Quand vos nuits se morcellent - Lettre à Ferdinand Hodler, de Daniel de Roulet

Publié le 22 avril 2018 par Francisrichard @francisrichard

Un être humain n'est jamais tout d'un bloc. Il évolue, l'âge aidant, ou n'aidant pas. Et, quand il se penche sur son passé, il prend conscience des autres lui-même qu'il a été et, dans le même temps, de ce qui est le fin-fond de son être, de ce qui perdure en lui, quoi qu'il fasse.

Avec les artistes, ce constat est d'autant plus flagrant (si les oeuvres demeurent accessibles), qu'il s'agisse de musique, de littérature, de sculpture ou de peinture. Suivant ses goûts, et ses couleurs, l'amateur d'art retient alors ce qui lui ressemble, ce qui lui parle, ce qui lui plaît.

Dans sa lettre à Ferdinand Hodler, mort il y a cent ans exactement le 19 mai prochain, Daniel de Roulet, suivant l'exemple de sa mère, ne cache pas qu'il n'aime pas chez le peintre ses grands sujets, leur préfère ses 74 tableaux, ses plus de 240 dessins de Valentine Godé-Radel.

La couverture de Quand vos nuits se morcellent reproduit d'ailleurs un de ces portraits de Valentine malade (elle mourra un mois plus tard). En la peignant et en la dessinant jusqu'au bout, Ferdinand aura témoigné par son art de son amour pour cette femme de vingt ans sa cadette.

Daniel de Roulet est touché par cette empathie du peintre pour son amante, avec laquelle il n'aura jamais vraiment vécu et donc jamais connu l'ennui d'une rencontre qui se prolonge: ils auront eu certes des nuits communes mais intermittentes, avant qu'elles ne se morcellent.

Daniel de Roulet n'est ni critique d'art, ni biographe. Aussi est-ce en amateur qu'il dresse, de manière désordonnée, le portrait de ce peintre qu'il aime, se basant sur les écrits de Hans Mühlestein, sur des lettres échangées, sur des portraits, sur des auto-portraits ou sur des paysages.

Par touches successives, empruntant des pistes, quitte à rebrousser chemin pour retoucher des faits qu'il imagine par des faits avérés, l'auteur, prenant prétexte du centenaire de sa mort, ressuscite l'artiste, qui, en peignant la mort, a peint la vie, pour savoir comment conduire la [sienne]...

Il semble que Ferdinand ait fait la connaissance de Valentine en 1908. Et Daniel de Roulet ose une hypothèse: à partir de son amour pour la Parisienne, qui le transporte, il aurait trouvé sa manière inimitable de rendre compte de la matière dont sont faits les rivières, les lacs, les montagnes.

Il confesse que c'est ce style tardif qui le touche à nouveau après une éclipse qui va de 1890 (l'année où Hodler peint La Nuit) à 1908: Jusqu'à cette date même vos paysages ne sont pas assez hodlériens. Valentine lui dira un jour, en Engadine, qu'il n'est bon qu'à ça: peindre des lacs.  

Le fait est qu'aujourd'hui l'amateur d'art, avec Daniel de Roulet, en définitive, retiendra surtout de Ferdinand Hodler ses portraits de Valentine, ses auto-portraits et ses lacs, qui ne sont pas magnifiques parce qu'ils sont suisses, mais parce qu'il en a fait une peinture qui tend à l'universel.

Francis Richard

Quand vos nuits se morcellent - Lettre à Ferdinand Hodler, Daniel de Roulet, 128 pages, Zoé

Livres précédents:

Terminal terrestre Éditions D'autre Part (2017)

Tous les lointains sont bleus Phébus (2015)

Tu n'as rien vu à Fukushima  Buchet-Chastel (2011)

Au Musée d'art de Pully, jusqu'au 3 juin 2018, a lieu une exposition consacrée à Hodler et le Léman :

Du mardi au dimanche de 11h à 18h

Le jeudi jusqu'à 20h