Avengers : Infinity War. L’art malgré le fric

Par Balndorn


Annoncé en grande pompe comme l’un des films les plus coûteux de l’histoire du cinéma (en deuxième place avec 485 millions de dollars, derrière Avatar et ses 560 millions) et simultanément, comme le plus rentable (630 millions de dollars ramassés cinq jours après sa sortie), Avengers : Infinity War sentait de loin la bouse conventionnelle. Pourtant, malgré la lourdeur du budget et la nécessité d’amortir les dépenses, la superproduction Marvel attendue depuis des années s’avère une œuvre riche – et pas qu’économiquement parlant.Si le film ne marquera certes pas l’histoire artistique du septième art, il représente toutefois un jalon important dans le genre super-héroïque, voire dans le cinéma de genre hollywoodien tout court.
Les héros au cœur du chaos
Saluons ici le travail de mise en scène des frères Russo. Certes, Anthony et Joe Russo n’ont pas une patte d’auteur – mais est-ce un tort ? Néanmoins, le style nerveux et mature qu’ils ont su apporter au Marvel Cinematic Universe (MCU) depuis Captain America : Le Soldat de l’hiveret Captain America : Civil War a offert à la saga un profond renouvellement. Au passage, apprécions aussi le boulot de Kevin Feige, directeur de Marvel Studios, qui sait s’entourer d’artisans cinématographiques de talent, à l’instar des Russo, de Taika Waititi (Thor : Ragnarok) ou de Ryan Coogler (Black Panther), qui, depuis un an ou deux, enrichissent et orientent le MCU vers des perspectives toujours plus complexes.Revenons-en aux Russo. Leur manière de filmer les combats, qu’ils expérimentent depuis Captain America : Le Soldat de l’hiver, s’épanouit majestueusement dans la bataille titanesque d’Avengers : Infinity War. Alors que bon nombre de productions super-héroïques (et autres films d’aventures/de combat) se focalisent sur les héros, au cœur du cadre, filmés dans des plans relativement longs (quatre-cinq secondes), les Russo privilégient un montage sec et une mise en scène volontairement déséquilibrée. Plans courts et expressifs (une à deux secondes), cadre désaxé, mouvements subits d’une caméra qui plonge dans la mêlée… Chez les Russo, la guerre est un chaos. Les super-héros y sont des forces brutes. Aucune valeur morale (plongée ou contre-plongée, lumière derrière la silhouette…) n’accompagne leurs gestes guerriers.
Une narration au service des affects
Côté scénario, Avengers : Infinity War innove également. Le crédit va au duo de scénaristes Christopher Markus et Stephen McFeely qui accompagne les Russo depuis leur premier long-métrage chez Marvel.Avengers : Infinity War semble condenser en un seul film le principe narratif structurant du MCU : la multiplicité des arcs narratifs. Trois arcs organisent l’œuvre : ceux de Thor, d’Iron Man et Doctor Strange, enfin, du Wakanda. À bien des égards, la composition dramatique s’apparente à Dunkerque. Comme chez Nolan, Avengers : Infinity War élude les détails pour se concentrer sur des séquences de tension pure. Scénario et mise en scène se complètent : Avengers : Infinity War ne fait pas évoluer ses personnages (tâche dévolue aux films « en solo »), mais exploite leur potentiel émotionnel, les restreignant à de purs stimuli neurophysiologiques. Comme si l’héroïsme se réduisait à un système d’action-réaction brut.En revanche, si les héros paraissent moins étoffés que d’ordinaire, l’antagoniste, lui, brille par sa complexité morale. Thanos n’est pas qu’un banal méchant : il domine tant le film qu’il en joue presque le rôle de héros-moteur. Surtout, son projet politique n’a rien du classique « Tout dominer, tout détruire ». Mûrie depuis des années, son ambition d’éliminer la moitié de la population de l’univers pour mettre fin à une surpopulation dramatique pour les ressources naturelles figure une idéologie écologiste poussée à l’extrême. Bref, Avengers : Infinity War joue sur plusieurs tableaux, ce qui fait sa force. Il satisfait aussibien les spectateurs en quête d’un divertissement extraordinaire que ceux qui désirent que le MCU aille dans de nouvelles directions et sortent de son carcan fanboy adolescent. Ce qu’Avengers : Infinity War n’est assurément pas. Reste à voir si la seconde partie du diptyque, prévue pour mai 2019, se montre à la hauteur de la première moitié et en accepte pleinement les conséquences esth-éthiques. C’est-à-dire, qu’elle ne renie pas le bouleversement dramatique du monde que le film met en scène.

Avengers : Infinity War, Anthony et Joe Russo, 2018, 2h29
Maxime
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