(Hommage) à Geneviève Huttin, par Véronique Pittolo

Par Florence Trocmé

Geneviève Huttin, une femme douce

J'ai toujours eu l'idée à 18 ans d'écrire sur ma vie…
je souhaitais que des gens, un jour, lisent ma biographie avec une curiosité émue…
*1

Comment savoir si le désir d’écrire de Geneviève Huttin, sur sa vie, lui est venu à 18 ans, à 20 ans, plus tard ?
Je me souviens de l’inauguration de la première biennale de poésie en Val-de-Marne, en 1991, à l’Hôtel du département de Créteil. C’est là que je la rencontre,
lors du retour à Paris en RER, avec Hubert Lucot et Martine Broda.
Trois figures de la poésie contemporaine aujourd’hui disparues.
Geneviève vient de nous quitter, Hubert est décédé il y a un peu plus d’un an.
En septembre 2016, nous déjeunions ensemble place des Vosges, Geneviève préparait un dossier Lucot pour la revue Europe.*
Attentive, délicate, soucieuse de ses contemporains, elle élabora une œuvre patiente, intime, associant la mémoire familiale à la rigueur du poème.
La figure du père lorrain reviendra souvent hanter son écriture, cet homme parlant clandestinement une langue empêchée, *2
La mère, personnage complexe, fut la petite mère des contes dépositaire des non dits, des secrets de l’enfance :  

J’ai commencé à écrire l’histoire de la voix comme si c’était la seule réalité,
des mots sur le non-dit des années durant, le dire qui se refuse
……………
Ma voix renvoie l’écho de ton silence
*3
Parallèlement à son œuvre poétique, Geneviève animait les Nuits de France Culture. Lisant ses textes, je l’entends. De l’écrit à l’oral, la dépersonnalisation radiophonique et la subjectivité du poème occupent un lieu sans frontière, où la locutrice installe son territoire dans une géographie de sons.
Je ne sais si l'autobiographie fut chez elle un pacte, un sacerdoce, une obsession…. Loin des chemins balisés de l’autofiction, elle s’inscrivit dans une manière de vagabondage, une façon très personnelle d’habiter poétiquement
les espaces.
Depuis Paris, litanie des cafés, j’ai toujours relié son écriture mélancolique au climat d’un certain cinéma sentimental et intellectuel (Rivette, Rohmer), qui avait pour décor la grande ville, l’anonymat, les rencontres, le poème.
L’Air de Paris, son dernier livre, reprend et résume modestement l’œuvre entière :
J’ai commencé un texte sans chronologie où se trouvent mes amitiés et amours réels sous le signe de Paris *4
La réalité flotte dans l’absence de dates, ainsi le poème restera dans les livres quand les poètes s’en iront définitivement.

L'écriture est une course contre la mort … cesser d'écrire, ce serait retomber dans l'Histoire … course folle de l'écriture sur sa lancée, en bout de course, à bout de désir.
*6
 
J’aimerais remercier vivement le courage et la fidélité de Jacques Le Scanff, son dernier éditeur (Le Préau des collines L’Antichambre du préau), montrant que les petites vitrines laissent voir de grandes choses.
Véronique Pittolo

*1 Sartre, Entretiens
*2 Frédérique Guétat-Liviani
*3 L’histoire de ma voix (éd Farrago, 2004).
*4 L’Air de Paris, éd l’Antichambre du préau, 2018
*5 Roland Barthes
NDLR : ce dossier vient de sortir dans le numéro d’Europe, n°1068, avril 2018.
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