Et au bout de l’ennui, un sprint…

Publié le 13 juillet 2018 par Jean-Emmanuel Ducoin

Dylan Groenewengen.

Dans la septième étape, entre Fougères et Chartres (231 km), victoire du Néerlandais Dylan Groenewengen (Lotto). Il s’agissait de la plus longue étape du Tour 2018, au scénario écrit à l’avance. Avec sa part de torpeur.
 
Chartres (Eure-et-Loir), envoyé spécial.
Engoncés dans la torpeur estivale, tous les téléspectateurs doivent y songer en somnolant. Chaque Juillet revenu, à la faveur de la première semaine, un débat resurgit à la mesure de la grandeur du Tour: certaines étapes de plaines sont-elles trop ennuyeuses? «La course appartient aux coureurs», dit toujours Bernard Hinault, qui s’y connaissait en coups de folie et autres coups de force. Si cet ennui supposé ne menace en rien le patrimoine national qu’est la Grande Boucle, qui semble résister à tout (même aux pires scandales), comme en témoigne quotidiennement le public fidèle des bords de routes, les circonstances de course, elles, deviennent tellement prévisibles que le chronicoeur – qui en a vu d’autres ! – pourrait écrire certains de ces articles quatre heures à l’avance, sans en retrancher la moindre virgule, juste en rajoutant le nom du sprinteur victorieux.

Ce vendredi 13, jour de chance, c’était d’ailleurs l’étape la plus longue de cette édition 2018. Entre Fougères et Chartres, pas moins de 231 kilomètres. Assez soporifiques. Il y eut bien des tentatives d’échappée. D’abord le Français Yoann Offredo, repris à 90 bornes du but après 110 kilomètres en solitaire. Puis l’un de ses compatriotes, Laurent Pichon, parti à l’aventure… en vain. Scénario rédigé avant même d’être vécu. Qui le résume mieux que Thierry Gouvenou, le «dessinateur» du parcours qui, il y a dix jours, confessait à nos confrères du «Gruppetto» sa frustration par anticipation: «C’est quatre échappés qui prennent la fuite après 4 kilomètres, voient leur avance atteindre les quatre minutes et se font reprendre à 4 kilomètres de la ligne. Et ça, pour moi, c’est l’horreur. Ces dernières années, les équipes de sprinteurs ont changé leur façon de courir et les étapes de plat sont devenues, il faut le dire, très chiantes ! »

L’honnêteté nous oblige: il a raison. Par convention, et en raison d’une scène plate parfois balayée par le vent (quelques bordures surviennent de temps à autre), le premier acte du Tour appartient toujours aux sprinteurs. Comme à Chartres, quand s’est abattue sur la ligne droite la houle écumeuse du peloton en furie, quand a émergé du chaos annoncé et pourtant souverain le nom du vainqueur: le Néerlandais Dylan Groenewengen (Lotto).
Pas de quoi s’enthousiasmer. Mais de quoi grogner non plus. Le Tour offre un spectacle unique. Des murs de spectateurs érigés et heureux, des barrières humaines et de rangées de milliers d’yeux, tant d’yeux, l’inextricable réseau de fils des regards mobiles. Et des paysages rares et si vite changeants que, d’un département à l’autre, d’un jour sur l’autre, les souvenirs des contrées traversées s’épuisent d’éblouissements. Que le chronicoeur soit pardonné, mais, comme l’écrivait même ses confrères du «Monde», non sans humour : «Ce n’est pas une finale de Coupe du monde qui vous fera traverser, en une seule et même étape, Saint-Denis-de-Gastine, Châtillon-sur-Colmont, Saint-Georges-Buttavent matin, La Chapelle-au-Riboul, Villaines-la-Juhel, Moulins-le-Carbonnel, Neufchâtel-en-Saosnois, Le Gué-de-la-Chaîne, Saint-Martin-du-Vieux-Bellème et Champrond-en-Perchet.» 
Patience. Avec les pavés du Nord dimanche, et l’arrivée dans les Alpes dès mardi, les circonstances donneront peut-être tort à Bernard Hinault, qui déclarait à l’AFP mercredi : «Aujourd’hui, beaucoup de coureurs ont peur de perdre, donc ils ont peur de gagner. Il faut prendre des risques. Personne n’ose et tout le monde attend le dernier moment. (…) Est-ce que si j’avais été coureur [aujourd’hui], le cyclisme serait fermé? Pas sûr.»

Et à part ça? La caravane s’inquiète pour le Français Romain Bardet. Le leader des AG2R-LM, qui a perdu une trentaine de secondes, jeudi, après un ennui mécanique et une légère défaillance dans la côte terminale de Mûr-de-Bretagne, ne serait pas «très en canne», selon notre druide Cyrille Guimard, qui ne manque habituellement pas d’œil. Le manager de l’équipe, Vincent Lavenu, essaie de minimiser: «Il va rapidement passer à autre chose, il faut savoir transformer les petites déceptions en motivation. On sait très bien que le Tour peut se jouer à peu de choses, on a gardé la troisième place l'an passé pour une seconde. On fera le bilan sur les Champs, mais il ne faudrait pas perdre le Tour pour vingt-cinq secondes.» Et il ajoute: «La capacité d'un champion, c'est de ne pas se laisser abattre, de rebondir à chaque fois. Romain est comme ça, déterminé et capable de moralement tenir le choc. Lors du débriefing hier soir, il a pris la parole pour dire à l'équipe : "C'est à nous d'être acteurs".» Hinault doit triompher secrètement…


Et si les Sky, tout comme nous, s’interrogeaint sur leur leader? Après l’arrivée à Mûr-de-Bretagne, chacun a pu constater de près – objet de bien des discussions depuis vingt-quatre heures – que le soleil tapait plus fort sur Chris Froome que sur les autres. Nous l’avons vu livide, ruisselant, en recherche de souffle… tandis que son équipier Geraint Thomas, à qui il rend une minute au classement général, ouvrait à peine la bouche pour respirer. Et il n’avait pas donné l’impression de s’employer pour achever cette étape au sommet d’une côte exigeante à la neuvième place, cinq secondes devant son leader. Depuis le départ de Vendée, le Gallois dégage une aisance étonnante. Et à la différence de Froome, Geraint Thomas s’exprime. Sans cacher ses émotions: «Les jambes sont bonnes. Tout le monde me regardait dans l'ascension et j'ai estimé que je devais leur laisser faire le travail. Je savais que c'était un final difficile et je préférais patienter. Quand Valverde est parti, il était trop tard pour que je le reprenne. Je suis donc resté en place pour économiser 1% d'énergie qui me servira un autre jour. Je n'ai pas pu aller chercher le podium, j'aurais pu prendre le Maillot Jaune.» Des paroles de patron, non?
 Jean-Emmanuel Ducoin