Vagues de renouveau, Estampes japonaises modernes 1900-1960 à la Fondation Custodia

Par A Bride Abattue @abrideabattue
Les expositions se suivent, très différentes, et tout autant remarquables. Je suis allée à la Fondation Custodia voir l'exposition Vagues de renouveau. Estampes japonaises modernes 1900-1960 qui est une occasion exceptionnelle de découvrir, pour l'une des toutes premières fois en France, les créations des artistes témoins de la modernisation du Japon du XX° siècle.
Elle explore l'intérêt des courants artistiques shin hanga et sôsaku hanga à travers plus de 200 œuvres d'une cinquantaine d'artistes. C'est une des nombreuses manières de célébrer l'année du Japon en France.
Les estampes exposées proviennent du musée Nihon no hanga à Amsterdam qui regroupe la collection qu'Elise Wessels a constituée au cours des 25 dernières années. Et il faut signaler que l'intégralité de cette collection, composée d'un fond de 2000 oeuvres, est une donation au Rijksmuseum d'Amsterdam qui sera effective dans quatre années.

Ger Luijten, le directeur de la Fondation, avait raison d'être fier de présenter le catalogue et de dérouler l'affiche qui allait bientôt envahir les couloirs du métro. Il s'agit d'une production d'une gravure sur bois en couleurs, de 28, 2 x 40,2 cm de Itô Shinsui (1898-1972), datant de 1928 et intitulée Femme se noircissant les sourcils où la couleur rouge est très représentative de l'art japonais. L'artiste aurait choisi comme modèle l'actrice de kabuki Mizutani Yaeko. Ses cheveux sont attachés serrés pour tenir ensuite sous sa perruque. Il faut se souvenir que peu de femmes jouaient au théâtre au début du XX° siècle. cette estampe connut un immense succès, en partie à cause de son format horizontal inhabituel et du contraste entre le fond rouge et la couleur pâle de la chair. Elle s'est trouvée rapidement épuisée.
Le même artiste a été choisi pour la couverture du catalogue, Miroir à main, 1954, qui est une estampe d'inspiration très moderne. la composition, presque abstraite, tire son efficacité visuelle du contraste entre de grands aplats de couleurs aux formes géométriques et des contours fluides.Cette exposition sera sans doute un choc pour le public français, plutôt habitué à l'art japonais traditionnel. Et ce fut un plaisir de découvrir ces oeuvres en compagnie de la collectionneuse, venue spécialement à Paris et bien entendu, très au fait de l'historie de chacune.Elise Wessel était esthéticienne de formation et on peut légitimement croire que cet intérêt a influencé ses choix. Sa collection comprend un grand nombre d'oeuvres montrant l'intimité des femmes à leur toilette ou à leu mise en beauté. Elle comprend aussi bien entendu des paysages et des scènes du théâtre Kabuki.
Pour bien comprendre le processus, un déroulé des 13 étapes principales a été constitué sous vitrine dans la première salle du premier étage.Au sous-sol, plusieurs vitrines complètent l'information en montrant le matériel employé.


En terme de scénographie on remarquera un parti pris très épuré avec des cartels minimalistes assez éloigné des estampes pour ne pas gêner leur appréciation. Un numéro renvoie à un texte explicatif, imprimé dans un petit livret qui est remis à chaque visiteur, en français ou en anglais, pour l'aider à comprendre les oeuvres, et qu'il pourra conserver.

J'en ai retenu quelques-unes pour cet article mais, au risque de me répéter, rien ne vaut d'aller les contempler sur place. La beauté, la variété et la modernité des oeuvres procurent un véritable choc. Le respect des couleurs et le sens du détail sont prodigieux.
Vous avez peut-être vu il y a trois ans au Grand Palais l'exposition du Maître Hokusai, qui a exécuté notamment une très célèbre vague dont Claude Monet possédait un exemplaire dans sa maison de Giverny. Ce qui est extraordinaire dans l'exposition de la fondation Custodia c'est la précision et la délicatesse du travail des artistes.
Vous serez ébloui par la beauté, surtout les portrait de femme, Et vous serez sans doute surpris, mais ravis, d'apprendre l'influence que les artistes français ont eu sur les graveurs japonais qui sont venus dans notre pays étudier la peinture occidentale. Vous verrez par exemple une Bretonne qu'on croirait sortie d'un tableau de Paul Gauguin.
Cette estampe est la dernière que Yamamoto Kanae entreprit à Paris, pour ne la terminer qu'à son retour au Japon en 1920. Elle s'inspire d'une esquisse de 1913, réalisée lors de son séjour en Bretagne, et évoque immédiatement l'art de Paul Gauguin. Les contours vigoureux des traits du visage et les grands aplats de couleur pour le ciel et la mer accentuent l'expression abattue de la jeune femme. Sa silhouette monumentale, qui se détache devant l'immensité de l'océan, confère de la dignité à cette humble paysanne, qui devient un symbole universel de la classe ouvrière.

Yamamoto Kanae (1882-1946), Sur le pont, 1912Le dessin original fut réalisé à bord d'un bateau près de Singapour, et l'estampe elle-même fut imprimée à Paris en utilisant six planches. L'artiste avait emporté son matériel lors de son voyage à Paris, mais il devait souvent improviser en raison de l'absence d'outils nécessaires pour calibrer le papier ou mélanger les couleurs.
J'ai appris que la France a aussi influencé les artistes japonais dans leur manière d'organiser le travail. La tradition exige qu'une gravure soit le résultat de la collaboration entre l'artiste qui compose le dessin, le graveur qui la transpose sur le bois de cerisier (allant jusque 14 planches s'il le faut, une par couleur, ce qui représente un travail énorme), qui mais malgré son talent est considéré comme un ouvrier, l'imprimeur et l'éditeur, ce qui fait quatre intermédiaires.
En France l'artiste contrôle et maitrise chaque étape et tout le processus, ce qui a donné des idées aux japonais.
Ishii Hakutei (1882-1958), Yanagibashi, 1910, série : Douze vues de Tokyo, qui toutes figurent une geisha au premier plan et qui ont été saluées comme les premières de shin hanga (nom donné au mouvement "nouvelle estampe"). Le titre de la série dans un cartouche rouge et une vignette évoquant l'un des lieux célèbres de Tokyo. Cette estampe associe à la tradition une touche de modernité : la figure féminine fume une cigarette, seul détail lui conférant une allure résolument moderne, se reposant vraisemblablement après un concert, son shamisen posé à coté d’elle.
Les quatre estampes sont signées Hashiguchi Goyo (1881-1921). De gauche à droite on remarque Femme après le bain, juillet 1920, qui représente le modèle Kodaira Tomi que l'on retrouve dans la suivante, Femme dans un long vêtement de dessous, mai 1920 dont le format est inhabituel et le gaufrage minutieux. Cette estampe fut particulièrement populaire. Il en existe au moins trois autres versions connues avec un fond de couleur différente.
Dans la première oeuvre, la femme pose nue sur un petit coussin, portant une serviette à son visage. En s'approchant on est étonné par la brillance, qui provient du mica appliqué en couche épaisse et qui produit un fond magnifiquement texturé. Cet artiste a choisi de publier lui-même ses tirages à partir de 1916 et engagea des graveurs et imprimeurs qualifiés pour l'aider dans sa tâche.
La troisième, intitulée Femme peignant ses cheveux, mars 1920, est la plus représentative des dix oeuvres réalisées par l'artiste cette année là. La figure féminine est là encore placée sur un fond de mica.
Il célèbre, avec Femme dans l'auberge d'une station thermale, un des thèmes de prédilection des graveurs de shin hanga car les sources chaudes permettaient de représenter des figures féminines à demi nues, occupées à leur toilette.
Torii Kotondo (1900-1976) a réalisé deux versions de La ceinture, en novembre 1929. Il était habituel de faire des variations de couleur. ces tirages représentent un sommet dans la technique d'impression : le fond de mica est imprimé sur une sous-couche de couleur, un beige-rouge dans un cas et un bleu clair dans l'autre.
Onchi Koshiro (1890-1955), série des Belles femmes des quatre saisons, 1927, gravure sur bois en couleurs. L'artiste a choisi une femme pour représenter chaque saison, faisant la sieste, un verre posé à coté d'elle, nue qui attache ses cheveux, un brin d'herbe entre ses lèvres ou encore portant une fourrure noire et un chaton sur l'épaule. Cette série est innovante car aucune ne porte un kimono et chaque saison n'est pas suggérée par un marqueur traditionnel comme une fleur ou un flocon de neige. En outre chaque saison est nommée ici avec son nom en français. plus tard Onchi les modifia en les remplaçant par leur équivalent japonais et en plaçant un cartouche carré plus grand dans le coin supérieur.Onchi Köshiro (1890-1955), Portrait de Hagiwara Sakutaro (auteur de l'Ile de glace), 1943, révèle le visage d'un poète reconnu comme le "père de la poésie japonaise moderne en langue vernaculaire". Les deux artistes étaient amis.Kobayakawa Kiyoshi (1889-1948) deux estampes de la série La mode d'aujourd'hui. A gauche Tipsy (n°1), février 1930, qui représente une femme moderne, séduisante et sure d'elle, cigarette à la main, dégustant son cocktail Manhattan garni d'une cerise - ce même rouge que l'artiste emploie pour ses lèvres et le fond. Sa robe imprimée et sa coiffure à la garçonne signalant une femme à la mode.A droite, dans l'estampe Les pupilles (n°4), janvier 1931, le foulard blanc est orné d'un motif élaboré dont les contours sont surimprimés en argent et en gris.Il a aussi réalisé cette Danse moderne (danse de style occidental), été 1934, en plaçant la silhouette sur un fond sombre. l'impression de mouvement est subtilement rendue par le balancement de ses cheveux qui effleurent sa joue alors qu'elle se penche vers l'avant. Il faut dire que la danse connait son âge d'or avec vingt-qui dancings à Tokyo.Hazama Inosuke (1895-1977), avec Jeune fille de la campagne du sud de la France, Ves 1932, nous montre une jeune française au visage poupin sous un chapeau cloche, accessoire de mode populaire jusqu'à la seconde Guerre mondiale. Il se pourrait que le modèle soit l'épouse de l'artiste, Adélia, qui posa pour des artistes comme Picasso ou Matisse. Elle déménagea avec son mari à Tokyo au début des années 30 où elle travailla comme consultante de mode.Umehara Ryüzaburo (1888-1986) s'est formé en France, comme peintre avant tout. Il était très inspiré par Pierre-Auguste Renoir. Dans ces deux estampes de 1930, Femme nue assise, et Femme nue peignant ses cheveux, il a travaillé avec des pochoirs.Yoshida Hiroshi (1876-1950) a eu une formation d'aquarelliste et ses sujets sont tirés de ses nombreux voyages au Japon, aux Etats-Unis, d'Inde, de Chine ... et de Suisse. Ci-dessus le Jardin Shalimar, Lahare, 1932, où l'artiste fait grand usage des reflets sur l'eau pour souligner l'élégance intemporelle de cette architecture. Quelques années plus tôt, en 1925, il avait représenté le Mont Cervin, en 1925, situé à la frontière italo-suisse. Ce sera une de ses plus grandes oeuvres, ce qui posa des problèmes dans la fourniture de grandes planches de cerisier pour les graver.Tokuriki Tomikichiro (1902-2000), Nature morte au bocal de poissons rouges, 1933 a cessé d'être peintre pour se tourner vers l'estampe. Il a dit : Le destin a fait de moi un artiste, mais j'ai fait de moi un artiste de l'estampe. Cette oeuvre incarne l'esthétique du sosaku hanga par l'absence de contours nets et l'utilisation de grands aplats colorés pour construire la composition. L'objectif de cette oeuvre était de promouvoir la peinture de style occidentale.Sekino Jun'ichiro (1914-1988) avait le théâtre de marionnettes bunraku pour sujet préféré. Il le connaissait depuis très longtemps. Il alla jusqu'à organiser des spectacles pour des troupes de bunraku pendant la seconde Guerre mondiale.Katsuhira Tokushi (1904-1971) a réalisé une estampe de grand format (imprimée sur deux feuilles de papier séparées jointes après coup). Celle-ci intitulée Le labourage rappelle la gravure d'Europe de l'Est. Ses estampes représentent principalement les paysages et la vie rurale traditionnelle de sa région natale d'Akita, située au nord du Japon.Kawanishi Hide (1894-1965) s'est imprégné de culture étrangère dans les années 1920-30, qui était facilement accessible dans la ville portuaire de Kobe où se produisaient des cirques et des troupes d'opéras occidentaux. Pour Acrobaties, 1930, il a choisi un langage visuel à la fois enfantin et efficace, avec des aplats de couleurs vives à la texture rugueuse.Tsuruta Goro (1890-1969)a repris le thème classique des pêcheuses d'ormeaux en transformant la représentation traditionnelle des plongeuses à demi-vêtues en celle de femmes plutôt voluptueusement portant des maillots de bain contemporain. Il fut peut-être inspiré par les représentations de baigneuses, chères aux artistes post-impressionnistes et fauvistes ... encore un exemple de l'influence artistique française.
Vagues de renouveau. Estampes japonaises modernes 1900-1960
Fondation Custodia
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