Opéra pour enfants: un Ring de conte de fées au Festival de Bayreuth

Publié le 03 août 2018 par Luc-Henri Roger @munichandco

Siegfried (Vincent Wolfsteiner) dans la gueule du dragon. 
©  Toutes les photos dont d'Enrico Nawrath/Bayreuther Festspiele 


La version réduite du  Ring pour les enfants comporte environ deux heures de spectacle. La version enfantine de l'histoire du grand cycle wagnérien  a été réécrite par Katharina Wagner et Markus Latsch dans l'arrangement musical de Marko Zdralek. La mise en scène en a été confiée à David Merz, un jeune metteur en scène né en 1992 qui a fait ses études à la Haute école de musique Hanns Eisler et qui, au cours de ses études, avait eu l'occasion de participer à un séminaire avec l'arrière-petite-fille du Maître de Bayreuth, pour qui la participation de jeunes talents est essentielle dans le projet des opéras wagnériens pour les enfants. C'est ainsi que l'étude des masques a été confiée aux étudiants de  l'Académie August Everding de Munich et que les décors sont l'oeuvre d'un talentueux Bayreuthois de 28 ans, Julius Theodor Semmelmann, qui a travaillé en collaboration avec le Théâtre d'Etat de Saarbrücken. Les costumes très parlants ont été réalisés par Ina Kromphart avec le souci de correspondre à l'imaginaire enfantin. Une équipe jeune et enthousiaste qui a eu à coeur de rendre le grand oeuvre de Wagner accessible aux enfants de 8 à 12 ans. Et ce ne sont pas seulement les enfant qui profitent de cette merveilleuse réalisation, les adultes qui les accompagnent se montrent eux aussi absolument ravis d'assister à la matinée enfantine. 

Albérich (Armin Kolarczyk)


Deux immenses portes de bois qui portent le dessin d'un grand arbre stylisé ferment le décor qu'un grand homme au nez très crochu, un certain Albérich, s'efforce d'ouvrir sans y parvenir, jusqu'à ce que, après beaucoup d'efforts il y arrive enfin, ce qui lui permet de s'approcher des filles du Rhin, qui, au fond du fleuve, gardent l'Or mythique. Un long voile bleu couvre toute la scène jusqu'à la première rangée des spectateurs, qui, agité par les chanteuses et même par des spectateurs, simule les flots bleus.  Elles ont l'imprudence de signaler à Albérich  que l'Or du Rhin donne à celui qui le possède et qui en forge un anneau la maîtrise absolue sur le monde, au prix cependant de la perte définitive de la possibilité d'aimer.  Albérich n'en a cure, il convoite le pouvoir et s'empare de l'or du Rhin. 

Simone Schröder (Fricka), Jukka Rasilainen (Wotan), Stefan Heibach (Loge).
Timo Riihonen (Fafner), Sebastian Pilgrim (Fasolt).


On connaît la suite qui, dans l'adaptation enfantine est fortement simplifiée et dont les aspects les plus choquants (comme les multiples amours de Wotan, les amours incestueuses de sa descendance ou le meurtre fratricide d'un géant par l'autre) sont évidemment gommés. Au sommet des montagnes les dieux se réjouissent de l'achèvement de la construction de leur palais, commandé par l'insouciant Wotan à deux géants, Fafner et Fasolt, qui exigent leur salaire. Wotan, qui n'a pas le premier sou, part avec Loge voler l'Or du Rhin au main Albérich. Mais les géants s'en emparent...
Tout est traité avec énormément d'allant et d'humour. Les parties chantées alternent toujours avec des dialogues en langage simple et direct grâce auxquels l'action est rendue parfaitement compréhensible par le jeune public. Les chanteurs interpellent parfois le public, ainsi de Wotan qui demande aux enfants s'il doit remettre l'anneau aux géants, ou plus tard de Siegfried qui les interroge pour savoir s'ils ont vu un oiseau. Autant de manières de faire participer les enfants à l'action dont ils devenaient partie prenante à leur plus grande excitation. Le traitement des personnages se fait toujours avec des lignes claires extrêmement bien définies. Ainsi du personnage de Siegfried dont la mise en scène souligne l'innocence ingénue, l'envie de combattre et l'absence totale de peur. Les trouvailles de la mise en scène sont souvent réjouissantes, comme par exemple la dent en or (du Rhin) que Siegfried extrait de la puissante mâchoire du dragon.

Freia (Ji  Yoon) et Loge (Stefan Heilbach).
A l'arrière Fricka admira le Walhalla.


Au plaisir des yeux correspond le celui du chant. Ce Ring pour enfants est une totale réussite.On retrouve cette année encore l'excellent baryton-basse finnois Jukka Rasilainen en Wotan et Wanderer, qui avait donné un Landgrave mémorable dans le Tannhäuser pour enfants de l'an dernier. Son épouse Fricka, une matrone imposante, est chantée par la mezzo Simone Schröder qui interprète aussi  Flosshilde. Vincent Wolfsteiner endosse à la fois les habits de Siegmund puis ceux de Siegfried, un chanteur qui en dehors de sa voix puissante et héroïque a totalement fasciné le jeune public par ses  talents d'acteur et de communicateur. Il dresse le portrait d'un jeune homme aussi audacieux qu'emporté, un peu innocent, le pendant inverse de l'Albérich d'Armin Kolarczyk, qui joue diablement bien les méchants. Sebastian Pilgrim chante tant Fasolt que Hunding de sa basse impressionnante. Le Loge de Stefan Heilbach à la coiffure enflammée, le Mime de Paul Kaufmann, au masque spécialement réussi, le Fafner et le Hagen parfaitement gothique et satanique  de Timo Riihonen participent de la même excellence. Daniela Köhler donne une très puissante Brünnhilde avec une voix dont la puissance suffirait à briser les verres de cristal. L'oiseau de la forêt au somptueux costume tout en bleu de la ravissante Ji Yoon a une légéreté aimable que l'on avait déjà appréciée dans sa Freia. Christiane Kohl et Mareike Morr donnent de délicieuses Woglinde et Wellgunde.
La version enfantine fait l'économie des choeurs et de certains personnages du Götterdämmerung. L'orchestre d'une trentaine d'instrumentistes, placé à gauche de la scène, répondait à la direction dynamique et enjouée du jeune chef autrichien Azis Sadikovic.
Ainsi de jeunes artistes et créateurs se sont-ils mis au service de  cette belle réalisation au service des plus jeunes, et, au vu des mines réjouies et exaltée des enfants à la sortie de l'opéra, leur ont communiqué leur enthousiasme pour l'oeuvre de Wagner. La relève est assurée, n'en doutons pas!