Oscar Wilde : Le portrait de Dorian Gray

Par Gangoueus @lareus

Il est un fait. Excepté Alain Mabanckou, la littérature africaine d’expression française n’existe pas au format audio. Encore un train dont ces lettres d'Afrique loupent la marche après celui du livre numérique. C’est d’autant plus dommage qu’Amazon propose un forfait mensuel de 9€ pour avoir accès à l'écoute. Et très honnêtement, ça ne me dérangerait pas d’y souscrire pour nourrir mes marches ou lorsque je vais à une session de sport en salle...
Cessons ces jérémiades et abordons ce classique de la littérature britannique. Je devrais dire irlandaise. Le portrait de Dorian Gray. Pour les grands lecteurs, ce roman d’Oscar Wilde fait partie de ces livres qu’on a avalés adolescent avec d’autres grands classiques comme Les misérables d’Hugo, Madame de Bovary de Flaubert et d'autres grands textes. Mais, cette période, je me suis orienté vers les lettres africaines du CCF de Brazzaville. Je trouve donc extrêmement périlleux de chroniquer un tel livre. D’autant que je ne l’ai pas lu, mais écouté. Et il me semble que cela fait une différence importante. Précisons aussi que mon écoute se faisant au rythme de mes aller-venues en salle, ce fut une écoute entrecoupée. J’évoquerai ici donc cette écoute. Une remarque que j’ai déjà faite avec Home de Toni Morrison et Petit Piment d’Alain Mabanckou : la lecture est extrêmement importante et pour ces trois textes, j’ai eu droit à des approches très différentes. Une actrice de cinéma, un écrivain et un homme de théâtre. Avec Oscar Wilde, j’ai eu droit à un comédien talentueux devant produire différentes voix et surtout porter dans la langue français cette forme de discours aristocratique britannique. La performance est bluffante, parce que par cette voix m’a véritablement transportée à Londres. 
Quand on évoquait Le portrait de Dorian Gray, je savais que l’histoire portait sur le rapport qu’un mec entretenait avec un portrait de lui-même. Je vous le fais en mode racaille. Un jeune anglais appartenant à l’aristocratie fascine son entourage par sa beauté. D’ailleurs, le roman commence autour de discours sur Dorian Gray. Il est tellement fascinant qu’un peintre, Basil, a atteint le summum de son art en travaillant sur le portrait du jeune homme. A l’écoute de ce début de roman, on s’attend d’ailleurs à avoir une reconstitution de son histoire. Lord Henry, une sorte de penseur épicurien, hédoniste, projette à propos de Dorian sa rhétorique extrêmement construite où le lecteur a le sentiment qu’il sait tout, pense tout avec une parfaite justesse même quand on sait ses vérités perverses et bancales. Quant à la fascination de Basil pour Dorian, elle est d'un ordre qui dépasse le simple attrait pour une muse. Dès les premières pages, le lecteur comprend le désir inaccessible qui a été traduit dans le portrait éclatant… 

Bref, Dorian Gray apparait.  La petite voix candide que lui prête Hervé Lavigne est exquise, énervante, pédante. Mais, dans le fond très juste. A l’image du roman. Dorian est jaloux du tableau offert par Basil. Et il est amoureux. Il est follement amoureux de Sybil Vane, une jeune comédienne qui joue régulièrement le rôle de Juliette dans la pièce de Shakespeare pour un producteur juif. Elle joue dans un bon théâtre. Elle vient d’un milieu  modeste. Elle détient une grâce qui captive le jeune aristocrate qui envisage le mariage. A ce niveau du roman, on ne sait pas où nous embarque Wilde et j’aimerais que ce texte produise  le même effet qu’il a eu sur ma lecture. La bascule de ce roman réside dans la scène suivante : alors que l’angélique Dorian invite ses amis lord Henry et Basil Hallward a assisté à une nouvelle prestation exceptionnelle de sa fiancée, le jeu de la comédienne s’effondre. Pour une cause très intéressante quand elle se justifie dans sa loge face à un Dorian Gray médusé, sinon horrifié. Elle aime un homme. Elle aime Dorian Gray. Son interprétation d'une Juliette fantasmée n'est plus utile. Elle est Juliette. D’ailleurs, quel sens donné à son jeu de comédienne… La réaction de Dorian si doux, si exalté va être plus que surprenante et révéler une nature profondément égocentrique et une exaltation infinie pour le beau qui ne saurait supporter la faillite dans son échelle de valeur de Sybil.
Le portrait de Dorian Gray réalisé par Basil a une particularité qui fait de ce texte un roman fantastique. Il révèle les traits retors de Dorian, la bassesse de son âme au fil de ses actions. Le portrait est le miroir de l’âme torturée de Dorian Gray.
Bon, dire que ce roman est passionnant, c'est un peu simplet. C’est le genre de texte dont on peut extraire moult citations maîtrisées qui sont le fruit de réflexions profondes de Wilde sur l’art, le rapport à l’art, la beauté, la vieillesse, la dissimulation, la séduction, la société dans laquelle il vit. Et c'est l'un des problèmes de l'écoute. Contrairement à la lecture, on ne peut pas surligner les bonnes phrases, prendre des notes. On est condamné à retenir, se souvenir. Vous comprendrez que je ne puisse aller plus loin dans la description de cette oeuvre d’art que Wilde a voulu au niveau de son sujet : belle, raffinée, stimulante, exigeante. Il y a un point qui m’a beaucoup interpelé durant cette longue écoute : le rapport entre l’âme et le corps, ce qui est apparent et qui fonde Dorian Gray. Ce discours sur la mascarade, sur les artifices offrent des applications sur nos sociétés, nos attitudes personnelles. Rendre beau, pour mieux dissimuler. Et une réalité pour Dorian : l’incapacité à se défaire de cette nature profonde que les discours de Lord Henry permet une libre expression.
Je retiens de ce roman les amours inaccessibles. Que ce soit celui de Basil Hallward traduit sur un tableau de peintre. Que ce soit celui de Sybil Vane qui d'avoir trop aimé Dorian finit par le perdre à cause de la conception de l'art de ce dernier. Et l'enfermement de Dorian Gray, le portrait étant la démonstration de sa faillite malgré les apparences et la dissimulation. Bonne lecture et bonne écoute.
Oscar Wilde, Le portrait de Dorian GrayAudible. Lecture d'Hervé Lavigne. 9h26