Crédit Agricole, « agile mais pas trop »

Publié le 07 avril 2018 par Patriceb @cestpasmonidee
Comme toutes les annonces stratégiques, celle par laquelle le Crédit Agricole présente son plan de transformation informatique de grande ampleur définit des objectifs essentiels mais laisse beaucoup de flou sur la trajectoire envisagée pour les atteindre. Dans ce cas précis, les pistes évoquées ont même de quoi inspirer quelques inquiétudes.
Ainsi, l'ambition de rendre le Système d'Information des caisses régionales plus réactif (en divisant par 3 le temps de mise sur le marché des applications), plus flexible (permettant des adaptations en temps réel) et plus focalisé sur la fourniture d'une expérience utilisateur à l'état de l'art est non seulement louable mais surtout indispensable pour survivre dans l'ère « digitale » qui s'ouvre. Les 3 chantiers entrepris dans ce but, qui tous concourent à accroître l'agilité de l'organisation, vont également dans le bon sens.
Certes, on peut déjà s'interroger sur celui qui consiste à migrer progressivement « vers les technologies DevOps ». Il faudrait en effet ne pas perdre de vue que le fameux modèle « DevOps », qui aide à fluidifier et accélérer les cycles de développement et déploiement des logiciels, est composé à 80% de processus, d'organisation, de culture et de pratiques contre à peine 20% d'outillage. L'idée que ces 20% suffisent pour progresser est une aberration mais il peut s'agir ici d'une simple approximation de communication.
Ce qui me semble, en revanche, plus problématique ou, à tout le moins, délicat à concilier avec la cible fixée est l'organisation retenue. Décentralisation oblige (structurellement), celle-ci est en effet répartie entre 14 « pôles utilisateurs », installés dans les caisses régionales et chargés de définir les besoins au plus près du terrain, et 6 « centres régionaux » dédiés à la fabrication des projets…, dont les 1 200 collaborateurs qui les rejoindront seront invités à travailler en « squads », en mode agile…
Le premier risque de cette approche est la déconnexion entre les « clients » et la DSI. Alors que le principe le plus important, à mon sens, des méthodes agiles est d'intégrer le porteur du besoin à satisfaire (le « product owner ») dans l'équipe en charge du projet, le Crédit Agricole l'isole dans une structure distincte (y compris géographiquement). La collaboration à distance n'est peut-être pas un obstacle définitif mais elle introduit des frictions qui ne vont pas faciliter une transition qui a d'autres difficultés à surmonter.
Par ailleurs, la division de la DSI en plusieurs entités tend à induire naturellement une distribution des sujets à traiter par grandes thématiques, soit métier (solutions pour la clientèle, applications pour les conseillers, paiements, crédit…), soit technologiques (mobile, web, dématérialisation…). Cette spécialisation n'est pas un handicap en soi mais lorsqu'elle se combine à une séparation physique, elle peut entraîner un effet de silos, dangereux pour la cohérence du SI et pour la nécessaire approche « centrée client ».
Naturellement, il est aisé de critiquer la démarche du Crédit Agricole dans l'absolu, mais elle doit aussi être mise en perspective, notamment par rapport à la situation actuelle, avec ses 42 centres informatiques (pour 39 caisses régionales décisionnaires)… Toujours est-il qu'une réflexion dépassant le strict périmètre de la DSI et prenant en compte les exigences de rapprochement avec les métiers bancaires – par exemple en instituant d'emblée une gestion dynamique des « squads » à l'échelle du groupe ? – pourrait faire émerger un modèle plus propice à atteindre les objectifs visés.