Connaissez – vous les remarques marginales d’Alechinsky ?

Publié le 11 décembre 2018 par Aicasc @aica_sc

L’exposition Renault, l’art de la collection accrochée aux cimaises de la Fondation Clément du 9 décembre au 17 mars prochain présente deux oeuvres d’Alechinsky.

 Né à Bruxelles, le 19 octobre 1927, Pierre Alechinsky devient membre du groupe COBRA.  Sa pratique artistique est marquée par  l’expérimentation, la liberté du geste, le refus des conventions et le décloisonnement des genres. Il s’ouvre à des influences multiples surréalisme, expressionnisme, art naïf, imagerie populaire, dessins d’enfants et d’aliénés.  Avec son tableau Central Park (1964), il inaugure les  remarques marginales. De très nombreuses lithographies sur papier Arches ou papier Japon reprennent le motif de Central park. 

Pierre Alechinsky
Central Park

L’expression  remarques marginales ,  employée par les typographes désigne les corrections apposées dans les marges.

Voilà le principe des remarques marginales d’Alechinsky : une image centrale est encadrée par une série de vignettes réparties sur les quatre côtés de cette image. Inspirées par la bande dessinée et les arts de la gravure, ces vignettes complètent ou commentent  la représentation centrale à la manière d’une écriture. Il se crée des rapports entre les deux strates picturales .

Les  remarques marginales  peuvent être

 soit la représentation du dessin central vu sous un angle différent (transposition du thème),

 soit une déclinaison nouvelle de cette représentation principale (variation sur le thème),

soit encore l’apport d’une donnée iconographique inédite qui oriente et enrichit le sens de la figure centrale (contrepoint de thèmes).

C’est un dialogue complexe entre le centre et les confins, une dialectique entre la vision centrale et la vision périphérique. L’interaction entre les deux zones est à la fois énigmatique et fascinante.

Il existe un équilibre subtil entre la spontanéité du geste pictural développé dans la partie intérieure et les dessins marginaux. L’image principale est de taille nettement plus importante et les rapports qu’elle entretient avec celles des marges  varient.

Les marges développent  une calligraphie personnelle ou des graffitis,  se nourrissent de l’image principale  mais restent indéchiffrables.

Ces petites images, saynètes faites à l’encre, forment un contrepoint au noyau central peint à l’acrylique, introduisent une dualité entre l’espace global et l’espace séquentiel.

Est-ce qu’Alechinsky recherche une fusion entre les deux registres, peinture-écriture, figural-scriptural? A l’entendre on pourrait le croire:  Il dit en effet   En peinture dans le texte ou encore  Le dessin , c’est  de l’écriture dénouée et renouée autrement. 

Les oeuvres successives montrent bien que les relations entre le centre et la périphérie changent:

Pierre Alechinsky
Central Park 1965

Dans Central Park (1964) ou Accessoires mythologiques (1968), les remarques marginales sont en noir et blanc en opposition avec l’image centrale en couleurs. Elles semblent un écho en négatif de l’image centrale et jouent sur la répétition  et le dédoublement de l’image du centre.

Alechinsky
Le goût du gouffre 2008

Avec Le Goût du gouffre (1980-1982), les signes des marges sont arbitraires, abstraits, sans analogie avec l’image centrale

Alechinsky
La mer noire 2008

Dans La Mer Noire (1988-1990),  c’est l’image centrale qui est en noir et blanc alors que les marges sont en couleurs. Les signes semblent alors avoir un rôle secondaire par rapport à l’image. D’après Alechinsky, la bordure serait un sas de décompression entre le monde du dehors et la peinture, une espèce de clôture, de frontière qui défend le monde pictural et le protège du monde extérieur

Alechinsky
Le tour du sujet 1968

Le tour du sujet (1967) présente une fragmentation de l’image centrale et une forte dualité entre centre et marges

Alechinsky
Astre et désastre 1969

Astre et désastres (1969) inaugure une nouvelle disposition :  les vignettes sont en bas du tableau et non autour comme un cadre. Elles reprennent des fragments de l’image centrale

Alechinsky Passerelle 1986

Dans Passerelle (1983,) l’image centrale est séparée en vignettes alors que celles du cadre répètent des éléments de l’image centrale.

Maintenant, à  vous de tenter d’analyser et de commenter    Roue d’Herbe et  Escalator,  créées vingt ans après l’apparition du  procédé pictural des remarques marginales. La partie centrale  adopte  des tonalités de gris tandis que les marges sont abstraites en couleurs. Les images du centre  font  référence au mouvement.

Alechinsky
Roue d’herbe 1983
Collection Renault

Alechinsky
Escalator 1983
Collection Renault

Voilà ce que l’artiste disait de la La genèse de Central Park

En observant, au printemps, les méandres des chemins, les rochers et les pelouses de Central park, du haut de l’atelier new-yorkais de Walasse Ting, situé au 35° étage, j’ai cru entrevoir une gueule débonnaire de monstre.

J’ai repris cette forme, venue de la topographie du parc, à l’acrylique, sur un rectangle de papier posé au sol.

L’été suivant, j’ai punaisé cette image sur mur de l’ancienne école d’un village de l’Oise, où j’avais un atelier.

Et pendant plusieurs soirées, en regardant cette image, je me suis mis à dessiner au pinceau et à l’encre de chine sur des bandes de papier Japon, comme ça, pour le plaisir, mais tout en pensant aux mythologies citadines que ce parc « ventral » de New-York suscitait.

Puis, pour voir ce que cela donnerait, je les ai fixées à la périphérie du rectangle très coloré peint à N.Y.

Cela a fonctionné étrangement, les remarques marginales (terme emprunté à l’estampe) en noir et blanc entourant la zone colorée du centre retenant les yeux de celui qui passe devant le tableau.

Mais comment présenter et préserver cet ensemble ?

Seul le marouflage – métier que j’ignorais – était possible. Je m’y suis mis tant bien que mal, d’où quelques erreurs techniques visibles dans ce tableau. Le marouflage consiste à fixer une surface légère (papier ou bois ) sur un support plus solide et rigide (toile, bois ou mur ) à l’aide d’une colle  forte dite maroufle qui durcit en séchant.

Dès lors, j’ai continué à peindre à l’acrylique sur papier, que je maroufle sur toile, revenant parfois à la peinture à l’huile, comme quelqu’un qui a joué du piano il y a longtemps et qui s’y remet pour voir s’il n’a pas tout perdu.

(Propos recueillis dans Téléréma Hors série de 1998, p.29 )

Dans ces oeuvres, on peut s’attacher à l’analyse de certains  partis pris plastiques  : les contrastes, la composition, la saturation,  le plein et le vide,  la gestualité (courbes, lignes, formes) ,  les rapports entre le sujet central et les remarques marginales.

DB