Valse avec Bachir

Publié le 06 juillet 2008 par Mgallot

Plutôt que d'écrire une critique ciné sur "Valse avec Bachir", j'ai commis un petit texte poétique que voici.

J’étais ce soir au cinéma

On jouait « Valse avec Bachir »

Le réalisateur se bat

Avec sa mémoire

Qui lui refuse

La guerre du Liban dans laquelle il fut soldat israélien

Lui refuse

Ces massacres de civils qu’il approcha de si près

Sabra et Shatila

Qu’elle les gomma

Patience et obstination le conduisent

Les témoins eux aussi acteurs

En dessin animé

Lui disent

Cet instant minime

Celui dont chacun porte la misère

L’un sa nage insensée contre la nuit et la peur du lâche qui sauve sa peau seul l’instinct de survie

L’un l’enfant au lance-roquette dans le verger, en face, explosé

Et lui, lui

Voit des hommes se relever de la mer, des soldats

Signes muets

En dessin animé

L’autre raconte ce soldat devenu fou en pleine fusillade valser avec son arme sous les tirs

Valse de Chopin

Valse

Par quelle légèreté, surpris ?

Les hommes, inlassables, se relèvent de la mer, les soldats

Ne disent toujours rien

On part à la guerre comme on part en vacances

La musique à fond et l’alcool à flot

Les chevaux aussi meurent sous les balles

Les chiens

Patience et obstination

Quelques bribes émergent avec les soldats

En dessin animé

Le film se rapproche du massacre des civils

Se rapproche

Ceux qui racontent

S’estompent

A force de se lever de la mer les soldats

Cèdent la place aux images concrètes

Puissantes

Les corps morts

Les corps mutilés

Les corps

Insupportables les corps

Et ce ne sont plus des dessins animés mais des images documentaires d’archive

Puissantes et fermes

La mémoire enfin cédant ?

J’étais paralysée sur mon siège

Prise aux tripes

Laissant tomber le générique

Mot à mot

Note à note

Nom à nom

Sidérée

Les autres aussi sans doute

Pas un mouvement dans la salle stupéfaite

D’un coup

D’autres personnes là, à l’entrée de la salle, juste devant la porte, avec des téléphones portables écrans allumés tenus comme pour filmer

Naïvement j’ai pensé

Naïvement

Qu’ils venaient pour capturer quelques images

Garder eux aussi mémoire

Revenir

Et capturer

En clandestins

Naïvement

Des filles avec des t-shirts blancs se sont mises à brailler

L’une a couru sur la scène devant l’écran

Et s’est trémoussée pour les téléphones photographes

Sous leurs cris de joie

Elle était vraiment

Elle était vraiment

Elle était vraiment

Phé-no-mé-na-le

Enterrement de vie de jeune fille

Comme un samedi

Gage réussi

Et ce n’était même pas une valse

J’ai dit à l’une que le film était mal choisi

Elle m’a demandé

Quel film

C’était

Elle a baissé la voix

Ces jeunes filles ont cru que le cinéma ce simple divertissement

Supportait bien un viol

Ce simple divertissement

En dessin animé

Et puis, juste

Le générique

Ce que la joie et les autres rendent bête

Insensible

Est-ce qu’on arrache la couverture d’un livre parce qu’il est terminé ?

Sur mon vélo je pleurais

D’autant d’indécence idiote

Je pleurais

En rejouant en moi-même la valse de Chopin