Impôts et taxes : un trop-plein... d'inégalités !

Publié le 06 décembre 2018 par Raphael57

Après mon billet sur le mouvement des gilets jaunes, il m'a semblé nécessaire de donner quelques clés utiles à l'actuel débat sur l'impôt qui fait suite à celui sur le pouvoir d'achat. En effet, le moratoire sur la hausse des taxes sur les carburants, qui a muté en suppression pour l'année 2019 tant le gouvernement est en panique, démontre un ras-le-bol général non pas face à l'impôt, mais en raison des inégalités criantes attachées au système fiscal. J'en profite pour rappeler que j'ai traité ces sujets dans mon dernier livre, Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'économie (Ellipses), qui pourrait constituer un intéressant cadeau de Noël si tant est qu'il vous reste encore un peu de pouvoir d'achat...

L'impôt sur le revenu

Dès que l'on parle d'impôt sur le revenu, on pense d'emblée à la déclaration que chaque ménage fait une fois par an et qui d'ailleurs continuera à être obligatoire malgré le prélèvement à la source. Or, cet impôt est loin de constituer la première source de recettes fiscales nettes de l'État :

[ Source des données : LFI 2018 ]

Cet impôt est progressif, ce qui signifie que le taux d’imposition augmente quand le revenu imposable augmente. Autrement dit, un impôt progressif est un impôt dont le taux est plus élevé pour les plus riches et moins élevé pour les plus modestes, conformément à une certaine idée de la justice fiscale. Or, à force d'en réduire le nombre de tranches et de créer des niches fiscales, les gouvernements successifs ont réduit son rendement et pris le risque de déliter le consentement civique à le payer. Cela participe d'un triomphe des thèses néolibérales, qui veulent réduire l'État à sa dimension minimale, alors même que le mouvement des gilets jaunes prouve que les Français n'ont jamais autant eu besoin d'un État (social) efficace.

Il faut ajouter qu'il existe un autre impôt sur le revenu, qui trop souvent est occulté dans les débats puisque non lié au budget de l'État : la CSG. Créée au début des années 1990, la contribution sociale généralisée (CSG) est un impôt proportionnel - c'est-à-dire que son taux est le même pour tous les niveaux de revenus (flat tax) - destiné à la Sécurité sociale, prélevé sur les salaires, les primes, les pensions de retraite, les revenus du patrimoine, les allocations-chômage, etc.

[ Source : http://www.vie-publique.fr ]

Il n'est donc pas étonnant que son rendement soit important, au point de dépasser l'impôt sur le revenu et constituer plus des deux tiers des impôts et taxes affectés à la protection sociale :

[ Source : Les Échos ]

Augmenter la CSG des retraités pour réduire les cotisations sociales des actifs fut à l'évidence un tour de passe passe politique. D'abord, parce que les montants en jeu ne permettent pas aux actifs d'augmenter sensiblement leur pourvoir d'achat, et encore au détriment des retraités, et ensuite parce qu'il laisse à penser que les cotisations sociales appelées à dessein "charges" ne sont qu'une forme d'impôts destinés à engraisser l'oligarchie politique.

Or, il est indispensable de rappeler que les cotisations sociales sont des versements, calculés en pourcentage du salaire et répartis entre le salarié et l’employeur, qui donnent droit au salarié à des prestations sociales en cas, par exemple, de maladie, chômage, accident du travail… Les cotisations sociales sont donc un salaire différé et pas un poids mort sur la fiche de paie ! Les réduire, c'est privilégier le présent sur l'avenir, et oublier l'incertitude du futur au profit de la certitude du court terme. Dès lors, quand une telle idée vient d'un chef d'État, on est en droit de s'interroger sur sa vision de l'avenir...

L'impôt de solidarité sur la fortune (ISF)

L'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) était un impôt progressif sur le capital (les revenus, les salaires et les loyers en sont donc exclus), qui concernait le patrimoine des personnes physiques et qui était redevable chaque année civile en fonction de la valeur de leur patrimoine. Véritable totem politique créé par Mitterrand en 1982, sa suppression a coûté très cher économiquement (et politiquement) à l'actuel gouvernement :

[ Source : Les Échos ]

Sa suppression et son remplacement par un Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) privent l'État de fonds au moment où il fait déjà les (tré)fonds des tiroirs :

[ Source : La Croix ]

Opposé catégoriquement à son rétablissement, Emmanuel Macron se persuade que la suppression de l'ISF permettra d'attirer les plus riches fortunes en France, ou à défaut ne pas les faire fuir, ce qui démontre son adhésion sans réserve à la théorie zombie du ruissellement, selon laquelle il faudrait favoriser les plus riches afin qu'à terme tout le monde en profite. Les gilets jaunes et avec eux une grande partie des citoyens français ont cependant compris la vacuité d'un tel projet, qui leur apparaît désormais comme un cadeau fiscal fait aux plus riches de ses électeurs :

[ Source : IPP ]

Et si le gouvernement faisait le choix de rétablir l'ISF et d'utiliser cet argent pour financer la transition écologique ? Il éviterait ainsi de matraquer fiscalement une population, qui a besoin de sa voiture pour aller travailler et faire ses courses, et montrerait de facto sa volonté d'inclure tous les Français dans les projets d'avenir.

Hélas, par les déclarations intempestives, contradictoires et parfois inutilement martiales des derniers jours, l'exécutif amplifie le sentiment de hiatus entre une classe politique oligarchique et le reste du peuple, qui a conduit à l'actuelle grave crise politique... Et ce ne sont pas les éléments de langage, faisant une utilisation ad libitum d'expression tartuffes valises comme "attitude bienveillante, "dialogue constructif", progresser ensemble", "faire un geste d'ouverture", le tout répété ad nauseam par tous les membres du parti macroniste dans tous les médias, qui y changeront quelque chose. La réalité est là !

Dépenses publiques et prélèvements obligatoires

Il ne s'agit pas pour moi de jouer sur des nuances sémantiques (taxes, redevances, prélèvements,...), mais juste de rappeler que les prélèvements obligatoires servent à financer les dépenses publiques. Alors certes, d'aucuns affirmeront que les dépenses publiques sont trop élevées :

[ Source : Eurostat ]

Mais les administrations publiques ne s’enrichissent pas elles-mêmes en dépensant, au contraire elles contribuent à augmenter la capacité de production de richesses futures de l’ensemble de l’économie par des investissements porteurs, des subventions bienvenues ou des dotations suffisantes. Autrement dit, les dépenses publiques de l'État n'ont rien à voir avec les dépenses d'un ménage comme certains s'échinent à le répéter ; elles sont avant tout le fruit d'un compromis social entre des citoyens qui veulent œuvrer à l'intérêt général. S'il n'est alors pas exclu de s’interroger sur leur nature et leur efficacité, il faut néanmoins se garder de vouloir les couper à tout prix, sous peine de plonger l'économie dans un tourbillon récessif. 

Ceux qui critiquent le niveau trop élevé des dépenses publiques sont souvent les mêmes qui dénoncent les prélèvements obligatoires trop importants :

[ Source : Rexecode ]

En réalité, lorsque le gouvernement propose actuellement de supprimer les hausses de taxes sur les carburants, il le fait à budget constant, c'est-à-dire en comprimant la dépense publique, opération qu'il appelle fort opportunément "économies" comme au temps de Manuel Valls, qui est allé voir à Barcelone si l'herbe était plus verte (ce qui ne peut qu'ajouter au ressentiment des Français face aux politiques)... Ce faisant, au nom du sacro-saint équilibre des comptes publics, qui va de pair avec un État minimaliste réduit à ses fonctions régaliennes, le gouvernement va couper dans des dépenses qui auront des conséquences importantes aujourd'hui et dans l'avenir proche. Mais ce n'est pas grave, car comme on dit chez moi, l'avenir n'est pas assuré de la même manière pour tous !

Qu'il suffise de regarder le nombre de services publics fermés dans chaque commune pour comprendre ce à quoi je fais référence... Alexis Spire, sociologue et directeur de recherches au CNRS, dans un interview au Monde, concluait justement que les Français ont l'impression de ne plus en avoir pour leur argent avec tous les services publics qui disparaissent de la carte, et que leur argent sert seulement à financer les dépenses de luxe d'une oligarchie politique. Bref, payer plus pour en avoir moins ! Et en retour, le président de la République voit dans les dépenses sociales un "pognon de dingue"...

Pourtant, de l'argent on pourrait en trouver en luttant efficacement contre l'évasion fiscale. En commençant par se mettre d'accord sur l'imposition des revenus des multinationales de l'ère numérique, car contrairement aux déclarations de Bruno Le Maire, les négociations ont piétiné et débouché sur une souris fiscale :

[ Source : https://www.lesnumeriques.com ]

Le système fiscal français injuste

Plutôt qu'un long discours, il suffit de jeter un œil sur ce graphique issu d'une étude réalisée par Thomas Piketty et son équipe, qui montre le taux global d'imposition en fonction du niveau des revenus, en incluant tous les prélèvements obligatoires  : cotisations sociales, impôts sur la consommation (TVA et autres impôts indirects), impôts sur le capital (impôt sur les bénéfices des sociétés, taxe foncière, impôt sur la fortune (ISF) et droits de successions), impôts sur le revenu (CSG et IR) :

[ Source : Alternatives économiques ]

Loin d'être un modèle de justice, la fiscalité française est faiblement progressive jusqu’au niveau des classes moyennes (au fait, qu'est-ce qu'une classe moyenne de nos jours ?) et devient régressive au niveau des classes les plus riches ! Les beaux discours n'arrivent dorénavant plus à cacher cette réalité vécue par chacun et que les gilets jaunes dénoncent à leur façon. Elle se conjugue du reste à une augmentation des inégalités, comme je l'avais montré dans ce billet ainsi que dans celui-là.

De nombreux commentateurs ne comprennent pas que derrière la contestation du système fiscal, c'est le mode de fonctionnement actuel de l'État lui-même qui est contesté, puisqu'il laisse sur le bas-côté de très (trop !) nombreux Français au profit d'une minorité de privilégiés. La crise sociale a d'ailleurs depuis mué en crise politique, plus précisément en crise de la représentation, car les gilets jaunes font valoir que les parlementaires actuels ne semblent plus les représenter.

En dernier ressort, si la crise ne peut se résoudre par un geste fort et honorable du gouvernement, et non quelques miettes justes bonnes pour les rats du grand laboratoire économique français, alors Emmanuel Macron devra en tirer les conséquences politiques. À moins qu'il ne s’enferme dans une conception despotique du pouvoir, qui le conduirait à appliquer la pire vision de Bertold Brecht : "puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple" !