Les Zozios, de Demarcq

Par Florence Trocmé

Reincarnation of a love bird

Une petite facétie pour ouvrir cette note :

De l’ornithologue il se démarcq Jacques
Ni or ni ni, (ni car), mais donc poète
et qui zozios contre gnangnan adopta

Car ce dont il s'agit ici est rien moins qu'une somme poétique laquelle prend pour fil conducteur les oiseaux. Jacques Demarcq s’en explique d’une formule rapide et percutante : il fallait trouver une échappatoire à l’anthropocentrisme régnangnant. Son choix se porta à partir de 1985 sur les représentants de la gente à plumes pour « la légèreté de leur intelligence, leur refus de croire au ciel et le manque d’entêtement qui les fait ne pas tenir en place ».
Sur cette thématique-prétexte, Demarcq a construit un livre majeur, une somme poétique en sept chapitres qui multiplient les angles d’attaque. Composés entre 1985 et 2006, les poèmes s’efforcent de « slalomer entre un pôle narratif, quasi figuratif et un autre, abstrait, autour du bruit, du son asémantique », avec un travail très important sur les rythmes.
Cela donne un univers foisonnant dont chaque texte est un monde, pas toujours facile d’accès, parfois décoiffant, très souvent érotique, moqueur (comme le merle de la librairie parisienne éponyme), véloce (comme le pouillot), huppé (comme la grèbe), fou (comme le bruant) et souvent royal (comme l’aigle).

C’est une somme d’érudition, ornithologique certes, mais surtout littéraire et poétique, puisque se croisent ici non seulement moult espèces avicoles mais un autre genre d’oiseaux, j’ai nommé les poètes ; au premier rang desquels Cummings, dont J. Demarcq  est le traducteur. Il a extrait de l’œuvre de ce dernier des poèmes sur les oiseaux et en a placé les traductions quasi au cœur de sa construction. De part et d’autre une ouverture "Sonn&demi" et six ensemble de textes et/ou dessins fourmillant de jeux sur les mots, de constructions typographiques savantes, d’allusions, poèmes-partitions, poèmes-tableaux, à prendre à l’endroit et à l’envers. Comme oiseaux, s’envolant dès qu’on les approche d’un peu près, croyant avoir saisi quoi que ce soit ! Mais diable que c’est jouissif ! Et on aura compris qu’il s’agit ici de « mettre l’improbable au défi du langage/articulé qui est déni de l’inouï ».
Puis le livre propose à son lecteur consentant de se faire oiseau ou de voir le monde tel queues ou elles (poules, hirondelles, vampire hiboux vaudous)  alternant les proses, les calligrammes, jouant de toutes les ressources de la mise en page, de la typographie, prenant les lettres pour des oiseaux et s’offrant quelques petites mises en garde écolo au passage. C’est qu’ils ne sont pas désincarnés ces « Animaux malades de la Poste ». On a parlé des jeux de mots, ils incluent les calembours et autres contrepèteries comme ce "cul de boite fausse".
Ensuite c’est voyage en Islande avec huitrier-pie, grand labbe ou pipit farlouse, occasion de jouer sur les langues et de la langue (l’allusion érotique est omniprésente) et bien sûr de se jouer du vocabulaire et de toute visée encyclopédique, griserie et moquerie pépiant de pair. Puis vient le penguin (a poet is a penguin), Cummings donc et ensuite un petit cours assimil pour tenter de les comprendre, ces zozios, et déchiffrer leurs trilles et leurs caquets. Où notre homme-oiseau fait pour la poésie ce que Messiaen a fait avec la musique (sauf que chez Messiaen c’est moins drôle). Mais là où "le demarcq" est très fort (et pas gratuit), c’est qu’il apparie mots et sons en de véritables compositions musicales, avec recours fréquents à l’anglais qui semble parfois se prêter mieux au jeu que notre langue, compositions remplies d’allusions griv/oises. Les frontières sont abolies, on se balade aux franges de la poésie sonore, de la poésie visuelle, concrète, appeaux et appâts se répondant à tout va.

Mais ce n’est pas fini :  l’ornitho pas logue emmène son lecteur dans sa bibliothèque (voir ses estampes chinoises ?) et se lance dans des "à la manière de" ébouriffants : on vole de Lascaux à Verlaine, de Catulle à Dante, on se pose chez Dotremont ou Denis Roche, chaque poème titré le ou la suivi du nom de l’écrivain comme d’un nom… d’oiseau :  "le luca", "il zanzotto" ou "l’heidsieck" (on pourrait d’ailleurs chercher tous les rapports entre l’art de Demarcq et les auteurs qu’il picore du bout de la plume….).
Et puis ça se termine par quelques graines de théorie, quelques clés, quelques réflexions en feed-back qui réactivent, ô le malin, l’envie de repartir en sens inverse dans ce bouquin « où les signes se font les singes d’eux-mêmes, à jongler de rythme en syllabe au milieu d’une jungle d’échos ».
Ne reste qu’à se faire perroquet pour répéter cette dernière phrase qui au fond en dit plus long que tout mon ramage.

©florence trocmé, Poezibao, 2008

Demarcq
Les Zozios
Nous, 2008
Avec un CD de 58’, 28 €

Je recommande la note d’Alain Frontier sur le site Sitaudis.