Zoé Rumeau et Emilie Bazus : atteindre l’inaccessible étoile

Publié le 01 décembre 2018 par Pantalaskas @chapeau_noir

« I don’t like the sea ! ».

L’histoire que racontent Zoé Rumeau et Emilie Bazus à la galerie Laure Roynette à Paris est celle qu’éprouvent tous ceux qui, chassés par la violence des guerres comme celle de la misère, se lancent à corps perdu dans un rêve impossible : celui de trouver enfin un havre de paix, au péril de leur vie.

« Partir 1 »  Zoé Rumeau, 2018, 157x206cm ,

Comment les artistes peuvent-ils appréhender cette lancinante douleur dont les hommes et les femmes portent le fardeau jour après jour ? Les propositions de Zoé Rumeau et Emilie Bazus se complètent et se confortent pour apporter leur témoignage.
Le travail de Zoé Rumeau ne naît pas dans le calme de l’atelier. L’artiste s’est investie auprès du CHU (Centre d’hébergement d’urgence pour migrants) d’Ivry, géré par Emmaüs. Lors des cours d’alphabétisation auxquels elle participe jaillit alors ce cri du cœur : « I don’t like the sea ! ». Non les migrants n’aiment pas la mer qui, loin d’offrir une porte ouverte vers l’Eldorado, les envoie à la mort. L’artiste a tenté de relier patiemment au fil d’or ces liens qui révèlent les circuits empruntés par tous ceux qui ont mis tous leurs espoirs dans ces départs à haut risque, quels que soient les déchirements ineffaçables de telles décisions. Son œuvre puise dans cette douleur de l’exil pour créer non pas en spectatrice mais en témoin agissante. Ces hommes et ces femmes ont des visages auxquels elle porte toute son attention.

« Les damnés de la terre »

L’autre façon de témoigner est celle empruntée par Emilie Bazus. Les abris de fortune des migrants réfugiés dans la jungle de Calais sont présentés ici avec une terrible objectivité. Lorsque l’artiste Gilles Aillaud peignait les animaux en cages, il ne se livrait pas à un plaidoyer pour la liberté animale. Le peintre ne nous disait rien, nous laissant nous débrouiller dans notre situation de spectateur devant ce qui, aujourd’hui davantage encore, nous paraît de plus en plus inconcevable.

Anonyme XI, Émilie Bazus, huile sur toile, 146x228cm

C’est un peu ce sentiment qui prévaut, me semble-t-il, lors de la vision de ces cabanes qui n’en finissent pas de prolonger le calvaire de ceux auxquels ont refuse de fait le respects dû aux humains. Chez Emilie Bazus, les personnes n’ont plus d’identité. C’est le règne de l’anonymat.
Près de soixante ans plus plus tôt, Franz Fanon écrivait dans « Les damnés de la terre » :
« Il n’ y a pas de mains propres, il n’ y pas d’innocents, il n’ y a pas de spectateurs; nous nous salissons tous les mains dans la boue de notre terre, dans le vide de nos cerveaux. Tout spectateur est un lâche ou un traître ».
Et si dans cette jungle la seule constellation visible est celle de la myriade des braseros entretenus par les candidats à cet impossible eldorado, force est de constater que leur rêve continuera de s’épuiser avant d’ atteindre cette inaccessible étoile.

Photos Galerie Laure Roynette

« I don’t like the sea ! »
Zoé Rumeau et Emilie Bazus

Du 22 Novembre 2018 au 6 Janvier 2019
20 rue de Thorigny
75003 Paris