Nimrod : Le départ

Par Gangoueus @lareus


Cela fait plusieurs semaines que j’ai fini la lecture du premier récit de Nimrod. Une lecture entamée lors de mon séjour au Ghana. D’ailleurs, ma chronique était en partie rédigée. Mais, c’est une première sur mon blog, j’ai égaré mon analyse de ce livre à la fois court mais extrêmement dense.  Le départ. Nimrod. Actes Sud
Je ne vais donc pas tenter de me souvenir de quelques éléments de ma première chronique. Je choisis de recomposer complètement mon propos en ayant un avis plus distant. Je ne connais pas assez la poésie de Nimrod. Je la pressens dans ses récits ou ses romans. J’ai lu quelques uns de ses essais. Mais il est une chose incontournable. Quand Nimrod planche et rédige des récits souvent autobiographiques, je suis conquis. C’était déjà le cas avec L’or des rivières. Dans ce texte, le romancier tchadien revenait faire la pierre tombale de son père, il évoquait le deuil, sa mère, la relation avec son père, ce pasteur luthérien si préoccupé par sa mission d’évangéliste dans l'arrière-pays tchadien.
Le départ couvre une période plus longue. La grande enfance, l’adolescence et l’abord de l’âge adulte. Le départ convoque des lieux différents. L’arrière pays Kim, Ndjamena, le Tchad en guerre. Le départ, c’est un regard sur la famille proche. Royès, cette sœur si singulière. Le père et la mère. Ce sont les amis de classe. Au collège. Au lycée. Sur la route du départ. Je te vois venir de loin me dire : « Mais, alors qu’a-t-il de si particulier ce récit ? Juste des mots sur l’adolescence ? D’ailleurs, est-ce vraiment l’adolescent qui parle ? N’est ce pas la relecture d’un adulte ? ».
C’est un récit. Un peu froid. Un peu doux. Un peu tendre. Un peu distant. Très poétique. Le premier intérêt de lire les récits de Nimrod, c’est l’écriture. Elle est précise. Elle est concise. Elle est délicate. Nimrod me disait lors d’un échange que pour un mot écrit, quinze vont à la poubelle. Je veux bien le croire. J’ai retrouvé dans ce texte cette même exigence qui m’avait tant plu à la lecture de L’or des rivières.
C’est un récit. Un peu froid. Un peu doux. Un peu tendre. Un peu distant. Très poétique. Tendre et distant est son regard sur Royès. Une petite sœur fougueuse et fugueuse. Une petite sœur qui, enfant, se battait pour défendre son grand frère. Une adolescente qui clouait le bec à un père silencieux et absent, trop préoccupé par le sort de ses ouailles. Une jeune femme qui se marie très tôt pour forger son propre sillon. Nimrod décrit tout cela avec beaucoup de justesse et en même temps, laisse des vides dans sa narration. Comme si le grand frère ne va pas se prononcer complètement dans un récit qui met en scène ses proches. Il se reproche sa couardise, ses silences, là où sa sœur affronte le père.
C’est un récit. J’aime le regard que Nimrod porte sur N’Djamena. Le temps qu’il passe à regarder le soleil se coucher sur les bords des deux grands cours d’eau : le Logone et le Chari. Avec ses deux amis, ils sont en extase devant le spectacle de la nature, suscitant des réactions médusées de quelques badauds. Ils sont d’ailleurs taxés d’occidentaux, tant leur démarche contemplative semble détonner. Il est intéressant de réaliser qu’en 2003, Nimrod anticipe sur les réactions sur cet intérêt pour le détail et une volonté de mettre des mots justes et précis. Pourquoi est-il donc surpris, mieux profondément agacé par les remarques ressassées de Zacharie Acafou qui réduit la singularité de son regard à un comportement de touriste ?

Réactions à la parole d'un Bornou

_ Je vous observe depuis trois semaines. Vous venez pour contempler le crépuscule, vous vous prenez pour des Blancs ou quoi ?D'abord sidérés, nous nous sommes ensuite esclaffés. [...] Une chose est certaine : nous venions de confirmer quels types d'hommes nous étions à ses yeux, des contemplatifs, des sans-consistances, une variété proche de celle des oisifs. Entre le paysan et nous s'était glissé un malentendu. A l'en croire, le colon seul avait le droit d'admirer la nature.
p.56, Nimrod, Le départ, Actes Sud

Le malentendu n'est pas nouveau. Peut-être lui semble-t-il incompréhensible venant d'un critique littéraire...
La bande de potes de Nimrod diffère de celle Blick Bassy dans le Moabi Cinéma. Ici, les deux amis du narrateur sont plutôt des puritains qui se passionnent pour des textes de théologie protestante, des esthètes qui se construisent en marge du reste de leur génération de lycéens en déclamant des vers au bord du Chari.
J'étais majeur. Ma passion des belles-lettres allait croiser la route des idées, et ce fut la théologie qui l'emporta. [...] A l'époque, je devais mettre de l'ordre dans mes sentiments. J'étais tout le temps amoureux et cela m'intriguait fort. D'où l'idée de me soumettre à une sévère introspection. Et le moyen d'y parvenir c'était l'étude de la Bible.
p.51, Nimrod, Le départ, Actes Sud

Un dernier point qui m’a frappé c’est l’arrivée de la guerre civile tchadienne au cœur de N’Djamena. Elle s'immisce brutalement. Et naturellement, Nimrod nous raconte cela à sa manière. Avec ce mélange de distance et de vérité. Sudiste, il doit avec ses amis fuir la capitale. La guerre tchadienne est l’un des premiers conflits militaires dont je me souviens du traitement médiatique avec celle du Liban et la révolution islamique en Iran. La prise de Ndjamena par Hissène Habré entraine le départ conduira à l'exil.La famille, les amis, la quête du divin. Des sujets auxquels je suis sensible portés par une plume magnifique.Nimrod, Le départEditions Actes Sud, première parution en 2005, 100 pages