A propos d’attachement, par Krishnamurti

Publié le 10 novembre 2018 par Do22

Une partie de ce qu'on nomme " amour " est uniquement Maya, c'est-à-dire l'Illusion. Cependant, le mot " illusion " n'est pas la traduction exacte de Maya, car Maya ne désigne pas ce qui est purement illusoire, non existant, tels que les objets d'un rêve, mais un état psychologique dans lequel les choses subissent à nos yeux une transformation, dans lequel nous les voyons comme elles ne sont pas. Ainsi, beaucoup de ce que l'on prend pour de l'amour n'est que Maya, est tissé d'illusions et n'engendre en nous qu'illusion.

Les êtres sentimentaux ou encore peu éclairés, pensent que l'amour va durer éternellement, mais il ne dure pas - et c'est Maya ; ils croient la personne qu'ils aiment toute différente de ce qu'elle se révèle ensuite - et c'est Maya ". La compréhension de ce terme est fondamentale et que l'un des plus importants échelons sur le chemin du progrès spirituel consiste à faire effort pour se libérer de la domination de Maya.

Lorsque nous pourrons voir toutes choses comme elles sont, et non pas comme nous désirons qu'elles soient, alors nous ne connaîtrons plus les déceptions et n'aurons que bien rarement du chagrin.

Sur le terrain du mariage, on constate tout particulièrement cet asservissement à Maya. L'homme qui croit qu'il désire passer sa vie entière avec une certaine femme et s'aperçoit, trop tard, qu'il ne saurait endurer plus d'un mois sa compagnie, a été victime de Maya: et cet autre, qui croit qu'une femme lui sera fidèle jusqu'à la mort, et découvre qu'elle le trompe avec le premier bellâtre venu, est encore une victime de Maya, - et c'est ainsi, de tous les côtés. Il faut nous efforcer de nous affranchir de cet esclavage ; sinon nous n'acquerrons jamais la sagesse et n'arriverons pas à connaître la paix.

Cet élément d'illusion prévaut aussi dans l'attitude prise à l'égard de la sexualité. un exemple: l'homme qui tue sa femme ou qui cherche à divorcer, parce que cette femme a des rapports sexuels avec un autre homme, montre, par là même, qu'il attache une prodigieuse importance à ces relations, - tandis que l'homme qui pardonne, ou mieux encore, ne juge pas qu'il y ait quelque chose à pardonner, prouve qu'il attache une petite importance aux rapports sexuels en eux-mêmes, et démontre par là nonseulement une âme bien plus évoluée et éclairée, mais encore une âme plus chaste. Un homme comme lui a cessé de voir la sexualité et le mariage à travers les voiles trompeurs de Maya.

L'homme chaste, n'est pas, selon notre manière de penser, l'homme qui pratique la continence sexuelle, mais l'homme qui voit la question sexuelle sous son vrai jour. De même que personne ne serait taxé de gourmandise, parce qu'il jouit de son repas lorsqu'il est affamé, - tout en n'attachant, d'autre part, que peu d'importance à la nourriture - nul ne peut être accusé de manquer de chasteté parce qu'il jouit de l'acte sexuel au moment où son corps le demande, sans être nullement préoccupé, par ailleurs, de la sexualité elle-même. Quant à la pureté, ce que nous entendons par ce terme est l'exact opposé de la pruderie. La pureté est le don de voir la beauté dans toutes choses, dans toutes les fonctions de la vie, et d'ennoblir toutes les actions par un esprit d'altruisme.

Celui qui a appris à exercer l'oubli de soi dans chacun des actes de sa vie sexuelle est pur...

Si, seuls les gens purs, dans le sens de " sexuellement abstinents ", pouvaient " voir Dieu ", toute vieille dame ou tout vieux monsieur ayant dépassé l'âge des passions - ou n'en ayant jamais eu - se trouverait dans une situation bien enviable. Mais pourquoi Dieu aurait-il créé, chez l'homme et chez la femme, une fonction dont l'usage aurait pour conséquence de les priver de la présence divine? Ici, de nouveau, Maya égare l'interprète irréfléchi dans les brouillards de l'Illusion.

On n'a nullement le droit d'exiger des âmes encore peu évoluées qu'elles agissent comme des âmes très avancées. L'exemple est banal, mais vous ne demandez pas à l'enfant fréquentant le " Jardin d'enfants " de savoir ou d'apprendre les leçons de la classe de sixième. Vous ne devez pas non plus espérer que des âmes, même avancées, se conduisent comme des âmes parfaites - il n'y a pas plus de trois cents âmes parfaites en ce monde - car même les âmes avancées ne sont pas développées également dans toutes les directions. Il y a, par-ci par-là, dans leur cristal, un petit défaut. Il faut encore tenir compte du type de corps physique qu'habite une âme avancée, dans telle ou telle incarnation particulière.

Prenez, par exemple, l'artiste créateur. Très souvent les plus merveilleux artistes offrent, par leur conduite dans le domaine de la morale sexuelle, l'apparence d'âmes assez peu évoluées. Il n'en est rien, pourtant ; mais ils sont nés avec un tempérament physique qu'il leur est extrêmement difficile de contrôler et de maîtriser. Pendant le temps où un musicien, par exemple, compose un drame musical ou une symphonie, de redoutables forces émanant d'Êtres uniquement visibles aux yeux des clairvoyants, se jouent autour de cet artiste et à travers son être: et il en résulte un grand bouleversement de sa nature émotionnelle tout entière. Il faut, d'autre part, se rendre compte que toute puissance de contrôle exercée sur soi-même exige une forte dépense d'énergie: or, si l'on considère que toute la force psychique dont dispose l'artiste créateur doit se concentrer sur son œuvre, on conçoit qu'il ne lui en reste guère pour dominer sa nature sexuelle.

D'ailleurs, même ce fait mis à part, les affaires amoureuses d'un grand artiste, jugées du point de vue des Maîtres - qui ont la vision supranormale - n'ont pas du tout la même portée que celles d'un homme ordinaire. Même leur caractère transitoire, que condamne le strict moraliste, n'est pas le symptôme d'une âme versatile, mais d'une âme si uniquement aiguillée vers un certain but, que même l'amour, pris dans son sens érotique, ne fait sur elle aucune impression durable.

Il n'y a guère qu'une âme évoluée qui puisse s'enflammer d'amour pour dix femmes différentes, sans éprouver le désir d'épouser aucune d'elles. Le grand artiste sait, - consciemment ou subconsciemment - que ses amours passionnées ne sont que Maya, l'Illusion. Or, dès que l'on a compris que Maya est Maya, on se trouve affranchi des chaînes de l'Illusion. Les propres justes qui s'écrient, devant la conduite de l'artiste: " C'est un génie, le pauvre garçon, il faut bien lui pardonner... " ne sont ni des gens charitables ni des gens éclairés: ce n'est que dans la fleur de la compréhension véritable que se trouve le doux miel du pardon.

Ainsi les amours passagères ne sont pas mauvaises en elles-mêmes ; elles ne le sont que lorsqu'elles obscurcissent le jugement d'un homme, apportent la souffrance à d'autres, ou nous éloignent du Grand Plan divin.

Ce jugement sur les amours passagères, ne s'applique cependant pas aux âmes extrêmement évoluées de ceux qui vont devenir des Maîtres. Pour eux, la fidélité à une femme unique est désirable, l'infidélité exerçant une action désintégrante sur les corps subtils des êtres.

Le type d'amour le plus élevé se voit là où deux êtres sont unis dans un esprit de parfaite liberté dont aucun des deux, d'ailleurs, n'a le désir de profiter. Cependant, si c'est la plus haute forme d'amour, ce n'est pas nécessairement la forme la plus élevée du mariage. Là, seulement, où deux individus se marient dans le dessein de servir les Grands Maîtres de l'Humanité, - soit par une œuvre qu'ils ne peuvent entreprendre que conjointement, soit en fournissant des corps appropriés à certaines âmes désireuses de se réincarner par leur intermédiaire, - nous assistons alors au type de mariage le plus élevé de tous, celui qui est entièrement à l'abri des fallacieux sortilèges de Maya.

Krishnamurti
Extrait du livre L'Initié dans le Nouveau Monde