Marivaux mieux qu’ça

Publié le 29 octobre 2018 par Morduedetheatre @_MDT_

Critique d’Arlequin poli par l’amour, de Marivaux, vu le 27 octobre 2018 à La Scala Paris
Avec Julie Bouriche, Romain Brosseau, Rémi Dessenoix, Ophélie Trichard, Charlotte Ravinet, Romain Tamisier, dans une mise en scène de Thomas Jolly

Que c’est étrange. De Thomas Jolly, j’ai vu le tout dernier et le tout premier spectacle, Thyeste et Arlequin poli par l’amour, et je n’ai pas vraiment perçu de différence. Au texte près, j’ai eu l’impression de voir le même spectacle. Un peu gênant, quand on sait que douze ans et plus de dix mises en scène séparent les deux propositions. Alors oui, on peut parler de style, on peut parler de patte, mais on aura du mal à m’enlever l’idée que s’il ne se renouvelle pas un peu, on fera bientôt rimer Thomas Jolly avec supercherie.

Je ne sais pas si résumer l’histoire du texte initial de Marivaux a un intérêt pour ce spectacle. Comme je le décrirai par la suite, il m’est surtout apparu comme un « prétexte aux envies créatrices de Thomas Jolly », pour reprendre les mots de Sur les planches. Je ne prendrai cependant pas les armes, car cela reste une oeuvre mineure de Marivaux, où l’on sent plutôt un Marivaux en germe, comme l’était probablement Thomas Jolly à l’époque de la création. Mais bref. Contentons-nous d’évoquer une fée qui enlève un Arlequin par amour, mais que ce dernier jettera son dévolu sur Sylvia (qui le lui rend bien), créant quelques tensions au sein du petit village.

J’avoue avoir eu un problème dès l’introduction. Figurez-vous six servantes allumées avec, à côté de chacune d’elles, un comédien qui se tient debout devant un long drap, un livre à la main. Ils se tiennent là pendant que les spectateurs s’installent. Puis les lumières baissent dans la salle. Les comédiens disent une phrase, ferment leurs livres, et sortent. Les lumières s’éteignent. Les draps tendus sont arrachés. Ils ne réapparaîtront pas de tout le spectacle. Forcément, je m’interroge : quand l’histoire commence, il ne reste plus rien de cette introduction où Marivaux a à peine pointé le bout de son nez. Alors, quelle est son utilité ?

En réalité, cette première partie est une bonne entrée dans le spectacle. Elle permet au spectateur de se débarrasser progressivement de l’idée qu’il est venu voir un Marivaux. Il en est si peu question, ici. On a l’impression que le texte ne compte plus et que seule compte la situation. On se retrouve devant du Thomas Jolly, parfois entrecoupé de Marivaux. Ceci dit, reconnaissons-lui au moins cela, l’histoire féérique en fait sans doute le texte de Marivaux qui se prête le plus à ses exaltations jollyesques. Mais parlons-en plus en détails.

Je retrouve les mêmes trucs de mise en scène que dans Thyeste : des confettis, de la musique à fond, des lumières tapageuses, des cris, de gros ventilateurs…. et des comédiens pas très bien dirigés, qui récitent leur texte de manière plutôt académique. Mais comme le texte est de toute façon abandonné, je ne m’appesantirai pas dessus. D’ailleurs, Thomas Jolly ne cherche pas une réaction au texte mais fait rire sur des cabrioles : des jeux avec des ballons, des boîtes à bêêêêh, des ruptures rythmes ou voix ; de manière générale, tout ce qui peut recouvrir le texte semble bienvenu.

Parfois, cela me laisse quand même plus que perplexe. Un comédien présente une nouvelle scène en décrivant le paysage qu’on doit se figurer. Entre autres, « Une pairie. Au loin paissent des moutons ». Entrent alors 3 comédiens déguisés en moutons, les fameuses boîtes à bêêêh à la main. Rapidement, je me sens un peu énervée par le dispositif : faire entrer des gens déguisés en moutons lorsqu’on me dit que sont présents sur scène des moutons, c’est tout de même le degré zéro de la mise en scène. Mais ici, le degré zéro que nous présente Thomas Jolly est tellement outrancier qu’il semble vouloir montrer que lui non plus n’est pas dupe. Alors, si personne ne l’est, à quoi bon cette proposition ?

Ceci étant dit, une fois que ce parti pris est accepté, on peut déceler dans ce spectacle quelques éléments intéressants – l’utilisation des ombres chinoises, notamment, est particulièrement bienvenue. Il y a là quelque chose de frustrant d’ailleurs, car ces éléments sont noyés dans un trop plein d’idées qui desservent l’ensemble. Mais si je suis restée globalement imperméable à cette esthétique, je ne la désavoue pas tout à fait : clairement, la musique à fond, les lumières violentes et les cris constants rendent une atmosphère tonitruante qui me laissent en dehors. Mais cette brutalité, je la connais : c’est celle d’une jeunesse à laquelle j’appartiens, quand même. Ce sont des codes qui me sont familiers – auxquels je n’adhère pas, certes, mais qui me parlent malgré tout.

Cette fois-ci, on se contentera de faire rimer Thomas Jolly avec Capri. C’est fini.