Dibakana Mankessi : Atipo mon mari et autres nouvelles

Par Gangoueus @lareus

Ajouter une légende


Je vous parlerai de cette première nouvelle de Dibakana Mankessi. Atipo, mon mari. Tout d’abord, il faut revenir sur le morceau de rumba de Pamelo Mounk'a. Ce fut un très grand artiste de la république populaire du Congo à qui on doit le tube continental L’argent appelle l’argent. Son règne fut important à la fin des années 70 et au courant des années 80. Et Atipo fut un tube dont je compris le sens assez rapidement. En effet, ayant grandi en banlieue lyonnaise, cette chanson rappelait à ma mère une anecdote douloureuse où une jeune congolaise avait rejoint un travailleur immigré basé à Lyon. La jeune congolaise pimpante et coquette eut la désillusion de tomber sur un homme rustre, peu instruit et surtout brutal. La jalousie qu’il développait autour de sa femme était féroce et elle en était la première victime. Le morceau de Pamelo Mounka raconte à la fois la question du mariage arrangé et la fumisterie entretenue par le travailleur immigré quand on ne parle pas de l’aventurier congolais en Europe.
Atipo, mon mari. Naturellement, la question que je me suis posé en abordant cette nouvelle, c’est de savoir comment Dibakana Mankessi allait mettre à la sauce du jour cette histoire tragique écrite en 1986. La première chose que je peux dire c’est qu'il raconte cette nouvelle en se positionnant à partir du regard de la femme. Un « je » féminin. Il faut dire que l’écrivain congolais s’est déjà essayé à ce type d’exercice dans ses précédents romans, avec un véritable succès. Son texte La brève histoire de ma mère est de ce point de vue magnifique. Dans cette nouvelle, c’est l’arrivée à Roissy de cette jeune femme qui est contée. Ses aspirations. Sa surprise. Son désarroi. Quand j’y pense, le projet d’immigration traité par les écrivains congolais a toujours été traité du point de vue masculin. Pourtant, le désenchantement de l’héroïne est très peu différent de celui de Massala-Massala, le fameux personnage de Bleu-Blanc-Rouge le premier roman d’Alain Mabanckou. Dibakana Mankessi inscrit la chute des espérances dans la confirmation de l’identité de celui qui a porté le projet : Atipo. Intervient, quelque chose qu’on va retrouver dans plusieurs nouvelles : une sorte de flashback qui coupe le texte en deux et propose  une genèse à l’histoire, une reconstitution de l’imbroglio, de la tartufferie où le grand Sidney Poitier joue un rôle majeur à son insu. Avec au départ du projet, un mariage arrangé. C’est à ce niveau que cette première nouvelle  a donné lieu à quelques invraisemblances. Je peux dire sans trop me tromper que le mariage forcé mais aussi le mariage arrangé ne constitue plus une norme de fonctionnement. Or, le morceau de Pamelo Mounka parle avant tout de cela et l’histoire de Dibakana évoque un chant des années 80 remis au goût du jour, puisque des éléments technologiques (smartphone dernier cri) attestent que la nouvelle se déroule aujourd’hui. Comment peut on s’engager sur la base d’une photo de Sidney Poitier alors qu’avec les réseaux sociaux définissent les rapports nord/sud, entre ceux qui sont partis et ceux qui sont restés. La supercherie est difficile à faire jouer sur la durée… Anachronisme...
Naturellement, je ne cherche pas à démonter le travail de Dibakana Mankessi, mais, cela vous donne l’état d’esprit - suite à la lecture de cette première nouvelle - dans lequel j’ai lu les autres nouvelles, attentif aux incohérences. Ainsi il est difficile de saisir la seconde nouvelle Les chapeaux jaunes, où le lecteur aura l’impression d’être plongé parle le rêve au coeur d’un parcours initiatique pour intégrer une sorte de secte ésotérique.  Etrange nouvelle. Le blues du dragueur pose le même type de situation que dans la première nouvelle.

Copyright Gangoueus


J’aimerais toutefois, vous donner une bonne raison de ne pas vous arrêter sur cette impression. La deuxième partie du livre permet à Dibakana Mankessi de produire un discours plus cohérent, plus travaillé au niveau de son style. Pour cela, je vous parlerai de trois nouvelles très intéressantes pour illustrer mon propos : Le curieux vagabond. Un texte découpé avec le même principe. Le présent : Un homme à la rue. Elégant. Il plait à des femmes seules mais ne s'attache pas. Le passé : un drame familiale, une disparition et les rancoeurs autour de la relation interraciale ou du couple mixte qui remonte en surface. L’affaire de l’écrivain Ickobo. Cette nouvelle passionnante met en scène l’écrivain dans la perception dans laquelle ont surement été perçu les premiers romanciers congolais. Avec une approche assez étonnante sur la société d’où écrit l’artiste qui veut « conserver » l’écrivain dans son intégrité, dans son ancrage. C’est aussi une réflexion sur la réception de l'oeuvre par des acteurs qui biaisent souvent comme ce catéchiste qui nuance auprès de son clan le propos critique de l'écrivain. Mieux, la chute de cette nouvelle est magnifique. Avec une question : Comment accompagner un artiste dans des sociétés le tissu social est extrêmement serré et … Et pour terminer, la nouvelle qui met en scène le légionnaire venu de Gwaka est sans conteste la plus cruelle et la plus inattendue de ce texte... Déroutante. 
N’eût été un exercice imposé de la préparation d’une émission, j’aurais abandonné la lecture de ce livre. Ce qui aurait été une grave erreur de ma part car le meilleur du travail de Dibakana est dans la seconde partie du livre. Peut être est-ce une erreur de l’éditeur une construction plus stratégique d’un recueil de nouvelles. en fonction des éléments que j’ai mentionnés. De plus, la couverture n’est pas très engageante. Pourtant en terminant la lecture de l’ensemble de ce recueil, je ne peux que vous recommander ce livre.
Dibakana Mankessi, Atipo mon mari et autres nouvellesEditions La DOXA, première parution en 2018, 236 pages