Poussières

Publié le 24 septembre 2018 par Onarretetout

(…) dans le regard de Genet, la fine pellicule en suspension dans l’air qui se dépose sur les meubles, les objets, les murs, les vitres, se développe jusqu’à devenir l’image même de l’atelier, transformé en une sorte de palais de la poussière qui « va s’écrouler d’un moment à l’autre » en « poudre grise ». Les toiles, également grises, entrent aussi dans cette entropie, étonnamment joyeuse, où « tout est taché, tout est au rebut, tout est précaire et va s’effondrer » et qui atteint le peintre lui-même : « S’il le pouvait, Giacometti, il se déduirait en poudre, en poussière, comme il serait heureux! » 
(Albert Dichy, dans le catalogue de l’exposition L’atelier d’Alberto Giacometti vu par Jean Genet)

« C’est toute une affaire de ramasser la poussière, mais il y en a des quantités ici, comme vous voyez, collées aux toiles et autres choses. J’ai donc tout simplement pris la poussière et un chiffon pour la mettre dans la peinture fraîche et, après séchage, j’ai fixé cela comme un pastel. Et cet ancien tableau, à la Tate Gallery, où le costume d’Eric Hall paraît immaculé, est peint aussi avec de la poussière. En fait, il n’y a pas de peinture du tout dans le costume, à part un très léger lavis gris-bleu sur lequel j’ai mis de la poussière du plancher. Eh bien, la poussière semble éternelle, la seule chose qui dure toujours ; et l’une des choses que j’ai notées et que j’ai été très content de constater, c’est qu’on dirait qu’elle n’a pas changé du tout : elle a l’air aussi fraîche que quand je l’ai mise il y a quarante ans ! »
(Francis Bacon cité par Jean-Luc Hennig dans son livre Beauté de la poussière)

Cathédrale de poussière, l’atelier, lieu de tous les restes, l’immobile foutoir, où avec les araignées nous traçons des lignes, des espaces fragiles pour capturer l’air ou le monde vivant. Tout vient manger, tout échoue, tout se capture, se dépose.
(Stéphanie Ferrat, dans le catalogue de l’exposition Traces & territoires)

De quoi, au juste, se compose-t-elle ? De terre, d’éclats de roche, de sable fin emporté par le vent,, du sel des embruns, de peaux mortes, de cheveux, de rognures, de fibres textiles, de débris d’insectes, de cendres volcaniques, de poussières cosmiques, de poils d’animaux, de plâtre, de charbon, de suie, de fragments de toiles d’araignée, de plumes ou de duvet d’oiseau, d’écailles d’ailes de papillons, de grains de pollen, de moisissures, d’acariens, de bactéries, et de beaucoup d’autres choses encore. C’est varié à l’infini, la poussière. Jamais la même, toujours une autre. On ne s’en lasse pas.
(Jean-Luc Hennig, Beauté de la poussière)

Dans cet article, oeuvres d'Alberto Giacometti, Stéphanie Ferrat, Lionel Sabatté.