L'actrice Marie Trintignant est morte il y a 15 ans

Publié le 01 août 2018 par Sylvainrakotoarison

" La séduction est la véritable violence. " (Gotthold Ephraim Lessing, 1772).

Il y a quinze ans, dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003 dans un hôtel à Vilnius, l'actrice Marie Trintignant est tombée dans un coma profond dont elle n'est jamais sortie. Blessée par dix-neuf coups, dont quatre portés au visage, assénés par son compagnon Bertrand Cantat, chanteur du groupe Noir Désir. Elle a succombé à ses blessures à l'âge de 41 ans le 1 er août 2003 à l'hôpital de Neuilly-sur-Seine, après avoir été opérée plusieurs fois à Vilnius, puis été rapatriée en France le 31 juillet 2003.
Le chanteur avait installé l'actrice sur un lit sans prévenir immédiatement les secours et ce ne fut que le lendemain matin que le frère de la victime, contacté au cours de la nuit, appela les urgences. Bertrand Cantat, qui a alors tenté de se suicider, a été jugé à Vilnius le 29 mars 2004 à huit ans de prison. Il fut rapatrié près de Toulouse le 28 septembre 2004 et bénéficia de remises de peine, ce qui lui a permis de sortir de prison le 15 octobre 2007. Son contrôle judiciaire s'est arrêté à la fin de la durée de la peine le 29 juillet 2011.
La plus grande peine reste probablement sa conscience qui, jusqu'à la fin de ses jours, lui rappellera avec la plus lucide cruauté ce qu'il a commis pendant cette nuit glauque en Lituanie, apparemment pour une querelle de jalousie.
Toutefois, tant de violence avec une si grave conséquence, ce n'était pas très cher payé, quatre ans de prison ferme. Peut-être plus cher que certains homicides qui sont commis sur la route par des chauffards, mais moins cher que bien des meurtriers sans réputation.
De toute façon, il n'y aurait eu aucune peine qui aurait compensé, remplacé la vie de Marie Trintignant. Aucune vengeance n'est particulièrement utile même si ce sentiment peut paraître justifié et est difficilement répressible. Je songe à ses parents, Nadine et Jean-Louis Trintignant, toujours effondrés depuis cette tragédie, qui ont mené un combat pour qu'au-delà de leur fille, ce fût les femmes en général qui soient un peu mieux protégées de leur conjoint violent.

Depuis qu'il a retrouvé la liberté, Bertrand Cantat cherche à reprendre son activité de chanteur mais à la plupart de ses concerts, il doit faire face à des manifestants qui trouvent odieux qu'il puisse continuer à se produire sur scène, comme si de rien n'était. Si bien que plusieurs concerts voire tournées ont été annulés.
Oui, bien sûr qu'il a le droit de vivre encore. Qu'il a payé sa dette à la société, certes, d'un point de vue judiciaire, mais d'un point de vue moral, la tache restera indélébile. Certains événements de la vie imposent parfois de changer radicalement son parcours professionnel. Par nécessité. Cela aurait sans doute était pertinent pour lui. Non pas quitter les arts et même la chanson, mais ne pas se produire devant une foule qui aurait vocation à l'applaudir. Comment pouvoir l'applaudir depuis le 27 juillet 2003 ?
La moindre des corrections, ce devrait être de se faire oublier par la société, ce devrait être de trouver un emploi discret, peut-être public mais sans public, écrire par exemple, beaucoup d'anciens prisonniers ont écrit, mais ils n'ont pas cherché à être applaudis, à être absous de leurs fautes.
Hélas, la mort de Marie Trintignant, qui a traumatisé au-delà du cercle de ses intimes parce qu'elle était une grande actrice qui avait encore beaucoup de potentiel pour des rôles parfois engagés, n'est qu'un drame ordinaire dans la violence faite aux femmes, la violence conjugale. Une femme meurt tous les trois jours en France d'une telle maltraitance conjugale, ce sont des statistiques insupportables à entendre.
Ce sont des statistiques qui n'ont guère évolué en dix ans, hélas. Selon un rapport publié le 1 er septembre 2017 par le Ministère de l'Intérieur, il y a eu 157 personnes tuées par leur conjoint ou partenaire en 2016 en France (précisément, par leur époux, concubin, ex, amant ou partenaire de courte durée), dont 123 femmes et 34 hommes.
Plus d'un tiers des meurtriers incriminés (37% des conjoints "officiels" pour les 109 femmes tuées par leur conjoint "officiel") étaient déjà connus des services de police ou de gendarmerie pour des faits de violence conjugale. En tout, 85 424 victimes (dont 74 628 des femmes, soit 87,4%) ont déposé plainte en 2016 pour coups et blessures volontaires de la part de leur conjoint ou ex-conjoint. La même année, il y a eu 2 096 viols par un conjoint, dont 2 074 commis contre les femmes.
Cette violence conjugale touche tous les milieux. Un exemple tragique parmi d'autres parce qu'il a fait intervenir un notable : il y a près de dix ans, le 17 novembre 2008, un député et ancien maire d'une ville moyenne a d'abord battu violemment puis tué sa maîtresse qui venait de lui annoncer qu'elle le quittait, il s'est ensuite suicidé.
Lors de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux femmes, le 25 novembre 2017, le Président Emmanuel Macron a dévoilé son plan pour l'égalité entre les femmes et les hommes et son plan contre les violences faites aux femmes : " Il est indispensable que la honte change de camp. ". De ce discours est sorti notamment le projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, défendu en procédure accélérée (moins de navettes parlementaires) par la Ministre de la Justice Nicole Belloubet et la Secrétaire d'État chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa.
Adopté au conseil des ministres du 21 mars 2018, le texte fut discuté, amendé et voté par les députés le 16 mai 2018, mais le texte adopté par les sénateurs le 5 juillet 2018 est différent. Heureusement, le projet de loi vient de faire l'objet d'un accord au sein de la commission mixte paritaire créée le 6 juillet 2018 (une telle commission est formée lorsque les députés et les sénateurs n'adoptent pas le même texte). Cet accord a eu lieu ce lundi 23 juillet 2018 (un accord avec peu d'échos médiatiques en raison de l'affaire Benalla) et l'adoption définitive du texte est donc d'autant plus assurée qu'il a recueilli un consensus qui a dépassé les clivages politiques.
Voici comment la rapporteure de ce projet de loi, Alexandra Louis, députée LREM, l'a introduit le 10 mai 2018 : " Violences les plus intimes, les violences sexistes et sexuelles sont certainement les plus difficiles à aborder. Les combattre n'en est que plus compliqué car au poids de ces souffrances s'ajoute celui du silence. Ce silence subi ou choisi parfois par l'entourage, la société ou la victime elle-même s'érige comme un obstacle dans le traitement de cette problématique. Ces violences pourtant ne connaissent ni frontières sociales, ni frontières géographiques et s'immiscent ans le quotidien de nombreuses personnes selon des formes variées, dans tous les aspects de la vie des victimes. ".
Malheureusement, cette nouvelle loi aura peu d'effet sur la réalité statistique. Il est déjà interdit d'être violent sur un conjoint ou sur une femme. Seulement 19% des femmes victimes de violences sexuelles ou physiques dans leur couple ont déposé plainte en 2016. La nouvelle loi facilitera sans nul doute la sanction, mais n'empêchera probablement pas la violence elle-même qui, elle, ne pourra être combattue que par une action de longue haleine qu'on nomme habituellement ...l'éducation.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 juillet 2018)
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Pour aller plus loin :
Violences conjugales en France : quelques chiffres qui parlent.
La lutte contre la violence faite aux femmes, nouvelle cause nationale ?
Que restera-t-il du drame de Thionville ?
Marie Trintignant.
Annie Cordy.
Johnny Hallyday.
Louis Lumière.

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