601ème semaine politique: la pensée complexe d'Emmanuel Macron vire au désastre

Publié le 11 novembre 2018 par Juan

 

On s'inquiète de la complexité de la pensée macroniste. Quand elle ne cache pas une politique de classe qui ne s'assume pas, elle gâche l'hommage aux victimes de la Grande Guerre.


Macron fait le show
Emmanuel Macron gâche la fin de quatre années de cérémonies jusque là consensuelles pour le centième anniversaire de la première guerre mondiale. Pour cette dernière semaine avant l'hommage ultime, en France, avec une flopée de dirigeants étrangers au pied de l'Arc de Triomphe le 11 novembre, le jeune monarque avait choisi une semaine "d'itinérance mémorielle". Il fallait s'éloigner un peu de l'image désastreuse du président des riches qui lui colle à la peau dans tous les sondages. Cette formule pompeuse désignait un tour régional surmédiatisé, avec son lot de points d'étapes ultra-préparés, et son conseil des ministres délocalisé à Charleville-Mézières.

Malgré un dispositif sur-sécurisé, et la présence de militants figurants collés aux barrières ou dans un bar local (où ils furent présentés comme des Français là par hasard) ou les plans serrés des caméras et photographes pour pour faire "foule", Jupiter se heurte à la colère, quasiment partout. Mardi à Verdun, un passant l'accuse "d'écraser les gens".  Mercredi dans un marché, un autre lui balance: "on n'en peut plus", tandis qu'une dame refuse de le saluer. Jeudi, le spectacle présidentiel est interrompu par un un ouvrier syndicaliste chez Renault qui interpelle le monarque en plein discours dans une usine de Maubeuge: "Vous prenez dans la poche des ouvriers aujourd'hui M. Macron,".
Puis, catastrophe, Jupiter s'égare dans un hommage au "Maréchal" Pétain, "un grand soldat" dit-il. "Mais il y a eu une forfaiture dans la Seconde Guerre mondiale" se rattrape-t-il. Macron insiste pour un hommage aux Invalides. Jupiter défend sa pensée complexe sur le monde et de l'Histoire: "la vie politique et l'humaine nature sont parfois plus complexes qu'on ne voudrait le croire."
Frappé d'indignité nationale en 1944, Philippe Pétain n'est pourtant plus maréchal et ne mérite aucun hommage lors des plus grandes cérémonies que la France ait rendu au premier conflit mondial. Qui a pu penser qu'il fallait laisser ne serait-ce qu'un strapontin lors de cette fête nationale au chef de l’État français responsable de la mort de milliers de juifs et de collaboration avec les nazis ? 
La hiérarchie militaire sans doute. Emmanuel Macron également. 
"Honorer Simone Veil au Panthéon ET EN MÊME TEMPS le traître antisémite Pétain aux Invalides. Rien ne justifie une telle honte" commente Benoît Hamon. "Pétain est un traître et un antisémite." renchérit Jean-Luc Mélenchon.
Que la Grande Muette veuille même célébrer les 8 maréchaux responsables de la grande boucherie inutile du siècle d'avant, avec le soutien explicite et appuyé de Macron, pose question: honore-t-on une victoire militaire dans une guerre absurde, ou la paix et les morts civils et militaires ? Macron cède au piège de quelques hauts gradés qui veulent voir dans cette guerre leur victoire.
On se demande si l'erreur de Macron sur Pétain est une improvisation, un piège tendu par la hiérarchie militaire avec laquelle Macron ne cesse de donner des gages depuis la crise paroxysmique de l'été 2017, ou plutôt le souci calculé de faire un clin d’œil à l'extrême droite. Car Macron donne bel et bien une occasion au sinistre Eric Zemmour de polluer les plateaux télévisuels pour expliquer combien effectivement l'Histoire est "complexe" et Pétain fut un grand soldat qui mérite sa place dans nos souvenirs.
L'hommage aux morts civils et militaires du premier conflit mondial méritait-il pareille réhabilitation ?
Emmanuel n'a donc aucun réflexe culturel historique. A ce niveau, c'est stupéfiant.
Ses proches tentent rapidement de déminer le scandale. Édouard Philippe se fend d'un tweet inquiétant sur la recrudescence des actes antisémites en France, pour calmer le CRIF indigné par les propos du monarque. Les conseillers de com' et autres snipers de la Macronista minorent la polémique. D'autres rappellent que Mitterrand faisait fleurir sa tombe et que le Général de Gaule avait reconnu sa grandeur de soldat. Mais l’Élysée finit par retirer Pétain de la liste des maréchaux honorés le 10 novembre. Vu de l'étranger, l'effet est désastreux. La presse américaine et européenne est surprise ou stupéfaite.
L'image d'une France ouverte et moderne était déjà abimée par la politique migratoire xénophobe du pouvoir macroniste. Elle s'abime encore avec cet hommage présidentiel à un ancien dignitaire français collaborateur des nazis.

La pensée macroniste n'est pas toujours si complexe.
Il suffit de revenir sur le champ politique, économique et social pour le constater. Le show mémoriel de Macron ne saurait masquer la poursuite d'une politique de classe très binaire et sans grande subtilité.
#1. Haro sur les chômeurs
En matière de politique sociale,  les négociations sur l'assurance chômage entre partenaires sociaux débutent sous la pression de l'Elysée. Malgré ses distractions "mémorielles" cette semaine, Macron rappelle dans la presse régionale qu'il souhaite un renforcement des sanctions en cas de refus d' "offres raisonnables" d'emploi. Syndicats et patronaux doivent identifier entre 3 et 4 milliards d'euros d'économies sur 3 ans. Négocier une dégradation des conditions d'indemnisation des chômeurs (car c'est de cela dont il s'agit), alors que (1) la plupart des économistes s'inquiètent d'un nouveau krach boursier puis économique l'an prochain, (2) moins de un chômeurs sur deux est aujourd'hui indemnisé et (3) l'indemnisation moyenne est inférieure à 1200 euros par mois.
En parallèle, le gouvernement étudie comment réduire les indemnisations des arrêts maladie qui coûtent aussi "un pognon de dingue". Un premier rapport est remis cette semaine.
#2. Champ libre aux perquisitions
Le projet de réforme de la justice n'est pas non plus très "complexe" avec les libertés publiques. Au contraire, il témoigne d'une volonté de simplification des recours et d'une réduction des libertés individuelles assez binaires. Le gouvernement prévoit de simplifier "les dispositions relatives au statut et aux compétences des officiers, fonctionnaires et agents exerçant des missions de police judiciaire." L'article 30 du projet en cours d'examen supprime ainsi "l'exigence d'une autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d'instruction pour étendre la compétence des officiers de police judiciaire sur l'ensemble du territoire national aux fins de poursuivre leurs investigations." En d'autres termes, la collecte, sans autorisation préalable d'un procureur, de toute information auprès d'organismes publics tels que l'URSSAF, la CAF, ou pôle emploi sera autorisée, sous prétexte d'une enquête préliminaire. On objectera que les procureurs sont de toutes façons désignés par l'Exécutif... Alors pourquoi se gêner ?
Au passage, pour récompenser ses fidèles, mêmes les plus compromis, Macron sait s'abstenir d'une pensée trop complexe. Ainsi la décision de décorer l'un des parjures de l'affaire des barbouzes de l'Elysée. Au grand dam de certains syndicats de policiers, Alain Gibelin, directeur de la DOPC, a été promu officier de l’ordre du national du mérite sur décision d'Emmanuel Macron.
#3. L'écologie punitive
Le gouvernement stresse au plus haut point sur la jacquerie fiscale des "gilets jaunes" contre la hausse du prix des carburants le 1er janvier prochain, qui promet blocages et manifestations le 17 novembre partout en France. On estime à une dizaine de centimes de plus par litre de diesel, pour un tiers à cause d'une hausse des taxes, l'inflation des carburants dès janvier. Le gouvernement "assume" cet effort au nom de la transition énergétique. Dans un premier temps, ses supporteurs ont accusé de tous les maux ce mouvement de protestation - populiste, facho, archaïque. Que l'extrême droite le soutienne officiellement a suffit aux macronistes les plus zélés à caricaturer l'ensemble de la protestation et faire mine de ne pas voir les causes profondes du problème.
Primo, la tartufferie jupitérienne est telle que les 3,9 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires ne sont même pas fléchés vers le budget de l'environnement. Secundo, l'équipe macroniste fait mine de ne pas comprendre que le ras-le-bol est plus profond: cette hausse vient après une première année de dégradation du pouvoir d'achat des Français en 2018 alors qu'une ultra-minorité de foyers aisés ont bénéficié d'environ 6 milliards d'allègements fiscaux. Ignorer l'injustice fiscale de cette séquence macroniste est une hypocrisie.
Les derniers de cordées en ont marre, point barre. Et la responsabilité de Macron est d'avoir caricaturé le combat écologique en politique de classe. Il s'est montré complice des lobbies agro-industriels, incapable d'interdire le glyphosate, ou de limiter les pesticides et la torture animale. Il prône la "responsabilité écologique", mais il valide la mise en place d'une mega-mine d'or en Guyane. Son porte-parole Griveaux marmonne des messages d'autosatisfaction sur l'introduction de repas bio dans 50% des cantines scolaires, mais le gouvernement est incapable de verser aux agriculteurs bios les subventions qui leur sont dues.
#4. Plan social dans la fonction publique
Mais le gros morceau de la semaine est ce dossier enfin (partiellement) dévoilé: le plan "Action Publique 2022". Combien d'agences publicitaires ont bossé sur ce dossier ? L'habillage est bien fait, mais la publication du dossier discrète,
Le gel du point d'indice des fonctionnaires, les restrictions budgétaires et les suppressions de postes (y compris des emplois aidés qui dans le secteur non marchand suppléaient au manque de personnel, sont requalifiés en "nouveau contrat social avec les agents". La novlangue écœure parfois, souvent. On poursuit: "Le Gouvernement fait le choix de la transparence en rendant ces plans de transformation publics." C'est tout l'inverse. Depuis des mois, le gouvernement planque les résultats de l'analyse de ce comité Théodule qui rassemble un aréopage de classe.
Macron veut introduire des notations un peu partout. La ministre de la Santé avait promis un "Tripadvisor des hôpitaux". Mais la démarche serait généralisée: un dispositif numérique, baptisé Voxusagers, "sera ouvert aux citoyens pour partager leur expérience et leurs avis sur les services publics". Consulats, Services des impôts aux particuliers, Tribunaux de grande instance, Caisses de sécurité sociale, Préfectures, Commissariats et gendarmeries seront bientôt ouverts aux statistiques de "performance".
On attendait des détails sur les 50 000 suppressions de postes. On est déçu. Le gouvernement évoque pudiquement "l'évolution profonde des métiers et des organisations de nos administrations" et annonce la création d'une "Université de la transformation publique". Pas un mot sur les efforts d'économies, ni sur les suppressions de postes dont ce document n'est que la couverture, incroyable ! Pourtant, ce long dossier détaille des feuilles de route par ministère. Pour le fisc, il s'agit de "moderniser le recouvrement de l'impôt et son contrôle". On ne sait pas combien de postes Macron a l'intention de supprimer d'ici la fin du quinquennat. Pour faire bonne figure, le ministre des Comptes publics Gérald Darmanin promet une meilleure lutte contre fraude fiscale via un espionnage des réseaux sociaux. La démarche pourrait être inquiétante, elle est surtout stupide quand on connait la faiblesse, et la réduction prochaine, des moyens du fisc français face aux 33 millions de comptes Facebook, 4 millions d'Instagrams ou autres 10 millions de comptes Twitter. Au chapitre Culture, la réforme de l'audiovisuel public est une autre belle arnaque: il s'agit d'économiser jusqu'à 300 millions d'euros, un plan social est déjà l'étude.
La "pensée complexe" cache souvent sa brutalité sociale derrière une novlangue polie.
Chacune des fiches thématiques par ministère se termine par les mêmes consignes: "réformer l’administration", "adapter l’organisation", "faire évoluer l’organisation et le fonctionnement des services, "déconcentrer". Cette novlangue de DRH ne fait pas illusion. C'est bel et bien d'un plan d'économies budgétaires dont il s'agit.



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Ami macroniste, où es-tu ?