dire pour moi un exercice complexe et surtout totalement réussi. Marqué par la réception de son livre précédent, Le rendez-vous de l’heure qui blesse, Gaston-Paul Effa sur un sujet toujours sensible sur des trajectoires d’hommes antillais, français, il offre une réflexion sur lequel on doit prendre le temps de réfléchir.

Ah oui, j'oubliais, lorsque M. Effa sort, le vent se lève, le soleil se cache, la terre se détourne. Mieux vaut poursuivre votre écriture, monsieur Effa, pour prévenir les générations à venir qu'il n'y a rien à attendre de la vie. Noir vous êtes né, noir vous vivrez, noir vous mourrez. Parce qu'il est bien là le problème, n'est-ce pas? Notre couleur de peau serait en elle-même le stigmate de la malédiction. A quoi sert d'écrire si tout est joué d'avance ? Sinon à empêcher vos enfants de grandir, à les condamner à geindre depuis le berceau.
p.156, éditions Gallimard
Gaston-Paul Effa, Le miraculé de Saint-Pierre
Editions Gallimard, première parution en 2017Crédit photo - Claude Truong-Ngoc