« J'ai tant de colère en moi... », me dit-il d'une voix étranglée, cet ami assis là dans ma cuisine, poings serrés posés sur la table, front plissé, regard tourné vers l'intérieur comme s'il ne voyait plus que cette colère et pas la tasse de thé que j'ai posée devant lui, ni le bouquet de tulipes multicolores... Il ne vit que dans la colère, sa colère : « Je cherche, poursuit-il, je réfléchis, d'où vient cette colère, et comment je pourrais la faire disparaître... Je pense que cela va me rendre malade, une si grande colère. » Par la fenêtre, j'aperçois les cadeaux du printemps : les arbres aux minuscules petits bouts de feuilles vertes encore froissées et le cerisier, blanc et majestueux qui domine la cour. Que répondre ? Le Bouddha parle de la colère comme d'un poison, qui se répand dans notre esprit et étouffe tous les autres sentiments ; qui nous rend aveugle et sourd à tous ceux qui nous entourent. Un feu qui brûle faisant terre rase de tous nos sentiments. La colère est certainement un sentiment partagé, tôt ou tard, plus ou moins, par nous tous. La colère instantanée provoquée par l'impatience, par le mot de trop, mais, plus grave, la colère rentrée, la colère sans cause, juste que non, ça ne devrait pas être comme ça, ça n'aurait pas dû se passer de cette façon... Quoi donc ? On ne sait pas exactement, c'est flou, vague et pourtant cela étouffe et empêche de respirer. Faut-il creuser son passé, répertorier les injustices subies, revenir sur nos ratages, nos rancunes ? « Je ne peux pas vivre dans cette colère, et pourtant je garde les yeux fixés dessus, je la remâche, j'y passe mes jours et souvent mes nuits. » Il semble enfermé, se cognant aux murs qu'il a lui-même construits.
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