Serge Bouchard

Publié le 22 octobre 2018 par Hunterjones
Celui qui va trop vite est impoli.

Traîner de la patte ne fait pas que vous ralentir, cela donne aussi à penser. Avoir ou ne pas avoir le pas, voilà la question. Depuis quelques années, pour cause de vécu, je boîte de plus en plus. Or, le fait d'être lent ne me ralentit aucunement, puisque déjà auparavant j'étais assez tranquille. J'ai mis des années à comprendre le sens des mesures des cadences, et j'avoue ne pas avoir suivi le beat de ma génération, Mauvais danseur, j'ai souvent été de travers sur la piste. J'étais démodé au berceau, déjà. Imaginez le décalage avec le temps présent. Cependant, ne pas suivre la parade a son avantage: on voit mieux le défilé lorsqu'on est pas dedans.

Au royaume des idées, il est recommandé de réfléchir un peu. Penser vite n'est pas un atout quand il s'agit d'exprimer autre chose qu'un réflexe ou une opinion. En ces matières comme en bien d'autres, la vitesse de croisière l'emportera toujours sur la vitesse de pointe. La régularité de la première nous conduit à destination, l'euphorie de la deuxième non seulement nous met à risque, mais nous fait tourner en rond. Modérons nos transports, nos ardeurs, retenons nos attelages, nous ne pouvons rien à la chose, l'espace est d'autant plus vaste que la vitesse n'y existe pas, en tout cas pas vraiment. L'Univers est trop grand pour être seulement pressé. Il est un train de choses et ce train n'est pas un TGV.

L'accélération contemporaine découle de la croissance générale de tout. Plus gros, plus vite que moins, et encore plus qu'avant, toujours battre le chiffre, voilà le hoquet indiscutable du monde actuel. Nous valorisons la rapidité comme nous avons vénéré les dieux, comme nous adorons l'éternelle jeunesse, comme nous prions le temps de de ne plus faire obstacle à notre volonté. Tout doit répondre en une fraction de seconde à notre commande de téléréalité universelle. Ce passage incessant à des vitesses inédites nous conforte dans l'idée simpliste que plus nous allons vite, plus nous sommes civilisés. or rien n'est moins sûr. Nous sommes devenus accros aux contenants, mais rébarbatifs aux contenus. Nous, les adorateurs du veau d'or de nos puissantes technologies, nous surfons à la surface des choses, sans rien savoir de la véritable nature de la vague.

La fameuse proposition "time is money" n'a jamais été démontrée et je crois même qu'il s'agit d'une bêtise sans nom. Toutefois, les temps modernes sont tissés de ces lieux communs qui deviennent des proverbes agressants sortis tout droit des manuels de pop philosophie. Personne ne songerait à mettre en doute les fondements de ces phrases faciles. Le temps, ce n'est surtout pas de l'argent. Le temps c'est de l'espace, et l'espace nous dépasse immensément. Oubliez les piastres,les écus, les dollars et les euros: on ne les emportera pas au paradis. 

(...)

J'imagine qu'il faut choisir son bruit. (...) la rapidité est-elle vraiment une vertu, en tout lieux et circonstances? Il y a certainement beaucoup de sagesse dans la lenteur. il y en a probablement  moins dans l'accélération. La spirale de la crise de nerfs tourne autour d'un grand axe qui tourne d'autant plus vite qu'il vrille dans le vide. Il file, il file, le monde moderne, mais comment lui dire qu'il ne s'en va nulle part? Un show de boucane, vous dirait mon ami camionneur. 

Celui qui va trop vite laisse beaucoup de monde en plan.

Le départ en flèche offense et rabaisse le peloton qui, du meneur, ne voit que le croupion. C'est le syndrome de la F1. Il y a des limites de vitesse qui tiennent au savoir-vivre, à la volonté de vivre et au respect de la vie tout court. À l'inverse des pétarades et hurlements des moteurs de course, il est bon que le souffle s'étire, que le corps s'étale, que l'énergie se dépense à mesure. Car, à la fin, il faut l'admettre: celui qui va trop vite est impoli.

Extrait des PP 101 à 104 de son livre Les Yeux Tristes de Mon Camion.

Voilà quelqu'un pour qui j'aurais voté aux dernières élections.
Au moins comme ministre des transports.
Ou ministre des trains de vie.
Serge Bouchard, mon ministre des trains de vie.