(Note de lecture), Bureau des solitudes, de Werner Lambersy, par Marc Wetzel

Par Florence Trocmé

« Ce bruit de pas
Toujours un peu sourd
Et lent
D'une si lente éternité
Il le connaît
Il en est sûr quand
Par un long après-midi
Il écoute
Les vagues sur la plage
Et que le temps
N'est pas aux méduses
 »
Rassurez-vous – nous dit à la fois humblement, drôlement et insolemment Werner Lambersy, né en 1941 – j'aurai beau partir, « le monde ne manquera jamais de poésie ».
Et en effet : le monde, disait à peu près Francis Wolff, est tel que chacun sait qu'on ne pourra jamais tout en dire ; et la poésie est ce qui aura toujours valu la peine, pourtant, de s'y essayer.
Werner aura beau, en effet, mourir ( = cesser de recycler l'air ambiant dans son thorax, dit-il, ou lâcher sa petite cuiller dans le festin du Ciel, ne plus organiser de pacifiques colloques d'astres dans sa tête, ni croire comprendre comment Rubens peint un nombril), dans son œuvre désormais – dans son œuvre depuis le début profuse, comme ayant été préventivement inépuisable – et dans les cris à venir d'œuvres analogues, le monde et quelqu'un continueront, en « voisins tout près », à « apprendre à se parler ».
C'est que, squelette ou cendres (le néant laisse ce choix), on ne rencontrera (souligne ce Bureau des Solitudes) de toute façon jamais plus la mutuelle moiteur des chairs, on ne fera plus intendant de sève, on n'aura plus à désespérément choisir entre « maudire ou pardonner », mais, au moins, on aura certainement su de l'amour tout ce qu'on en pouvait savoir, car notre perte dernière confirme toujours ce qu'on aura donné de soi à perte.
«  On aime le bleu
Qui paraît sans fin
Le rouge
Qui rend femmes
Et le sang
Qui durcit la verge
On dit
Que juste avant de
Voir la mort
Tout semble blanc
 »
Oui, décidément, humilité, drôlerie et insolence. Humilité puisque, avoue Lambersy, l'inconnu n'inspire jamais que des cœurs et esprits restant pour lui anonymes.
Drôlerie, puisque l'infini, suggère-t-il, est l'humour de Dieu : l'infini, par sa surabondance, fait de ses contributeurs mêmes des « mendiants » ; par son surplomb irréductible, fait de ses varappeurs des « culs-de-jatte » ; par son intraitable militance (l'infini est comme le syndicat de tous les horizons), il fait de ses bénéficiaires mêmes des meurtris, des tuméfiés, des suiveurs groggy
« Surtout le matin
Quand l'aube et la
Lune se croisent 
». 
Insolence enfin, lorsque notre poète remarque que, sans l'homme pourtant, cet infini serait bien seul : où plus confortablement fera-t-il la paix avec lui-même qu'entre des tempes humaines, c'est-à-dire capables de ruts respectueux, de lumière libre, et de conscience s'acquittant dans la monnaie d'une autre ?
La légende (tenace) veut que Lambersy ait dû gagner quelques décennies de sa pétulante vie en... VRP d'allumettes d'entreprises. Ce passage (vers la fin de cet admirable petit livre) illustre la folle élégance de notre tendre et apocalyptique conteur :
« Combien d'allumettes
Encore dans la boîte
Avant de
Revoir l'obscurité où
Je n'étais pas
Combien de petits
Bouts carbonisés pour
Confirmer
Combien j'étais bien
 »
Marc Wetzel.

Werner Lambersy, Bureau des solitudes, 2018,  Éditions La Porte.