Cossutta, Frédéric, Eléments pour une lecture des textes philosophiques. Compte-rendu.

Publié le 19 mai 2018 par Antropologia

  Paris, Bordas, 1989.

Un des intérêts du blog est de permettre de ressortir des ouvrages oubliés ou négligés. Eléments pour une lecture des textes philosophies de Frédéric Cossutta qui date de 1989 est avec évidence de ceux-là.

C’est un ouvrage important car il nous rappelle que chaque discipline adopte une poétique spécifique sans en avoir nécessairement conscience. Ainsi, à la différence des discours politiques ou littéraires, la poétique de la philosophie ne constitue pas une « discipline constituée ». Celle de l’anthropologie, pas davantage même si Writing Culture, Clifford et Geertz avaient posé la question restée pour l’essentiel à l’état d’ébauche. Le livre de Cossutta permet d’aller plus loin.

Il dit parler de lecture, sous la forme un peu dogmatique d’ Eléments, mais il présente surtout divers aspects de l’écriture de la philosophie et donc de son épistémologie – usage des concepts, type de références, fonction des métaphores, utilisation de l’argumentation, et enfin, recherche de cohérence. En explicitant les normes cachées de la poétique de la philosophie, Cossutta les sépare de celles utilisées dans d’autres disciplines et donc de l’anthropologie. En effet, comme la philosophie recherche au moyen de concepts à constituer des doctrines cohérentes, ses relations à la réalité prennent des formes spécifiques. Surtout, la réalité est seconde car l’essentiel de la besogne consiste à élaborer des concepts et à les articuler entre eux. Même si le réalisme est invoqué, il n’a pas la prédominance. En revanche, l’anthropologie affirme décrire la réalité du monde social selon un certain point de vue et une certaine échelle. Ces deux derniers aspects peuvent prendre des formes différentes selon les chercheurs mais tous affirment présenter la réalité.

Le livre de Cossutta nous oblige à abandonner l’innocence scripturale. En présentant le statut du discours philosophique, il exige que nous définissions celui de l’anthropologie. Evidemment, la priorité de cette discipline n’est pas de présenter un agencement de concepts sans contradiction. Pire si la société est incohérente, le discours doit le rester. Cependant, comme l’anthropologie se présente sous forme de mots, elle est irréductible aux pratiques. Il nous faut donc préciser le statut du « référent » dans nos discours et les normes implicites qui déterminent l’accès à cette réalité. Nous pouvons ainsi comprendre les raisons pour lesquelles le point de vue « intérieur » et l’échelle microscopique se sont imposé à nous : pour ne pas trop nous éloigner des sources de première main auxquelles nous font accéder nos enquêtes. Cossutta nous donne les instruments pour comprendre nos choix et nos pratiques.

Bernard Traimond

Bibliographie indicative

CLIFFORD, James & MARCUS, George, Writing Culture. The Poetics and Pollitics of Ethnography, Berkeley, University of California Press, 1986.

CLIFFORD, James, Malaise dans la culture, Paris, (énsb-a), 1996.

CRAPANZANO, Vincent, Imaginative Horizons, Chicago, The University of Chicago Press, 2004.

GEERTZ, Clifford, Ici et Là-bas. L’anthropologue comme auteur, Paris, 1996.

PRATT, Mary-Louise, Toward a Speech Act Theory of Literary Discourse, Bloomongton, Indiana University Press, 1977.