570ème semaine politique: comment Macron réussit son hommage à mai 1968

Publié le 07 avril 2018 par Juan

 

Où l'on parle d'une contestation sociale qui grossit, d'un gouvernement qui se braque, et d'un monarque qui s'étrangle.

Et si Macron avait enfin réussi quelque chose, l'anniversaire des évènements de mai 1968 ?


La diversion
La communication élyséenne mitraille la presse et des influenceurs complaisants de cette "fabuleuse" interview à Wired d'Emmanuel Macron sur l'intelligence artificielle. Quelques jours auparavant, le jeune monarque avait livré un non moins "fabuleux" discours au Collège de France sur le même sujet. Mais la diversion ne prend pas. La France sociale s'agite et la greffe publicitaire macroniste ne prend pas.
"Je ne peux pas avoir, d'un côté, des agriculteurs qui n'ont pas de jour férié et n'auront peut-être pas de retraite, et dire, le statut des cheminots, il ne faut pas le changer."
Emmanuel Macron, 24 février 2018.
Il y aura d'autres diversions dans la semaine, certaines sont cocasses, d'autres sérieuses.
Macron lance ainsi un autre sujet, la réforme constitutionnelle. Il est urgent... d'attendre, explique-t-on au gouvernement. Mais il faut que ça buzze cette semaine, et vite. La réforme devrait être populaire: réduire le nombre de députés et de sénateurs, surfer sur l'antiparlementarisme primaire pour mieux conforter le monarchisme de cette Vème République vieillissante... A priori, le sujet est en or. Le vieux Sénat résiste. Le monarque joue à Louis XVI.
L'introduction de la proportionnelle est homéopathique, la droite se réjouit, elle a remporté cette manche. Mais quelques esprits faibles ou complaisants surferont sur l'argument que cette "promesse" pourtant floue et jamais débattue pendant la campagne est tenue.
Autre bêtise, plus cocasse, le Venezuela. Cette semaine, Macron reçoit en urgence une délégation d'opposants à l'autocrate Maduro. Cela permet à quelques éditocrates et journalistes de changer de sujet. C'est drôlatique. Parmi les opposants reçus par Macron, on trouve un ancien candidat à la présidentielle qui en appelait à l'armée en janvier 2017 pour renverser Maduro. Et l'ancien gouverneur de Caracas qui, en 1992, justifia le massacre de quelques dizaines de prisonniers de droit commun après une révolte.
Mardi, des médias contre la grève du rail. 
La presse officielle s'en donne à cœur joie contre les grévistes. Bien sûr, personne ne critique le droit de grève, mais presque tous fustigent le "blocage", la "prise d'otages", la "galère", "la France sur les nerfs"Nos meilleurs éditocrates n'adorent que les grèves discrètes. Même le premier ministre abuse du même argument hypocrite: "j'entends autant les grévistes, qui parfois le disent avec vigueur, que ceux qui n'acceptent pas cette grève. Plus exactement que ceux qui veulent aller travailler veulent continuer à bénéficier de leur liberté constitutionnelle d'aller et venir."Les unes de presse sont éloquentes, les reportages sur ces "usagers en souffrance" se multiplient sur les ondes télévisuelles.
Ce début de grève est un succès. La SNCF est quasiment paralysée, comme si la loi Sarkozy sur le service minimum n'avait jamais existé. Les macronistes grommellent.
Le journal Les Echos, peu suspect de gauchisme primaire, révèle qu'il a du refuser de publier une interview de la ministre des Transports pour cause de censure et relecture par les services de Matignon. Le nouveau monde ressemble décidément à l'ancien.
Mercredi, d'autres grèves.
Le rail est toujours paralysé. Le nombre de facultés bloquées ou perturbées par le scandale Parcoursup augmente: Montpellier, Toulouse et Paris-VIII, Bordeaux, Limoges, Tours, Nancy, Lille, Nice, Lyon-II et Dijon. Les examens pourront se tenir... ailleurs, promet le gouvernement.

Une petite milice fasciste vient attaquer Tolbiac où l'occupation est pourtant paisible et animée.
Le Figaro titre sur les "étudiants-otages-des-bloqueurs".
Quelle surprise !
Dans la semaine, les éboueurs et les personnels d'Air France font également grève.
A ses sympathisants, la République En Marche envoie ses éléments de langage: "Chères adhérentes, chers adhérents, comme 4 millions de Français, vous êtes peut-être touchés depuis lundi soir par la grève qui perturbe fortement la SNCF et nous vous adressons notre soutien plein et entier si tel est le cas." Puis quelques mensonges: "la réforme va permettre d’investir massivement dans le réseau". C'est faux, la réforme législative concerne l'organisation et le statut de la SNCF, pas les moyens de l'entreprise. Ou encore: "Avec une dette de  50 milliards d’euros, la SNCF ne peut pas rester la seule entreprise à recruter au statut alors que le secteur s’ouvre à de nouveaux acteurs." Même le gouvernement Philippe reconnait que la dette de la SNCF n'a rien à voir avec le statut des cheminots.
A ses "adhérents", LREM avoue: "la réforme va permettre de préparer  l’ouverture à la concurrence". Et défend sa vision Bisounours des bienfaits de la privatisation du rail: "l’ouverture à la concurrence est actée. Elle est connue de tous, depuis presque 10 ans. Elle permettra de diversifier les offres, les services et de proposer aux voyageurs davantage de petits prix, en particulier à tous ceux pour qui prendre le train est aujourd’hui un service inaccessible."
Jeudi, la "concertation" reprend.

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 Le foutage de gueule aussi. Le gouvernement cède un peu de terrain, mais reste ferme sur l'essentiel: il maintient la menace d'une loi votée par ordonnances, le vote est d'ailleurs toujours calé dans une dizaine de jours; la ministre des transports n'apporte aucune précision sur les conditions de transfert d'un salarié chez un autre opérateur privé ayant remporté la gestion d'une ligne. Ni sur les conditions de mobilité des personnels entre la SNCF et ses futurs concurrents Transdev, Deutsche Bahn, ou Trenitalia.
La grève a eu son premier bénéfice, déplacer quelque peu l'attention publique sur le véritable objectif de la réforme accélérée de la SNCF: la privatisation progressive du rail français. Car l'ouverture des lignes nationales puis locales d'ici 2023 à la concurrence, s'il ne s'agit pas d'une privatisation de l'entreprise, est bel et bien une privatisation du service public du rail. Le gouvernement veut changer le statut des cheminots pour permettre de dégrader leurs conditions de travail en vue de l'ouverture à la concurrence. Rien de plus, rien de moins. La ministre des transports le confesse: "la SNCF ne peut être la seule à recruter au statut." Ou encore: "À l’avenir, les personnes recrutées ne le seront plus sous le statut de cheminot qui coûte trop cher à l’entreprise."
Le gouvernement est contraint de changer sa com'. L'attaque ciblée contre les cheminots-ces-privilégiés fait choux blanc.
Non, la dette de la SNCF n'a pas grand chose à voir avec le statut des cheminots, reconnaît l'ex-socialiste devenu ministre de droite Olivier Dussopt.
Vendredi, le mépris de classe
Parfois la communication présidentielle déraille, rattrapée par la réalité. 
 "Le gouvernement va consacrer au moins 340 millions d'euros sur cinq ans pour améliorer la recherche, le dépistage et la prise en charge de l'autisme, a annoncé l'Elysée à l'AFP., en marge d'une visite d'Emmanuel Macron dans un service hospitalier spécialisé à Rouen." Le président de la République est accompagné par son épouse Brigitte Macron. Le photo-reportage est prêt, le story-telling ("A Rouen, Emmanuel Macron se montre à l’écoute des autistes" dixit Paris Normandie) et les éléments de langage également: on devait voir une première Dame attentionnée, "engagée dans l'accompagnement des autistes", au chevet de patients, discutant avec les familles, tandis que le jeune monarque présenterait ses moyens supplémentaires consacré à ce quatrième plan autisme devant un personnel hospitalier attentif et soulagé.
Mais ce publi-reportage n'aura pas lieu.
A Rouen, Macron est d'abord accueilli sous les chahuts de manifestants et de grévistes. Ce n'est nouveau. C'est arrivé à ses prédécesseurs Sarkozy et Hollande. Sarkozy se barricadait.Hollande supportait en silence, jamais un mot de trop. Macron s'énerve. Mais deux infirmières l'interpellent sur le manque de personnel et de moyens, et cassent l'argumentaire publicitaire qu'il déroule devant des caméras autorisées: "Pour l'instant, la réorganisation, c'est des fermetures. On remplace pas un départ à la retraite sur deux tous les jours".... Jupiter s'agace, sa ministre Agnès Buzin détourne le regarde, lève les yeux au ciel puis fait semblant de prier. Puis Jupiter s'énerve, et tente de couper court en s'éloignant. Puis il revient sur ses pas, et il tacle, méprisant:
Une aide-soignante "C'est dommage de ne pas venir dans les services."
Le président : "Là, vous parlez. Je vous écoute, j'ai la courtoisie alors que vous ne m'avez pas serré la main de vous répondre et de parler avec vous. "
La seconde aide-soignante: "Je ne vous sers pas la main, pour moi, vous êtes..."
Macron, l'interrompant: "Ayez la courtoisie pour les familles d'autistes et les soignants de l'autisme de laisser parler.""
L'aide-soignante: Je suis là tous les jours, moi, je suis là tous les jours à 5 heures du matin" 
Il y a des comparaisons qui font mal, on pourrait dire qu'elles n'ont aucun sens. Pourtant, elles illustrent peut-être maladroitement le sens des priorités politique d'une équipe gouvernementale. A Rouen, Jupiter annonce "généreusement" qu'"au moins" 340 millions d'euros sur 5 ans seront débloqués pour traiter et soigner les quelques 700 000 autistes de France. C'est mieux que le précédent plan (2013-2017), qui n'était doté que de 205 millions d'euros. Mais arrêtons-nous un court instant sur ces chiffres: 340 millions, sur 5 ans, pour 700 000 personnes.
Jupiter a rendu 3 milliards d'euros d'ISF, à 350 000 foyers aisés, en une année. C'est-à-dire un cadeau 8 fois supérieur aux moyens dégagés pour le soin de l'autisme, pour moitié moins de bénéficiaires.
Le sens des priorités.
Samedi, l'Elysée s'inquiète. 
Samedi, la grève du rail reprend avec la même vigueur. Les services élyséens annoncent une interview du jeune monarque au 13 heures de TF1, pour "faire de la pédagogie". Le porte-parole macroniste promet un format "inhabituel", de courtes interviews et des reportages sur lequel Jupiter sera appelé à réagir.
Un exercice de communication publicitaire contrôlé et d'avance sans saveur: "Ce n'est pas un format habituel mais il est important d'aller chercher des formes différentes d'expression, au delà des grands quotidiens et grands magazines." Il s'agit surtout de "reconquérir des retraités qui ont massivement voté pour (Macron) mais qui lui reprochent maintenant la hausse de 1,7 point de la CSG".
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Selon une récente enquête d'Ipsos, une majorité des sondé(e)s place le mouvement macroniste à la droite de l'échiquier politique.
Un gouvernement réactionnaire.
Rien de plus, rien de moins.
Ami(e) macroniste, où es-tu ?

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