Madrigal

Par Vertuchou

traduit de dessus un éventail de lady Hamilton

Le temps, implacable alchimiste, épuisera le chaud parfum du santal.

Mais ces mots, écrits sur votre éventail, subsisteront, et vous y trouverez
encore les immatériels parfums du souvenir.

Alors le tableau de votre éclatante jeunesse se déroulera dans votre mémoire.
Vous en serez éblouie et ravie, comme nous sommes éblouis et ravis quand vos
cheveux de cuivre se déroulent sur vos épaules.

Puis après, le temps un instant dompté, reprendra son œuvre dévorante, et votre
chair, aurore palpable, sera emportée tout à coup par la colère du sort ou de
l’homme; ou bien elle se desséchera lentement au vent de la vieillesse, pour se
dissoudre enfin dans la terre brune.

Cet éventail, aussi, vendu, acheté, revendu, sali dans les tiroirs, brisé par
les enfants, bibelot dédaigné des bric-à-brac, finira peut-être dans un clair
incendie, ou bien épave d’égouts, il descendra les rivières pour s’émietter,
pourri, dans la mer immense.

En attendant, gardez l’orgueil de votre chair couleur d’aurore, laissez
insolemment flamboyer vos cheveux, jouez avec la perverse toute-puissance de vos
yeux transparents.

Car vous êtes l’anneau actuel de la perpétuelle chaîne de beauté; car ce qui a
lui une fois, luit à jamais dans l’absolu; car, à la symphonie de votre vie, il
faut un sévère et grandiose accord final.

D’ailleurs ces mots qui parlent de vous, transmis de mémoire en mémoire, feront 
sans cesse revivre la main souveraine qui a tenu cet éventail et la chair qu’il 
a caressée de ses battements parfumés.

Charles Cros

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