Jusqu’à aujourd’hui, avec Postscript, Gérard Genette n’avait encore jamais cité l’aphorisme de Kurt Lewin : « Rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie », qui lui fait penser à Engels citant un proverbe anglais : « La preuve du pudding, c’est qu’on le mange ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que Gérard Genette a beaucoup d’humour, ou plutôt beaucoup d’esprit, car il sait bien à quel point « trop d’humour tue l’humour »… En vérité, son genre, ce serait plutôt l’allusion, c’est-à-dire la pratique du langage indirect. Mais le mot « genre » est ici impropre : il faudrait plutôt dire « figure », pour reprendre une autre série de livres – théoriques – qu’il publie depuis quarante ans aux mêmes éditions du Seuil, dans la collection « Poétique », depuis Figures III, en 1972, car les deux premiers volumes avaient paru dans la collection « Tel Quel » de Philippe Sollers, en 1966 et 1969.
Dans Postscript, justement, il rend hommage à Philippe Sollers qui lui avait permis de publier un recueil d’essais intitulé Figures, « sans demander à son auteur, selon l’usage éditorial, d’y ajouter une introduction et / ou une conclusion propres à en établir, ou au moins en proclamer, comme on fait toujours, l’unité profonde. » Gérard Genette raconte ici que cette insouciance ne fut pas approuvée par quelques-uns de ses amis, mais, à y repenser aujourd’hui, il n’en est pas mécontent : ce fut même une chance, voire ce qu’on appelait autrefois une Providence, dit-il. En effet, on a rapporté à Gérard Genette que le lectorat des livres qu’il écrit d’une main et de ceux que, de l’autre, il contribue à faire publier (dans la collection « Poétique » des éditions du Seuil) est qualifié de « grand public cultivé ». Gérard Genette admire « ce nouvel oxymore doublement flatteur », dit-il, surtout dans notre République devenue « furieusement twittocratique », où par exemple une émission de radio peut être supprimée brutalement pour cause d’élitisme peu républicain…
Dans Bardadrac, Gérard Genette avait mentionné sa devise personnelle : « Moderato ma non troppo », dont l’équivalent dans notre belle langue est : « Modéré, mais sans excès ». Dans un précédent volume, il nous avait raconté aussi son passage par le marxisme pur et dur qui l’avait finalement déniaisé sur bien des vésanies « de gauche », qu’il voit encore prospérer chez d’autres qui n’ont pas bénéficié de ce vaccin de cheval. Dans Postscript, il dit que le « socialisme » est de plus en plus à la gauche française ce qu’est à un amputé son membre fantôme : « il l’a perdu depuis longtemps, mais il lui fait toujours mal. » De toute façon, Gérard Genette ne croit pas trop au mot « progrès », sachant que se déclarer « favorable au progrès » est un simple pléonasme (« comme dire qu’on aime ce qu’on trouve bon »), et s’y déclarer « opposé » un oxymore (« comme dire que l’on n’aime pas ce que l’on trouve bon »).
Gérard Genette se targue (sans doute un peu trop souvent, reconnaît-il volontiers) d’être autodidacte ; il s’est même longtemps demandé pourquoi il se tient si soigneusement à l’écart des institutions proprement universitaires – du moins en France, car les universités étrangères, et particulièrement américaines, l’ont pas mal sollicité ; mais c’est un fait qu’il n’a jamais enseigné au Collège de France, par exemple, et peut-être à cause du professeur Roland Barthes et de son avertissement : « Vous voilà dans le grand bain »… Oui, n’aurait-il pas fallu lui demander ce qu’il entendait par là, au juste ? Sans doute ; « mais j’étais ravi de ne plus toucher aucun fond », dit Gérard Genette…
Didier Pinaud
Gérard Genette, Postscript Seuil / Fiction & Cie 288 pages, 14,99 €
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