J'apprends de Brigitte Giraud

Par Sylvie

Editions Stock, 2005

Brigitte Giraud est l'un des plumes françaises les plus sensibles, les plus émouvantes d'aujourd'hui. J'avais adoré A présent, un texte magnifique sur le deuil.
Dans J'apprends, elle se plonge dans ses souvenirs d'enfance lorsqu'elle a découvert l'école ; avec son talent de bonne élève, elle a appris plein de choses, des poèmes, des règles de grammaire, des formules mathématiques), mais elle a aussi compris que cet univers clos sur lui-même ne correspondait pas à ce qu'elle vit dans sa famille au lendemain de la guerre d'Algérie. Car elle est née en Algérie ; dans la rue, on parle des arabes, des harkis mais pas à l'école.
A la maison, le silence régne sur le passé de la famille. Il y a uniquement de vieux albums de photos jaunis sur lequel on ne dit rien....
Brigitte Giraud alterne dans de courts paragraphes les moment passés à l'école et les scènes de famille ou de rue qui paraissent deux univers bien séparés qui ne communiquent pas entre eux. Entre apprendre et comprendre, il y a deux mondes infranchissables ...
Apprendre avec bonheur un monde cohérent et bien ordonné ; on sent le bonheur qu'éprouve  la petite fille de tout maîtriser. Mais on sent que c'est aussi un formatage, un apprentissage par coeur. D'ailleurs, le texte est scandé d'extraits de poèmes, de formules de mathématiques ou de règles de grammaire...
Et...ne pas comprendre ce qui se passe chez soi, sa propre histoire, sa propre origine. Beaucoup d'interrogations, d'incertitudes, de blancs. Qu'est devenu la mère ? La réponse ne vient jamais ; la narratrice évoque uniquement "celle qui n'est pas ma mère", autrement dit la deuxième femme de son père. On ne saura jamais ce qui s'est passé en Algérie.
On retrouve ici toute la pudeur de Brigitte Giraud qui dans des phrases très courtes, très rythmées, fait passer beaucoup d'émotion sans être jamais misérabiliste. Les paragraphes sonnent comme un petite musique de l' âme, tellement c'est simple et vrai...
Ce court roman a le mérite de mettre l'accent sur l'absence de l'Histoire des immigrés à l'école. Sujet d'actualité....Comment concilier l'école et la vie ? C'est toute la question du livre...

Quelques extraits
"Je dois apprendre. C'est à dire intégrer, ingérer. Ce qui est extérieur devient intérieur. Je dois mélanger le monde musulman avec mon monde à moi. Répéter des mots à voix basse dans ma chambre jusqu'à ce qu'ils restent en moi. Je dois capturer le monde, le retenir, le figer. Cela se passe dans mon cerveau mais aussi dans mon corps. ...Apprendre, c'est répéter, comme une prière. Cela fait mal au ventre. Chucoter, faire le vide, oublier la vie autour. ....Intégrer la phrase si profondément qu'elle prend toute la place. Je deviens la phrase qui passe dans mon estomac, puis dans mon sang."