Thérèse Humbert : lÂ'escroquerie en guise dÂ'ascenseur social.

Par Pmazet

Le 1 ermai 1930, l'hebdomadaire " Détective "affichait la une suivante : " 20 ans d'illusion avec Thérèse Humbert ". A cette date, Thérèse Humbert est sans doute décédée depuis une douzaine d'années à Chicago. Mais, quelques jours auparavant, est mort Romain Daurignac, frère de la dite Thérèse. Il était, à ce moment-là, le dernier acteur d'une vaste escroquerie, qui durait depuis plus de 20 ans et à laquelle le Tout-Paris avait " involontairement ? " prêté son concours.

Une jeune fille ambitieuse.

A Toulouse vers 1878, les Daurignac étaient de petits bourgeois sans éclat et peut-être sans rêve. C'est à ce moment-là que l'ainée des deux filles, Thérèse, rencontre un jeune étudiant en droit, Frédéric Humbert. Il a 21 ans, elle 23, il est sans situation, elle sans fortune. Quand Frédéric parle à son père, qui est alors Procureur général à la Cour des Comptes et sénateur, de ce mariage, il est mal reçu. Mais Thérèse veut. Et c'est alors que commence à se révéler cet étrange tempérament de mégalomane, mythomane et d'ambitieuse utopique Pour maquiller la mésalliance, elle imagine qu'un parrain fort riche ne peut manquer de lui laisser son héritage. Frédéric retourne à l'assaut du consentement familial avec ces nouvelles armes, et le mariage se fait.

A l'assaut de la capitale.

Franche et déterminée, elle annonce, dès après le mariage, à Frédéric qu'il s'agit d'une mystification. Elle ne pouvait continuer que s 'il acceptait de devenir son complice et conseiller juridique. Frédéric, un peu naïf, accepte et consent à jouer le rôle qu'elle lui propose. Et le roman commence. On apprend à Paris, on ne sait par quelle mystérieuse source, qu'un richissime Américain, Robert Henry Crawford vient de mourir en laissant un testament daté de Nice par lequel il lègue à Thérèse tous ses biens. Cependant, un problème se pose : le dit Crawford aurait rédigé deux testaments et couché, sur le second, ses neveux qui vivent à New-York. Dès ce moment et jusqu'à 1902, les procès vont se succéder d'abord en première instance, puis en appel, avec incidents de procédure devant les deux juridictions, la durée de chaque procès se trouvant prolongée du fait que les Crawford sont légalement domiciliés en Amérique. Les délais de signification entaient alors de cinq mois pour New-York, auxquels s'ajoutaient deux mois comme délai d'appel.

La grande vie à crédit.

Sous prétexte d'avoir payé une partie des droits, ils commencent à emprunter. Ils clament partout que le legs s'élève à 100 millions. Les prêteurs se ruent. Ils accourent d'autant plus facilement que l'actif de la succession est censé être tenu sous scellés dans un coffre-fort chez les Humbert. Pour preuve, il montre quelques actions, notamment à Maitre Dumont, notaire à Rouen, leur plus fidèle soutien financier. En pendant vingt ans, de jugements en arrêts, la famille Humbert va se battre contre ces Crawford imaginaires. Thérèse crée les personnages, les adresses, les lettres qu'ils envoient de New-York, dont une demande en mariage de sa jeune sœur Maria. Il ne manque jamais d'argent chez les Humbert, ils sont apparentés à des personnages considérables dans la République. Ils mènent grand train avec une aisance, un brio prodigieux. Qui hésiterait à être de leurs amis, à la première avance ? L'orgueil de Thérèse prend un tour aigu, elle se pique à son jeu, elle renchérit sans cesse sur ses propres rêves, elle finit par croire peut- être à la réalité de son mythe. Frédéric est doux, presque timide, il est parfois effrayé de l'envergure de leur audace. Mais elle l'entraine dans un tourbillon renouvelé́, comme elle entraine Romain et Maria, son frère et sa soeur. M. Humbert père est devenu Premier président de la cour des comptes, Fréderic s'est fait élire député de Seine-et-Marne. Ce que l'on a coutume d'appeler le Tout-Paris, les plus hauts personnages de la politique, de l'administration, de la magistrature, dînent régulièrement avenue de la Grande-Armée, où les Humbert ont élu domicile. Paul Deschanel est cité parmi les prétendants à la main de Maria Daurignac. On voit un jour la fille de Thérèse et de Fréderic, Eve, offrir, à l'occasion du mariage de la fille du préfet de police, un magnifique cadeau qui sera rendu, d'ailleurs, au moment du scandale. Les réceptions de Thérèse marquaient dans la saison parisienne. On voyait partout cette brune solide, couverte de toilettes éclatantes, aux grandes journées de courses, aux galas, dans les salons, aux réceptions diplomatiques. A coté d'elle, toujours un peu en retrait, souriants, à demi discrets, son mari Frédéric et son frère Romain la soutenaient, l'épaulaient. Ce qu'il y a de miraculeux, de vraiment grand dans cette aventure, c'est d'imaginer la combine, le double rôle, la préparation minutieuse de la farce, une fois le rideau tiré. Il faut, pour jouer ce double jeu, pour faire face pendant vingt ans, pour réussir sans cesse ces redoutables acrobaties, un sang-froid, une maitrise de soi, une patience, une volonté qui font de Thérèse Humbert une très grande aventurière. Dès qu'un prêteur semblait plus curieux que les autres, s'inquiétait des garanties, on l'accablait avec des pièces judiciaires, les doubles des jugements obtenus contre les frères Crawford. Parfois un des aspirants usuriers discutait dans le bureau de Thérèse. Alors, celle-ci, d'un geste théâtral, ouvrait grande la porte du coffre-fort où étaient rangés, tassés, des paquets soigneusement enveloppés et scellés à la cire rouge. Pendant, vingt ans, la prestigieuse illusionniste tint son public. Un jour, brusquement, tout cassa. Des créanciers se montraient impatients, les prêteurs méfiants. Un journaliste, François Mouthon, entama dans le Matin, une campagne contre ce qu'on commençait à appeler l'escroquerie à l'héritage. Le Parlement s'émut. On convoqua tous les avoués impliqués dans les divers procès et on les mit en demeure de fournir d'urgence des renseignements précis sur les Crawford.

En même temps, un créancier, Morel, assigna les parties pour s'entendre dire que les valeurs de la succession seraient remises aux mains d'un séquestre judiciaire. Un jugement de référé ordonna que le coffre des Humbert fut ouvert et les titres inventoriés le 9 mai 1902.

La débâcle.

Lorsque les magistrats et les représentants des ayants droit se présentèrent à l'heure prescrite à l'hôtel de l'avenue de la Grande-Armée, ils trouvèrent la maison déserte et le coffre vide. D'actives recherches furent aussitôt entreprises, des télégrammes envoyés à toutes les frontières, des agents lancés par la Préfecture de Police et la Sureté Générale dans toutes les directions. On resta longtemps sans trouver trace des Humbert et les journaux hostiles ne manquèrent pas d'accuser le gouvernement de mauvais-vouloir. On était alors sous le ministère Combes et le garde des sceaux Vallé avait été mêlé à l'affaire comme avocat. Il y eut même une interpellation à la chambre. Le matin du 20 décembre 1902, la Sûreté reçut un télégramme que les Humbert avaient été arrêtés à Madrid. Quand ils furent ramenés à Paris, une vraie foule se pressait à la Gare du Nord. Les policiers avaient le plus grand mal à empêcher les curieux qui se massaient devant le wagon de première classe des Humbert-Daurignac.

Epilogue.

L'affaire vint devant la Cour d'Assises de la Seine, le 8 août 1903. Maitre Labori, qui avait été l'avocat de Dreyfus et plus tard celui de madame Caillaux, assistait Thérèse et Frédéric. Thérèse persista jusqu'au bout à déclarer véridique le roman cocasse qu'elle avait imaginé et, chose merveilleuse, qu'elle avait fait accepter par des gens d'une naïveté confondante. Les millions existent. Les Crawford existent, mais sous un autre nom. Ils viendront, vous les verrez, et s'ils ne viennent pas je dirai tout... Je n'ai jamais menti ! A chaque instant, elle interrompait les témoins, rectifiait leurs dires, lançait d'audacieuses explications. Il y eut aussi d'émouvantes dépositions. Des hommes illustres vinrent avouer à la barre qu'ils avaient été́ pris au jeu de l'illusionniste. Arriva à un moment, un commerçant de la rue La Fayette qui avait été́ escroqué de 10 millions.

" Je ne suis pas plaignant, dit-il en souriant. Je renonce à tout. J'ai eu d'excellents rapports avec Mme Humbert. Je suis trop ravi d'avoir pu rendre service à une aussi charmante femme. "

Thérèse et son mari furent condamnés à cinq ans de réclusion, Romain à trois ans. Frédéric Humbert mourut oublié en 1937. Romain, se fit arrêter en 1926, pour avoir dérobé une paire de chaussures dans un magasin du boulevard Sébastopol. Quant à Thérèse, il subsiste une incertitude. Certains prétendent qu'elle est décédée à Chicago en 1918, d'autres qu'elle vivait encore à Paris dans les années trente. Une chose est certaine, ils n'ont plus jamais habité avenue de la Grande Armée.

Pour en savoir plus :

Hilary Spurling, La grande Thérèse : la plus grande escroquerie du siècle(trad. de l'anglais par Pierre-Julien Brunet), Allia, Paris, 2003

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