Le monde des rêves

Par Jmlire

" On n'a toujours pas prouvé la fameuse fonction freudienne du refoulement du désir sexuel, qui voit dans les rêves l'un des terrains d'expression des désirs refoulés par la conscience. Même si cette approche imprègne encore le grand public. On a fait toutes sortes d'expériences, privé d'eau des individus pour voir si cela en faisait apparaître en rêve, privé de sexe des jeunes hommes mariés, et cela ne donne rien. Les rêves érotiques sont d'ailleurs très rares dans la population générale, alors que l'érection est systématiquement présente en sommeil paradoxal chez l'homme. Le monde des rêves est d'une richesse infinie et mérite d'être étudié avec précision, sans en interpréter le contenu. Par exemple, pourquoi y a-t-il si peu d'ordinateurs dans nos songes ? Pourquoi lit-on si peu ? Et pourquoi les hommes rêvent-ils plus de violence physique, d'outils, de voitures (et d'hommes !), et les femmes davantage de vêtements et de vie domestique, y compris quand on fait des études auprès des féministes les plus radicales de Californie ? Nos rêves sont-ils genrés parce qu'ils reflètent la culture actuelle ? parce que nous sommes programmés ? Il reste tant à découvrir...

Non seulement rêver permet de mémoriser nos apprentissages corporels et cérébraux, mais cela nous rend probablement plus créatifs. Depuis longtemps, de grands inventeurs ont raconté leur "euréka" nocturne, comme Mendeïev qui a échafaudé la classification des éléments atomiques, ou Elias Howe qui a élaboré la machine à coudre en dormant. Plusieurs théories ont été développées pour comprendre comment le sommeil peut améliorer ces performances, combien de temps prend cette cuisson nocturne. Et il semblerait que pendant le sommeil lent, le cerveau range, précise, tandis qu'en sommeil paradoxal il se lâche dans un autre monde, en opérant des associations, des connections qu'il ne fait pas en éveil : ce serait la phase de l' "euréka". Mais nous sommes loin d'avoir toutes les réponses. Nous continuons à explorer la boîte noire et à observer les dormeurs, en particulier les narcoleptiques, qui sont des collaborateurs exceptionnels...

Hervey de Saint Denys

En cas d'insomnie, j'applique ce que je dis à mes malades : traitez par le mépris les réveils nocturnes et si vous vous réveillez un peu longtemps, prenez un bon bouquin. Par exemple les rêves et les moyens de les diriger, chef-d'oeuvre écrit par Léon d'Hervey de Saint-Denys, un sinologue français du XIXème siècle qui fut le pionnier du rêve lucide. Freud lui a d'ailleurs "emprunté" trois quart de ses concepts, sans le citer. Diriger ses rêves peut se développer, en dehors de toute pathologie, même si on n'atteint pas le niveau des narcoleptiques. Je l'ai moi-même pratiqué, et c'est très jouissif, j'ai réussi à passer à travers un mur... Mais pour y parvenir, ce sont des mois de travail, c'est monacal, il faut se réveiller à 5 heures du matin et se rendormir, le matin étant propice au sommeil paradoxal..."

Isabelle Arnulf : extrait d'un entretien pour Télérama 3575, juillet 2018