Karel Čapek – Contes d’une poche et d’une autre poche

Par Marellia
Petit théâtre de poche
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Karel Čapek – Contes d’une poche et d’une autre poche [traduit du tchèque par Barbora Faure et Maryse Poulette – Le sonneur, 2018]


Article écrit pour Le Matricule des anges
Le tchèque Karel Čapek n’a pas besoin de beaucoup de pages pour dérouler une intrigue policière aussi surprenante que bien construite. Les quarante-huit nouvelles qui composent ses Contes d’une poche et d’une autre poche semblent démontrer que l’on peut reproduire et faire varier un schéma souvent identique et illusoirement simple, sur le mode de la conversation, sans jamais s’épuiser, ni épuiser le lecteur. Pour ce faire, Čapek joue d’une certaine bonhommie dans le ton et d’un sens avisé du détail, le tout dans une langue qui a l’évidence du quotidien ; une langue « populaire », pourquoi pas, sans artifices, quoique toujours raffinée (on saluera au passage le beau travail des traductrices). Les histoires que nous lisons sont d’ailleurs la plupart du temps rapportées soit par l’un des protagonistes, soit par un tiers, lors de ce que l’on pourrait imaginer être des conversations de café (ce qui s’accentue dans la deuxième partie du livre, les contes d’une autre poche, ou chaque nouveau récit est raconté par l’un des intervenants en réponse au récit d’un autre, lors d’un dialogue amène et bon enfant qui, comme dans les Mille et une nuits, pourrait être infini). En vérité, les courts récits ici rassemblés tiennent autant de la chronique de mœurs goguenarde et tendre dépeignant un joyeux petit monde praguois haut en couleurs (rien n’est jamais trop dramatique, ici, même le plus sordide) que de la nouvelle policière stricto sensu. Qu’il s’agisse de raconter la mystérieuse disparition d’un acteur qui a poussé trop loin l’identification avec son personnage, les péripéties d’un voleur de cactus que seule une passion irrépressible pousse au crime, les pérégrinations d’un escroc au mariage qui finit par être lui-même victime d’une escroquerie ou encore le jugement dernier, un procès durant lequel Dieu n’est qu’un témoin jamais à charge (car il sait tout et, sachant tout, ne saurait justement juger), Čapek s’attarde toujours sur des détails incongrus, sur de légers glissements qui sont souvent la clé qui permet de dénouer un mystère a priori insoluble (comme cette histoire de bébé volé qui embête bien un policier vieux garçon qui, devant l’incapacité à différencier un nourrisson d’un autre, imagine un stratagème surprenant pour contourner ce problème). Cependant, il est suffisamment malin pour manipuler à sa guise les codes du roman policier (qui, à l’époque où il écrivait, n’étaient sans doute pas aussi définis qu’aujourd’hui, ce qui lui donne d’autant plus de liberté). Ainsi, bien souvent, le mystère à résoudre est avant tout pour lui une énigme poétique qui n’appelle pas nécessairement une résolution, ou, du moins, pas celle attendue. Comme dans ce récit où l’archiviste Divísek vient consulter l’officier de police Mejzlík (un personnage récurrent du livre) pour l’aider à résoudre une sombre histoire familiale remontant au quinzième siècle. Ou plus exemplairement dans cette histoire de traces de pas dans la neige qui s’interrompent brusquement, sans que l’on puisse savoir ce qu’il est advenu du marcheur : ce serait-il envolé, aurait-il soudainement disparu sans laisser, justement, de « traces » ? Ce qui amène le Commissaire Bartosek, aussi lucide que bourru, comme beaucoup des policiers du livre, à réfléchir sur la notion d’énigme, alors qu’un observateur incrédule desdites traces dans la neige l’a fait venir en pleine nuit : « Vous n’imaginez pas, Monsieur, le nombre d’énigmes qu’il peut y avoir dans ce monde. Chaque foyer, chaque famille est une énigme. En venant ici, j’ai entendu une jeune femme sangloter dans la petite maison là-bas. Monsieur les énigmes ne nous regardent pas. Nous sommes payés pour le maintien de l’ordre. Qu’est-ce que vous croyez, que c’est par curiosité que nous poursuivons les criminels ? » Ailleurs, l’inspecteur Holub chante les louanges des « vieux malfaiteurs à la carrière prolifique » qui, une fois attrapés « ne font pas d’histoires et se gardent bien de nier ». « Avoir affaire à un tel spécialiste, Messieurs, c’est un vrai plaisir », conclut-il. Il y a quelque chose d’un monde idéal (mais certainement pas idéalisé) dans ces contes de poches, où chacun rempli son rôle à sa façon, que l’on soit policier, malfrat, notable ou homme de la rue. Une sorte de petit théâtre quotidien (comme dans cette nouvelle où les habitants d’une rue se réjouissent qu’il s’y passe enfin quelque chose, déclenchant ainsi la jalousie des rues voisines), car le crime, ici, pour le meilleur ou pour le pire, fait partie du quotidien, au même titre que nombre d’autres activités aussi grandioses ou aussi banales.